(texte un peu long ...)
Ça a débuté comme ça. Moi
j’avais rien dit. Rien. C’est l’autre là, le vieux qui s’est mis à causer, la
tête dans les mains d’abord, puis bien droit assis sur sa chaise. Une voix
grave. On l’entendait bien dans l’air frais et sec. Il disait que c’était le soir.
Moi je savais pas ce que c’était le soir parce que là d’où je venais il n’y
avait ni soir ni matin. Le matin, j’ai su quand il en a parlé un peu plus tard.
Là-haut, il y avait juste le jour d’une
lueur rouge, immuable, venue d’un seul côté.
C’est mes ancêtres qui avaient
décidé d’aller là-bas ; là où je suis né. On leur avait raconté des tas de
balivernes sur ce qui allaient se passer s’ils restaient. Alors tout le monde
s’est entassé dans les fameux véhicules en verre. Je les ai vus une première fois parce qu’ils en ont mis
au musée. Je dis tout le monde, mais bien sûr ce n’est pas la vérité.
Il y en a qui ont décidé de
rester. Ils sont passés pour des imbéciles, des pétochards, et les autres se
sont pris pour des héros, des aventuriers. Genre de ceux qu’on voyait au ciné
d’il y a longtemps.
Finalement, c’est moi qui
parle.
Le vieux est allé se promener.
Dans la sérénité comme ils disent. Je crois que c’est vrai au fond. Il a dit
qu’il a plus de 150 ans. C’est balaise quand même. Chez nous, entre les trucs
d’inadaptation, les prévisions qui se sont révélées fausses, les nouvelles
maladies et puis les guerres, surtout
les guerres, si les plus vieux ont atteint les quatre-vingt ans c’est qu’ils
étaient solides. Parce qu’il y en a des paquets et des paquets qui sont morts.
Des jeunes des vieux, des femmes.
Morts pour quoi ?
Ça c’est une vraie question
que tout le monde se pose, et que personne n’a la réponse. Moi je crois que ça
tient à l’homme. Il veut mourir joliment pour défendre un truc, une idée. Enfin au début. Et puis après il est
pris dans le mouvement. Il se persuade qu’il faut y aller. Au fond il a les
jetons comme les autres, mais il y va. Vous allez me dire qu’il faut bien
mourir pour quelque chose. Ben je me demande s’il ne faut pas mourir juste
parce que c’est le moment. Pas la peine de lui donner des raisons à la grande
faucheuse. Pas la peine. Elle est là. Elle moissonne au quotidien. C’est
vraiment pas utile de lui refiler des outils supplémentaires pour ça.
Je suis l’un des très rares à
avoir pu retourner de là où nos ancêtres
sont partis. Et ça je le dois au hasard. J’ai tout laissé là-haut. De toute
façon, je n’avais rien. Je n’avais plus rien, ni plus personne. Je dis là-haut
mais ça ne veut pas dire grand-chose. On a échappé aux dernières explosions. On
a marché dans des directions convergentes, poussées par on ne sait quoi, comme
en retrouvant un instinct qu’on pensait bien avoir laissé derrière nous depuis
longtemps.
C’était pas bien, l’instinct.
Un réflexe d’animal, pas d’humain. Faut croire que si. Sur les milliards
d’hommes qu’on était, on devait être à peine un millier à être encore en vie.
Il restait un Spatioport et une dizaine de véhicules susceptibles de nous
embarquer. C’est là où je les ai vus une deuxième fois ces obus de verre et
d’acier. On n’a pas cherché à comprendre ce qui avait pu conserver ces vieux
engins en état, ni comment ils étaient encore reliés à la Terre. Maintenant on
le sait.
Le voyage a été un enfer. Un
an presque avec ces vieux bousins d’engin. Et puis on a su après qu’avec les
orbites elliptiques on n’était pas partis au meilleur moment. Avait-on le
choix ? Non. A la fin, il n’y avait plus rien à becqueter. On a dû bouffer
ceux qui n’avaient pas survécu. Et puis on l’a vue dans un coin du cosmos. La
plupart pensait qu’elle avait explosée, comme c’était prévu. Comme les calculs
savants l’avaient prédit. Ben non. Trompés, les génies de l’astrophysique. Le
soleil, il n’a pas continué à grossir. La terre a continué de lui tourner
autour comme une amoureuse autour de son amant. Quand on a vu la petite boule
bleue on a pleuré. Parole. Plus personne ne pleurait avant, on avait même pas
le droit de pleurer sur Mars. Les engins se dirigeaient tout seul, comme
aimantés. On était attendu dans un silence incroyable. Dans une totale simplicité
aussi. C’était sans doute ça le plus étonnant pour nous, habitués qu’on était
aux grandes manifestations militaires avec défilés qui durent des plombes et
des discours pareils.
Après chacun a voulu aller
voir l’endroit d’où étaient partis ses vieux. J’sais pas si on se reverra un
jour. On est devenu les « revenants » !
Marrant non, les revenants qui rentrent sur une terre qu’on disait
fantôme ! Une terre splendide, avec très peu de monde dessus. Ceux qui n’avaient
pas voulu partir quelques siècles auparavant, les trouillards, les déballonnés.
Ceux qui s’étaient baptisés les « refusants ».
Aujourd’hui, je suis dans une douce
campagne avec des arbres et des fleurs qui sentent bon. Un chat sur les genoux,
des oiseaux qui chantent dans les arbres. Je n’avais jamais rien vu de tout ça avant,
sinon en illustration. Tous les animaux qui avaient fait le voyage initial
avaient été abattus car non conformes aux normes de sécurité et de santé très
vite décrétées. La planète Mars, terra-formée pour accueillir l’humanité
l’avait été par des technocrates et des politiques, persuadés de créer un monde
meilleur, idéal, où tout serait prévu, précisé, fixé. Ils en ont fait un monde
où l’homme n’avait plus sa place. Un monde de très haute technologie, certes,
mais sans nature naturelle si je puis dire. Tout était artificiel et contrôlé. Et
très vite les rivalités se firent jour.
L’idée de départ était
formidable : sauver l’humanité d’une vaporisation inévitable du fait du
grossissement démesuré du soleil. On avait su créer une atmosphère respirable,
et des océans immenses grâce aux lâchers d’astéroïdes brisant la croute
martienne, mais on n’a jamais su vivre en harmonie sur cette putain de planète.
Cette idée s’est muée en une société déshumanisée, gérée par quelques-uns et des
ordinateurs aux intelligences monstrueuses. Ils ont reconstruits des
continents, puis des pays, puis des capitales. Importer les religions et les
croyances. En quatre ou cinq générations
c’était foutu. Chacun voulait la suprématie sur les autres. La guerre était
fatale. Elle l’a été : quatre-vingt-dix-neuf virgule neuf pour cent de la
population s’est volatilisée. Bravo les gars. Bravo !
Pendant ce temps, les
refusants peinards sur la vieille planète vouée à une mort certaine, ont
continué à vivre. Ils se sont rendu compte que finalement ça allait plutôt
bien. Les technologies étaient déjà extrêmement avancées et comme il ne restait
pas grand monde, tous avait largement de quoi subsister, se soigner et profiter
de la vie. Leur espérance de vie s’est accrue. Les arts ont une importance
aussi forte que l’industrie. A croire que ceux qui sont restés étaient les plus
intelligents, ou les plus malins. Ils ont laissé partir les cons, et eux on
reconstruit un monde à leur échelle.
Et vous savez quoi ? Et
ben c’est vraiment le cas. C’est ce que m’a dit le vieux, dont, au passage,
j’ai découvert que nous sommes de la même famille :
- tu vois gamin, tout était calculé certes, mais pas comme on le pense.
En vrai, ça a débuté comme ça. Il y avait une sorte de société secrète,
baptisée Terra Mater qui, peu à peu, a distillé cette idée du grossissement du
soleil. Les grands de ce monde se sont jetés dessus, pour faire oublier leurs
vicissitudes et occuper le bon peuple. Un peu plus de deux cent ans plus tard
la population mondiale était embarquée sur la planète Mars. Terra Mater avait
eu le temps d’essaimer parmi les artistes, les intellectuels certes, mais aussi
parmi les gens simplement curieux et pas prêts à tout gober. C’étaient eux les
« refusants ». Quelques-uns d’entre eux ont gardé le contact avec des
partants dévoués à la cause. Au fond, ce sont eux les vrais héros. Mais je
crois que personne ne pouvait vraiment penser que les hommes referaient les
mêmes erreurs, les mêmes conneries que celles perpétrées pendant des siècles et
des siècles ici-bas, même si la probabilité était forte. Quand on a su que chez
vous, là-haut, les rivalités prenaient une telle tournure, on a organisé le
retour des survivants, imaginant des millions et des millions de revenants. Et
on a vu débarquer une poignée de pauvres gens comme toi, paumés, hagards. Et
là, on a réellement pris la mesure de ce que nos anciens à nous avaient fait
...
Sur ce, petit, je vais voir mes chevaux et reviendrai pour la soupe de
l’Hélène que c’est la meilleure du monde.
Allez, faut reconnaitre que
maintenant j’ai retrouvé un certain goût de vivre et que j’ai une certaine idée
de ce qu’est le bonheur. Mais quand je réfléchis bien, je me rends compte que
cette société, Terra Mater, était composée d’une bande de salauds qui n’ont pas
hésité à envoyer dans le cosmos la quasi-totalité de l’humanité, pour préserver
la planète bleue, certes mais surtout pour en jouir tranquillement. Alors, qui
vaut mieux que qui, hein ? L’homme est un loup pour l’homme. Mais là,
quand même, le loup il avait de sacrées grandes dents.
Texte sur mon blog "Les refusants"
Texte sur mon blog "Les refusants"
Hein ? Quoi ? Tous les animaux avaient été abattus ? Même les BB phoques ?
RépondreSupprimerJ'en connais qui n'auraient sûrement pas voulu faire le déplacement...
Comme quoi d'anciens textes te prennent une de ces actualités tout à coup!
RépondreSupprimerT'as bien fait d'en remettre une resucée, l'Arpi... Sur ce, je vais voir mes poules
Froids dans le dos...
RépondreSupprimerhé bé, ça fait réellement froid dans le dos :(
RépondreSupprimeret comme c'est très bien écrit (comme d'hab), je me suis totalement laissée prendre à imaginer ça possible
le pire c'est que ça l'est :(
Euh... Si cela devait arriver , je veux rester là, accrochée à ma planète bleue... enfin , je crois... ou pas... waouh... vivement pas demain ....
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