Dans la campagne, fuyant la guerre qui pointe, un vieillard harassé chemine à son allure tenant par la main un gamin d'une dizaine d'années complètement hébété. Le bonhomme, originaire de Moselle, a déjà vécu celle de 1870 et veut mettre entre eux et l'armée allemande le plus de distance que leurs jambes permettront. Ils s'installeront non loin de la Durance à Sisteron au pays des cigales. Après des jours de marche, une fois passé Mâcon, plus que quelques kilomètres pour rejoindre Ville-Franche. Dans cette grosse bourgade du Rhône, ils feront étape auprès de la famille. En ce début d'hiver le mordant de la brise est encore plus douloureux à cause de la pluie qui ne cesse de tomber et puis des pieds mouillés. Il faut redoubler d'efforts, l'obscurité s'accroît, la nuit qui descend vite va bientôt être là. Au détour d'un lacis, les voilà face au fleuve et au pont qui l'enjambe. L'ouvrage est très ancien, en bien mauvais état, on le sent qui brinquebale sous les coups du vent qui grossit. Nul autre passage où traverser, ils n'ont d'autre choix que de s'y engager. Mais l'enfant terrorisé ne peut plus faire un pas, il résiste, tire renâcle comme un poulain qu'on voudrait de sa mère séparer. Appels à la raison, encouragements, rien n'y fait statufié il ne peut plus bouger. Dos tourné, sortant de sa besace une petite sphère rouge, brusquement le vieillard fait volte face en s'en chaussant le nez. Ainsi, sommairement grimé en clown, il se lance dans une sarabande ponctuée de mimiques et d'onomatopée. D'abord désarçonné, voilà qu'à ce manège le visage de l'enfant d'un sourire s'éclaircit. Voyant ce pitre qui vers l'avant s'enfuit, le petit esquisse quelques pas pour s'en rapprocher. De son côté, toujours sautillant et grimaçant, le petit vieux farfouillant dans sa besace, tel un magicien, en extrait un lapin. A peine ses pattes posées, voilà l'animal qui file sans demander son reste vers la liberté. « Allez viens » hèle le vieux « c'est un cadeau pour nos hôtes, si l'on ne fait pas vite il va nous échapper ». Pris au jeu, l'enfant s'élance et sautillant, bondissant par-dessus les obstacles, le voilà promptement qui dépasse l'ancêtre. Quand ils s'arrêtent tout deux, après cette cavalcade, le pont est relégué à des dizaines de mètre d'eux. Le rongeur quant à lui n'est visible nulle part. « Tu vois il est parti et pourtant je t'avais prévenu qu'il allait s'échapper » dit le grand-père à l'enfant qui de son côté lui répond : « je préfère comme ça plutôt qu'il ne finisse dans nos estomacs et sûrement de ses pattes faire des pendentifs pour nous porter bonheur ». Un ange passe, une lueur de connivence éclaire les 4 yeux, descendant vers la Durance les voilà courageux.
Il ne leur reste plus qu'à imiter le cri de la carotte!
RépondreSupprimerSur fond de guerre, l'histoire est distrayante
une bien longue marche de la Moselle à la haute Provence ...
RépondreSupprimerle pont suspendu traversant la Saône pour joindre Jassans à Villefranche a du être édifié au début du siècle dernier ; par contre le pont (2 ou 3 km plus au nord) de Beauregard doit dater du milieu du 19ième ... (juste pour frimer un peu :o)) )
mais la réflexion du petit au sujet du lapin me plait beaucoup ; et cette histoire aussi (belle idée du clown détournant l'attention de l'enfant pour l'aider à traverser)
L'Arpenteur "frime" car il connaît bien cette région :)
RépondreSupprimerblague mise à part, il y a tant et tant d'anecdotes amusantes comme celle-là même dans les temps de guerre
Quel rythme dans les phrases ! On ne s'ennuie pas un seul instant, efficace, bien mené, un récit plein d'entrain et d'intérêt.
RépondreSupprimerLe masque le plus petit: une boule rouge sur le nez et l'enchantement est là, comme par magie...
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