« On va chez Grand-Tante Berthe aujourd'hui ! » annonçait ma mère sur un ton faussement enjoué.
Voilà une nouvelle qui ne me réjouissait pas des masses quand j'étais enfant.
Ces visites forcées chez certains membres lointains de la famille me semblaient complètement incongrues. Tout le monde avait l'air de se faire chier gravement, si je puis me permettre cette expression triviale et néanmoins adaptée à l'envie soudaine qui me saisissait à l'annonce de la sentence.
Et dans ma logique de petite fille raisonneuse et (im ?)pertinente, je me demandais bien quel intérêt pouvaient trouver mes parents à cette courtoisie artificielle et récurrente. Elle n'avait même pas de l'oseille cachée quelque part, comme dans la chanson de Brel.
Tante Berthe n'aimait pas les enfants, elle n'en avait jamais eu, et vraisemblablement elle n'avait jamais été enfant elle-même, selon ses dires.
Même les « bien élevés » comme nous, qui partions pourtant bardés de recommandations à propos de ce qu'il fallait dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire, et qui se résumait par l'inénarrable « Il va falloir bien vous tenir ! »
Je réfrénais à chaque fois l'envie furieuse de répondre « Pourquoi ? Le plancher est en pente ? » mais cela serait passé pour de l'insolence. Voire, de l'ironie. Impossible à neuf ans. Une petite fille polie regarde ses souliers vernis et se mord la langue.
Le pire , dans cette épreuve, surtout pour une hyperesthésique comme moi (mais je ne le savais pas encore) c'était que chez tante Berthe, tout était hideux. La laideur m'agressait par tous mes sens et tous mes pores. Les napperons de dentelle sale sous d'immondes vases en cuivre contenant des bouquets de fleurs séchées attrapant au lasso les toiles d'araignée, les tapisseries en canevas représentant un bouquet d'iris sur une table ronde ou une biche aux abois, tendus dans leurs cadres en faux bois, les rideaux jaunis avec des trous occasionnés par des contacts fortuits avec le bout incandescent d'une cigarette, occultant obstinément le jardin (quel dommage), les sacro-saints patins de feutre pour ne pas salir le parquet, sur lesquels on n'avait pas le droit de patiner, un comble, mais seulement de marcher comme de ridicules robots, et les housses sur les chaises pleines de poils de chien. La cage où un pauvre serin serinait sa misère toute la journée, et que je crevais d'envie d'ouvrir (la cage, pas le serin, quoique...).
Les poupées régionales, alignées sur la cheminée dans leurs boîtes en plastique transparent, à jamais figées sous leurs coiffes dans un sourire niais...mais surtout, la tête de cerf du salon, aux bois desquels pendouillaient des rubans et des porte-clés. Juste au-dessus des fauteuils en tuft marron.
D'ailleurs tout était marron, chez tante Berthe, même son prénom. (Oui, en plus je vois les mots en couleur, je ne vous ai pas dit ?...)
C'est comme si nous étions prisonniers d' un gigantesque pot de chambre...Oui je sais, c'est méchant...Le supplice était à son comble quand il me fallait embrasser sa joue, en évitant la verrue ornée d'un poil qui trônait au milieu. Et faire semblant de trouver ça agréable. A côté, l'institutrice de Pagnol était une gravure de mode « Mlle Guimard était très grande, avec une jolie petite moustache brune, et quand elle parlait, son nez remuait : pourtant je la trouvais laide, parce qu'elle était jaune comme un Chinois, et qu'elle avait de gros yeux bombés.»
Ah...les souvenirs d'enfance...
L'odeur fétide de l'aïeule et les odeurs diverses de la maison se carambolaient sur mes cellules olfactives traumatisées: odeurs de camphre, de moisissure, de poussiéreux, de transpiration aigre, de pipi de chat, de soupe trop cuite qui est restée trois heures sur un coin du fourneau, d'eau de rose passée ou de Cologne, de poires blettes dans le plateau à fruits en métal et de tabac froid. Je résumais la situation par une de ces formules lapidaires propres à l'enfance (quoique...) :
Ça sentait tout simplement « le vieux ».
Aujourd'hui je dirais plutôt que ça puait la mort, les énergies vitales étant complètement annihilées par les lieux et les objets.
Depuis l'enfance, j'ai toujours éprouvé un énorme malaise en pénétrant dans certaines maisons, c'est sans doute parce que j'ai toujours eu un ressenti inné des règles élémentaires du Feng-Shui.
Ce qui manquait de toute évidence à Tante Berthe, peu encline à s'embarrasser de chinoiseries lointaines.
on a tous en tête probablement quelqu'un dans notre enfance comme cette tante Berthe :(
RépondreSupprimerenfin, plus ou moins, car celle-ci elle est gratinée :)
Oui j'avoue...j'ai peut-être un peu forcé le trait ? En tous cas c'est le souvenir que j'en ai gardé, et quarante plus tard il est toujours aussi fort !
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srouf qu'en a marre du métro
RépondreSupprimerOui ben heureusement que c'était une vieille dame qui sentait certainement le renfermé parce que perso, entant que male hyperestésique je sent même les femmes en ovulation et c'est chiant dans le métro !
Et pi d'façon j'aime point le vert caca de ton image en fin de texte ! ;o))
A ce commentaire scatologique, j'en déduis que bref, c'était un texte de m... ;-)
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pourquoi a-t-on tous eu une tante Berthe alors qu'elles ne se reproduisent pas? :)
RépondreSupprimerVoilà une question qui restera sans réponse comme le sourire de la Joconde et autres mystères...
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