Ça a failli !
- Une p’tite pièce … pour manger, s’il vous plait …Il est vieux Georges. Vieux et pas très propre dans son manteau gris. Dans le coin d’une porte cochère dans ce quartier commerçant et plutôt chic, il attend. Assis à même le sol, avec son chien à l’oreille cassée endormi sous une vague couverture. Il ne tend même plus son gobelet de plastique blanc. Il l’a posé devant lui, près d’une pancarte en carton.
Ce soir, germe en lui un doute inhabituel, dérangeant. C’est ça, « dérangeant » marmonne Georges ...
Des fois il se gratte la tête, découvrant une chevelure clairsemée et qui a du être abondante, dans le temps. On ne lui donne pas vraiment d’âge à Georges. Lui ne sait plus tout à fait. Et puis il s’en fout. Tout le monde s’en fout. Ce drôle de doute s'insinue encore un peu plus loin.
L’été il est là aussi. Son chien est alors étendu sur son manteau. Georges arbore un tee-shirt avec un Panda, disant qu’il faut sauver les espèces en voie de disparition. Il a jamais vu de tee-shirt disant qu’il faut sauver les hommes en voie de disparition. C’est comme ça. La vie est comme ça.
Dans l’angle opposé, un personnage engoncé dans un énorme anorak, caché sous un bonnet à oreilles en fourrure, agite une cloche montée sur un trépied. A ses pieds, un petit magnétophone diffuse des chants de Noël. « Douce nuit, sainte nuit » murmure Georges. Ou encore « Vive le vent, vive le vent ». Alors il chantonne aussi, Georges, dans sa barbe, en caressant Toto-le-toutou qui se serre un peu plus contre lui. Le bonhomme qui ressemblerait à un ours brun si il n’avait son panneau de l’Armée du Salut, ne l’a jamais regardé ni bien entendu adressé la parole. C’est comme ça, pense Georges. La vie est comme ça. « Ça y est » qu’il pense. Cette année p't'être ben que j'vais pas y aller tiens !
Le
soir, quand le froid devient vraiment piquant, Georges rentre « chez
lui ». Car il a un chez lui. Une espèce de cave, dans les sous-sols d’un
immeuble bourgeois. Le concierge qui est un brave homme ferme les yeux,
mais lui demande de ne pas faire de bruit, de faire bien attention à ce
que personne le voit, sinon il pourrait « perdre sa place de concierge
». Georges sourit doucement, dit « oui monsieur, merci bien » et veille à
rester très discret quand il rentre par le parking.
Maintenant, il est sûr, enfin presque. Le doute a creusé profond, jusqu’au tréfonds de son cœur. Il s'est bien installé dans un nid de triste amertume. Il ira pas. Pourquoi j’irai, qu’il pense, pour leur faire plaisir, à ces gens-là, sans cœur, sans regard pour les autres, sans compassion, sans amour, ou tellement peu, ou tellement détourné vers le matériel. C'est certain, Georges, il ira pas. Tant pis pour leurs gueules. Il se lève, embarque Toto-le-toutou, la couvrante, le manteau. Il veut saisir le gobelet, mais il le heurte maladroitement. Les quelques pièces roulent au bord du trottoir. Il va pour les ramasser en tremblant presque. « Attendez, m’sieur on va vous aider ». Georges se retourne et découvre deux gamins, un black et un autre tout blond, qui lui sourient, un peu timides. Ils attendent pas, se baissent et remettent toutes les pièces dans le gobelet qu’ils lui tendent avec un grand sourire.
Et puis le petit black prend dans sa poche un billet froissé de dix euros et le rajoute. « C’est maman qui nous a dit de vous l’donner m’sieur ». Georges peut à peine bouger. Il regarde un peu plus loin un petit bout de femme emmitouflée qui lui sourit. Les gamins la rejoignent en courant. Ils lui font un signe de la main et reprennent leur chemin.
Alors brutalement Georges se dit qu’il ne doit plus avoir de doute et que cette année encore, il va y aller et vite. Qu'il est peut-être même à la bourre. Il se glisse dans sa cave encombrée de cartons, d’objets divers ramassés au gré de ses journées. Il écarte tout ça d’un geste large et découvre une autre porte dans le mur du fond. « Allez, Toto, on y va ! » et pousse le battant qui grince un peu.
- Salut patron. J’ai cru que vous seriez en retard ce soir.
- Tu sais bien que je suis jamais en retard. Tout est prêt ?
- Tout, patron. Vous pouvez y aller.
Georges se gratte la gorge, tousse un bon coup et dit d’une voix forte : - ho, ho, ho … ho, ho, ho … c’est bon, on peut y aller. Il vérifie le harnachement des rennes qui piaffent d’impatience. L’immense rideau de nuage s’ouvre en silence et le traineau s’élance pour son voyage annuel autour du monde.
Maintenant, il est sûr, enfin presque. Le doute a creusé profond, jusqu’au tréfonds de son cœur. Il s'est bien installé dans un nid de triste amertume. Il ira pas. Pourquoi j’irai, qu’il pense, pour leur faire plaisir, à ces gens-là, sans cœur, sans regard pour les autres, sans compassion, sans amour, ou tellement peu, ou tellement détourné vers le matériel. C'est certain, Georges, il ira pas. Tant pis pour leurs gueules. Il se lève, embarque Toto-le-toutou, la couvrante, le manteau. Il veut saisir le gobelet, mais il le heurte maladroitement. Les quelques pièces roulent au bord du trottoir. Il va pour les ramasser en tremblant presque. « Attendez, m’sieur on va vous aider ». Georges se retourne et découvre deux gamins, un black et un autre tout blond, qui lui sourient, un peu timides. Ils attendent pas, se baissent et remettent toutes les pièces dans le gobelet qu’ils lui tendent avec un grand sourire.
Et puis le petit black prend dans sa poche un billet froissé de dix euros et le rajoute. « C’est maman qui nous a dit de vous l’donner m’sieur ». Georges peut à peine bouger. Il regarde un peu plus loin un petit bout de femme emmitouflée qui lui sourit. Les gamins la rejoignent en courant. Ils lui font un signe de la main et reprennent leur chemin.
Alors brutalement Georges se dit qu’il ne doit plus avoir de doute et que cette année encore, il va y aller et vite. Qu'il est peut-être même à la bourre. Il se glisse dans sa cave encombrée de cartons, d’objets divers ramassés au gré de ses journées. Il écarte tout ça d’un geste large et découvre une autre porte dans le mur du fond. « Allez, Toto, on y va ! » et pousse le battant qui grince un peu.
- Salut patron. J’ai cru que vous seriez en retard ce soir.
- Tu sais bien que je suis jamais en retard. Tout est prêt ?
- Tout, patron. Vous pouvez y aller.
Georges se gratte la gorge, tousse un bon coup et dit d’une voix forte : - ho, ho, ho … ho, ho, ho … c’est bon, on peut y aller. Il vérifie le harnachement des rennes qui piaffent d’impatience. L’immense rideau de nuage s’ouvre en silence et le traineau s’élance pour son voyage annuel autour du monde.
Tout juste !
RépondreSupprimerC'est bien ainsi que j'aime me figurer comment la magie de Noël opère : Tant Qu'il Y Aura des Hommes... de bonne volonté.
Merci pour ce conte de circonstance, l'Arpi-ami ♥.