jeudi 11 décembre 2014

Claudie - J'ai dix ans

PREMIERS PAS
La journée avait été maussade comme souvent en Bretagne où je passais le mois de juillet avec la famille. L’oncle Pierrot et la tata à moustache étaient arrivés depuis le matin et la maison de grand-mère bouillonnait d’effervescence. Ma tante déballait ses maillots de bain à froufrous et nous les gosses, pouffions de rire en la voyant minauder devant la glace de l’armoire. Mon père était revenu du centre du village, un énorme poste de télévision Radiola entre les bras. Grand-mère le houspilla car l’engin prenait la place de ses bibelots et autres napperons de dentelle mais surtout, elle avait été obligée d’exiler la vierge Marie, son repère, dont la robe blanche et bleue clignotait comme un phare dans l’obscurité. - C’est pour cette nuit annonça papa tout excité. Je vous réveille les enfants.
Le sommeil fut long à venir, le ciel était agité de nuages noirs précurseurs d’orage. A deux heures tapantes, notre père en pyjama nous secoua. Mon frère grognait et moi, je descendis l’escalier grinçant quatre à quatre, prêt à admirer le spectacle. Toute la famille était vautrée dans le canapé du salon éclairé par une lumière surnaturelle. Mon père alluma le poste avec des gestes précautionneux.
Le spectacle : de la neige et le son qui va avec. Le visage de papa passa par toutes les couleurs de l’arc en ciel. Il tripota les boutons en jurant et nous les vîmes enfin à l’écran. Les astronautes sautillaient, ridicules dans leurs combinaisons blanches sur le sol lunaire.
- Ils ont aluni sur la mer de la Tranquillité claironna mon père.
- C’est pas une mer, c’est juste de la poussière, dit Jeannot avant de se taire, le bec cloué par le regard noir du paternel.
Armstrong en tâtant du pied gauche le sol lunaire pour en vérifier la résistance, avançait la bannière étoilée à la main. Rejoint par Aldrin, ils le plantèrent sur le sol dans un geste patriotique.
- Un petit pas pour l’homme mais un bond de géant pour l’humanité.
Ces mots résonnèrent dans le silence. Les aiguilles de l’antique horloge indiquaient 3h56 et nous vivions en direct les premiers pas de l’homme sur la lune. Je regardais mon père, absorbé par l’écran quand ce dernier se brouilla définitivement lors d’un coup de tonnerre retentissant.
- Il faut que les enfants dorment dit grand-mère d’un ton péremptoire et joignant le geste à la parole éteignit le poste.
Impossible de dormir. Je me retournais dans le petit lit de fer. J’étais un super astronaute et je quittais la terre à bord d’une fusée encore plus impressionnante qu’Apollo.
Aujourd’hui j’ai dix ans et je viens de vivre une sacrée journée même si elle ne fait que commencer. Une journée à graver dans la mémoire universelle.

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