Mon
musée des petits bonheurs
Comment
évoquer mes petits bonheurs sans parler du cérémonial de Chabrot -
en cinéphile averti, notre oncle Hubert disait Chabrol - j'avais
toujours vu les anciens rafraîchir le fond de leur assiette de soupe
avec une grande rasade de Passetoutgrain et on jouait entre cousins à
qui imiterait le mieux leurs grands Sluurp qui ponctuaient ce rituel
ancestral.
Qui
était ce Chabrot ou Chabroù? Sans doute un bienfaiteur de
l'humanité à en croire les yeux pétillants des vieux.
De
mauvaise grâce Tante Anastazia s'y était mise elle aussi, même si
rien n'égalerait jamais son infâme wodka frelatée à l'herbe de
bison.
Un
lointain cousin des Baux de Provence qui connaissait Mistral par cœur
soutenait que l'expression venait de cabroù parce qu'on boit dans
son assiette comme le ferait une chèvre, mais Oncle Hubert qui avait
vu Le beau Serge en cinémascope au Louxor ne jurait que par son
Chabrol.
Au
musée des petits bonheurs je me dois d'évoquer l'incontournable ban
bourguignon qu'on entonnait dans les banquets et surtout au dessert
après quelques chansons paillardes dont j'ignore l'air et les
paroles puisqu'on nous envoyait voir ailleurs si on y était!
Quiconque
sait chanter “Tra la... Tra la... Tra la la la lère...” en
approchant les mains en forme de coupe à hauteur de sa trogne pour
les faire tourner comme si on regardait à travers est sans le savoir
un pro du ban bourguignon.
Mes
cousins et moi-même avions inventé une variante à une seule main
qui permettait de pincer les fesses de la voisine; du coup, nos vieux
avaient copié cette même variante pour nous coller une torgniole en
retour.
A
quoi ça tient un petit bonheur? A deux maigres onomatopées, cinq
petites notes et neuf claquements de mains, pourtant ces simples
scènes de liesse me font encore frissonner aujourd'hui.
Au
XXIème siècle on ne chante plus, on fait des selfies qu'on poste
aussitôt sur fesse de bouc, histoire de montrer sa tronche, son cul
ou deux doigts d'honneur au monde entier et puis on va faire la
sieste...
Et
le kir, le vrai, celui avec un K majuscule pour lequel notre chanoine
dijonnais céda l'usage commercial de son nom?
Ce
petit bonheur tient en trois lettres et dix centilitres mais c'est
magique.
Un
vrrrai blanc-cass, m'sieurs dames c'est un tierrrs de vin blanc
cépage aligoté et deux tierrrs de crrrème de cassis à 20°.
Ajoutez-y un bon tierrrs d'accent bourrrguignon en rrroulant les 'R'
et ces quatrrre tierrrs vous envoient tout drrroit au parrradis!!
Et
pis chez nous on n'en boit jamais un seul mais deux.
“Vindiou!
Tu vas pas rrrepartirrr sur une seule jambe!” disait notre voisin
qui un beau jour ne remonta jamais de sa cave (sacrrré Dudule)
Taratata!
Vous repasserez avec vos communards au vin rouge, rince-cochons, kir
gaulois à l'hydromel, breton au cidre, royal au crémant ou impérial
au champagne! Pourquoi pas un kir alsacien à la Kro tant qu'on y
est?
Au
cas où mes petits bonheurs vous auraient ouvert l'appétit, je
terminerai par les escargots qu'on sert aux fêtes joyeuses et aussi
aux enterrements, pourquoi pas aux enterrements ?
Si
aujourd'hui l'escargot de Bourgogne arrive tout droit et sans se
presser des pays de l'Est, à mon époque il naissait, vivait et
mourait chez nous... pour les enterrements.
Pour
ces funestes réjouissances le plat de cagnoles était servi
religieusement avec un sachet de cendres adjoint à sa cuisson pour
figurer une sorte d’hommage rendu aux cendres du défunt.
Oncle
Hubert rompu aux cérémonies funèbres y allait toujours du même
bon mot pour mettre un semblant de gaieté à la cérémonie: ”Si
haut qu'on monte, on finit toujours par des cendres” disait-il en
ignorant l'oeillade assassine de tante Anastazia.
Je
réalise que ces petits bonheurs sont autant de coutumes qui
éveillèrent ma curiosité de gosse et forgèrent mon palais - je
veux dire mon caractère - et je me dois de terminer par cette vérité
qu'Oncle Hubert ne manquait jamais d'asséner à son Anastazia : ”Les
coutumes comme les femmes, sont faites pour être respectées et
bousculées aussi”.
Je dois reconnaître que la coutume du chabrot améliore grandement les soupes aux légumes qui passent difficilement dans la gorge (à cause des fils o;)))
RépondreSupprimerEt j'aime beaucoup les escargots de Bourgogne mais je n'en ai jamais eu aux enterrements.
Un régal que ce texte, Végas !
Je redécouvre tout juste la chanson de Prévert... des escargots qui vont à l'enterrement d'une feuille morte
SupprimerDu coup je suis allé à ma bibliothèque et j'ai lu: Chanson des escargots qui vont à l'enterrement.
SupprimerUn bonheur par dessus un autre !
et je suis bien certaine que Claude Chabrol aurait apprécié ton goût de la cuisine locale :)
RépondreSupprimeret les cinéastes gastronomes ne courent pas les rues...
Supprimeret je suis fier er et je suis fier er d'être bourguignon...
RépondreSupprimerLes deux pieds contre la muraille et la tête sous le robinet
Quand je vois rougir ma trogne je suis fier d'être Bourguignon
Si je meurs je veut qu'on m'enterre dans une cave où y a du bon vin
Un air que tu dois connaître.
Je suis lyonnaise donc Beaujolais et vit en Haute Marne donc Champagne
Ici c'est soupe de champagne...
comme toujours tes moments de bonheur sont savaoureux..Morte de rire
La soupe champenoise est aussi (si je peux dire) ma tasse de thé !
SupprimerA ta santé, Vegas ! Bourgogne, Bordeaux ou Badoit, il doit être bon de trinquer avec toi ! :)
RépondreSupprimerA la tienne, Pascal
SupprimerAvec cette chaleur, pas encore de soupe... mais ça viendra, ça viendra!
RépondreSupprimerQue du plaisir à lire cette page culinaire de haut vol!
Ces coutumes bourguignonnes sont fort alléchantes, et le texte, savoureux !
RépondreSupprimerAu plus Gralala des Gralalères, chabrot !
RépondreSupprimerEt tu sais comme je goûte ta soupe...