mercredi 6 juin 2018

Marité - Monologue d'un banc public

Ma seconde vie.

J'étais condamné à pourrir dans ce bois qui m'a vu naître. Pensant que tel était mon destin, je subissais inéluctablement les affres du temps. Puis un jour ma vie a changé. Elle m'a sauvé de cette mort imminente. Ce matin là, j'ai vécu un grand chamboulement. Elle a passé près de moi comme souvent quand elle cherche les cèpes cachés dans les fougères. Je ne sais quelle idée elle a eue. Soudain, me poussant fort des deux mains, elle m'a fait rouler jusqu'au bas du taillis. Je n'ai pas eu mal, la mousse et les brindilles ont amorti ma chute mais je me demandais, perplexe, ce qu'il m'arrivait.

Le chemin m'a accueilli et m'a fait une place au soleil. Je ne pouvais espérer mieux. Ses rayons ont réchauffé ma vieille carcasse, séché mon bois humide. J'ai repris goût à la vie. Je trône au bord du sentier et je ne m'ennuie pas. J'étais un morceau de tronc de châtaignier quelque peu vermoulu oublié par quelque bûcheron distrait. Me voilà maintenant banc improvisé grâce à elle. J'adore ma nouvelle existence. 

Je pense quelquefois que j'aurais pu être un banc de ville, un banc chic avec des pieds, un dossier mais, même déraciné, je demeure ici dans mon environnement d'origine et cela me sied mieux. Toute ma famille  m'entoure et je suis heureux de voir grandir mes petites pousses. Je n'aime rien tant que la promesse du jour quand tout s'éveille, surtout au printemps et en été. Je suis nu, il est vrai mais il m'est agréable de voir croître les feuilles sur les arbres voisins. Les oiseaux n'en finissent pas de se raconter des histoires, de folâtrer amoureusement. Puis ils s'affairent et bâtissent leur nid. La sauvagine, chevreuils et biches aux jambes fines, sangliers patauds et grognons, file devant moi pour aller se désaltérer au ruisselet qui bruit doucement en contre-bas. Les locataires du chêne qui me domine, une tribu d'écureuils agiles et facétieux bondissent légèrement sur moi et se mettent déjà en quête de glands,  commençant leurs provisions d'hiver.

Cette année, un couple de mésanges a décidé d'élire domicile dans mon creux et d'y faire naître ses petits. J'étais ravi mais quel raffut quand la marmaille s'est mise à crier sa faim à longueur de journée. J'ai poussé un ouf de soulagement quand tout ce petit monde a pris son envol. Puis, j'ai senti dernièrement des gratouilles effleurer mon ventre.  Voilà qu'un hérisson sans gêne s'est installé tout naturellement chez moi. Des fourmis, passe encore : elles ne s'attardent pas mais ce hérisson, il va falloir que je trouve un stratagème pour m'en débarrasser. Il n'arrête pas de se mettre en boule  me hérissant les nerfs. 

Les promeneurs qui passent par là s'arrêtent pour souffler un peu et je suis tout indiqué pour accueillir leurs postérieurs. J'aime bien, cela me fait une compagnie mais s'ils s'avisent de grimper sur mon dos, je bouge pour les déséquilibrer. Non mais aussi, en voilà des manières ! Figurez-vous qu'aux dernières vacances, deux gamins se sont servi de moi pour faire du Land Art.  Le garçonnet a composé une tête de clown avec de l'écorce de pin sylvestre, de la mousse et que sais-je encore tandis que  la fillette, aidée par sa grand-mère a dessiné une magnifique fleur avec de petits cailloux, des brindilles et des feuilles. Un charmant tableau que tout le monde admire au passage. Je suis très fier.

Puis,  il y a elle. Je l'attends et elle ne manque jamais de venir s'asseoir doucement sur moi quand elle vient par ici et elle vient très souvent.  Il existe une grande connivence entre nous. Je lui suis reconnaissant de m'avoir donné une seconde vie et je sens bien qu'elle trouve la sérénité près de moi. Elle s'installe avec, comme toujours, un livre, un cahier, un crayon. Elle rêve souvent ou écoute, attentive, les bruits de la forêt. Quelquefois, elle parle toute seule. Elle rit aussi. Elle doit être un peu folle. Je l'ai même vue pleurer en écrivant. Ce devait être triste. Alors, j'étais triste moi aussi. Qui a dit que nous n'éprouvons pas de sentiments ?
    Objets inanimés, avez-vous donc une âme 
    Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?
Lamartine avait raison de poser cette question. Parce que je l'aime, elle et elle m'aime.

9 commentaires:

  1. Bravo Marité. J'aime beaucoup.
    Tu as fait fort. Ton banc a du bon ☺

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  2. Combien belle et touchante est l'histoire du banc, et pleine de poésie.

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  3. Bien poétique ce banc, où le trouve t-on ?

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  4. et voilà le banc improvisé avec un arbre à terre !
    et c'est une renaissance, et pour ce bois, et pour la personne qui en fait son RDV champêtre, et son réconfort manifestement :)

    comme toujours, Marité, tu excelles dans ces descriptions de campagne, au point que tu nous y transportes par la magie des mots, et des descriptions !

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  5. Ton texte est si beau qu'il m'a bigrement inspirée ! Tu racontes si bien...c'est comme si on y était !

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  6. Ton texte sent bon. Il a le goût du bonheur simple, de l'harmonie avec la nature, les animaux.
    Il fait du bien.
    Merci Marité
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  7. Merci à vous K, JCP, Andiamo - que je suis contente de retrouver ici - Tisseuse, Maryline et Célestine (toi aussi Célestine, ravie de te lire ici à nouveau.) :-) Je vais vous lire dès que possible. ;-)

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  8. Ce texte devrait être remboursé par la sécu tant il apaise, profond !

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