mercredi 26 août 2015

Sebarjo - Moments de bonheur

Souvenirs du caveau des Oubliettes

Un joli soir de printemps, nous flânions, ma femme et moi, dans le quartier latin non pas, pour se restaurer dans un des innombrables petits grecs de la rue de la Huchette que nous avions l'habitude de fréquenter au petit bonheur la chance, ni même pour rejoindre les quais branlants et Branly de la Seine pour farfouiller dans les caisses vertes des bouquinistes, ni encore moins pour assister - tant qu'il en était encore temps ! -  à la énième représentation de la Cantatrice chauve... mais pour nous rebiffer dans un petit cave...

Dans notre sage errance, nous admirions le soleil couchant qui projetait les ombres bossues des nuages sur les tours de Notre-Dame et repiquions vers la rue Saint-Séverin, pour nous enfoncer dans les ténèbres en rejoignant galamment la rue Galande. Puis, comme pour exécuter une descente de clavier, nous empruntâmes gaiement quelques marches en pierre de taille, recouvertes d'une épaisseur de poussière (de taille également !), pour nous terrer dans un caveau dont je me souviendrai : le Caveau des oubliettes. Il y régnait une obscurité claire étonnante en cet endroit qui fut pourtant jadis un haut lieu de supplices !

Il y avait déjà foule et la bière coulait à flots. Les demis se vidaient en entier, le coca noyait les whiskies. La température montait peu à peu et la fraîcheur originelle de ce trou de gruyère parisien s'évanouissait. Des gitanes sans filtres, des blondes anglo-saxonnes aseptisées et des pétards éclatants dessinaient leurs volutes avec fantaisie derrière les lumières tamisées. On se préparait. Ce soir, ça allait joliment swinguer. Un trio d'enfer, deux guitares et une basse. Du jazz manouche, du vrai, digne de Django, qui t'fout les poils comme le chante Sanseverino. En effet, avec une certaine impatience délicieuse, on attendait Moreno et ses deux acolytes, Gus à la contrebasse et Nono (Reinhardt !) à la pompe (battement sur gratte à exécuter droit dans ses godillots). Moreno... un sacré michto. Un rom, un gitan, un manouche... fils spirituel de Tchan Tchou , Tchavolo et Dorado, frère d'Angelo, Tonino y otro...

Un léger brouhaha s'amplifiait au fil des minutes et des pintes sifflées... Quand soudain, comme d'un commun accord, le public retint son souffle le temps d'une imperceptible et infime seconde, pour finalement exploser dans un tonnerre d'applaudissements. Moreno entrait sur scène, suivis de Gus et Nono. Comme dans une grande caresse, il prit sa guitare sur ses genoux et un deux trois quatre, un deux trois quatre... Retentit alors l'introduction à la contrebasse de Minor swing puis comme à l'unisson, la déferlante des premiers accords mineur joués par les deux guitares et là...les notes devinrent majeures... Ce fut un régal, un vrai festival ! S'ensuivirent la terrible Daphné, le fameux Swing with Django, l'incontournable Nuages, l'anthologique Djangology ... et j'en passe !

Je me souviens également qu'en plein chorus sur Swing 42, Moreno a cassé une corde et a continué à jouer comme si de rien n'était, improvisant un peu plus encore. Quelle leçon de maîtrise ! Même en jouant sur la corde raide, le guitariste de jazz manouche doit savoir garder son calme et continuer à swinguer !


Un peu après minuit, nous avons attrapé de justesse le dernier métro. Bercé par les grincements des roues de la ligne 7 sur les rails aiguillés, j'ai posé ma tête sur l'épaule de ma femme et ma main sur son ventre où somnolait mon fils... Et tout en contre-plongeant mon regard béat vers le plafond, je pensais que, grâce à cette explosion de vie et de joie, s'il n'en avait pas plus tard à l'école, mon fils avait déjà plusieurs dizaines de bonnes notes en lui...

7 commentaires:

  1. Vegas sur sarthe26 août 2015 à 17:59

    Et dire qu'il y en a qui diront que Moreno ne casse rien :)

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  2. Vrai que la musique peut mettre dans des états proches du bonheur absolu.

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  3. très jolie partition Sebarjo :)
    et plus jolie chute encore

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  4. quel rythme et quelle fin !
    avec le sourire

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  5. C'est attendrissant, cette balade musicale sur fond de précisions mélodieuses et c'est aussi une belle ballade amoureuse aux accords parfaits d'une progéniture de partition.

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  6. Voyages et rêves sous toutes les formes! Bravo!

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