dimanche 8 novembre 2015

Arpenteur d'étoiles - Les huit éléments

Il chante dans les bars le long des quais de brume et d'argent. Rhône impétueux ou Saône lascive, leurs musiques entrent dans son âme et dans son corps. Il se fond dans cette ville des lumières, puise son essentiel dans son histoire et traverse le temps. Poète ou révolté, errant d'un pont à l'autre, d'une rive à l'autre, du passé au futur.
Sa famille venue d'Italie au début du 19ième siècle, a toujours vécu là,sur les pentes. Depuis les immenses fenêtres de l'atelier de tissage de son grand père, il apprenait le monde. La ville à ses pied, le parc et, tout au fond, le Mont Blanc découpé sur l'horizon bleu. Dans l'atelier, deux métiers modernes et deux autres anciens, acquis avant la guerre de 1914. Ceux-là étaient de vrais bijoux. En bois, à main, où l'ont tissait à l'envers pour lever moins de fils et moins fatiguer la ratière. Pour Noël, il lui offrait toujours un foulard créé et fabriqué pour lui. Juste pour lui. Il se souvient surtout du petit lapin blanc et du visage de clown mélancolique qui ressemblait à son grand père. Lorsque celui-ci disparut pour rejoindre la paradis des canuts, sa grand-mère déposa dans son cercueil un petit pendentif. Le premier cadeau scellant leur éternel amour. Lui, laissa le foulard au lapin, afin que son enfance accompagne définitivement le vieil homme vers l'autre vie.
Il se murmura à lui-même « je t'avais prévenu » essuya ses larmes et noua le foulard au clown autour de son cou. Ce soir il va encore chanter. Le piano, la fumée, les odeurs d'alcool cacheront son profond chagrin. Mais il commencera par un poème qui parle à la fois de la mort, de la vie, de ses origines. Il sait que son grand père l'entendra ...

Je glisserai vers l’oubli
Doucement, sans faire de bruit,
Comme on traverse à la nuit
Les vieux palais florentins,
Aux murs griffés par le temps,
Aux peintures trop pâlies.
Je passerai de portes en portes,
A travers des pièces immenses
Éclairées étrangement
D’ocre et de ce vert usé
Que l’on ne trouve
Qu’aux fenêtres d’Italie.
Les ombres blanches et
Diaphanes de ceux que j’ai aimés
Seront là pour m’accompagner,
Glissant auprès de moi,
Sans autre visage que ceux
Que ma mémoire leur donnera.
Tout au bout du couloir,
La porte dernière laissera voir,
La terrasse et sa lumière.
Celle de l’été de Toscane,
Quand vers le soir
Elle se charge
D’une poussière
D’or et d’argent, et des senteurs
Des collines autour.
La lumière de la nuit
Où je deviendrai rien
Dans le grand tout.
Pour renaître plus tard
Bien plus tard ...

Le Rhône




La Croix Rousse
 
La Saône














5 commentaires:

  1. Tu n'as pas ton pareil pour évoquer les canuts et les vieux métiers (et si je ne m'abuse, ça n'est pas la première fois).
    Nostalgie italienne et photos... des cerises sur le gâteau !

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  2. J'ai dérivé au fil des souvenirs. Peu importe finalement la consigne qui se fait oublier derrière l'émotion.

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  3. Que de poésie au fil des mots... au fil de l'eau....

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  4. Lyon étant un des paysages de mon âme, le textile, le métier de mon amour, je ne peux qu'aimer

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  5. Les beaux textes de l'Arpenteur .. toujours un grand bonheur de les lire, relire, ou découvrir .... Merci !

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