vendredi 7 juillet 2017

Arpenteur d'Etoiles - La pluie nous souriait


J’ai eu dans une de mes nombreuses vies professionnelles un DG belge, wallon de surcroît. De personnalité assez complexe il était à la fois bon vivant, convivial, soupçonneux, paternaliste, méfiant, indiscret, soupe au lait, colérique, drôle, matois, président du Lion’s de Charleroi et ressemblait d’assez prêt à Horst Tappert, c’est à dire à Derrick (on applaudit dans les maisons de retraites, s’il vous plait). Il nous appelait « fieu » ou « m’fi » avait un accent incomparable, aimait les américanos et était doté d’un réel sens de l’humour.
Le petit texte qui suit raconte une anecdote véridique arrivée lors d’une de ces tournées « comptes clés « (key account … on est dans une boîte internationale, oui ou non ?) effectuées avec lui (en l’occurrence à Clermont-Ferrand). Ces visites là consistaient essentiellement à inviter les meilleurs clients dans les meilleurs restaurants de la ville, puis à échanger des banalités entre 16 et 18 heures avant de reprendre la route vers d’autres aventures.

BALLADE AUVERGNATE ou BOURREE BELGE

Encore un jour et puis après un jour encore
La route est un chemin de pluie.
Elle bat la vitre contre laquelle un homme dort
Et qui paisiblement sourit

Ce matin, avril avait fermé l’horizon
Jusqu’aux confins des monts d’Auvergne.
Un vent glacé hurlait sur le toit des maisons
Et courbait la tête aux grands chênes.
Depuis Clermont où les colères des volcans
Grondent dans le ventre des pierres,
Aux marches du Velay encore rouges du sang
Des maquis de la dernière guerre,
Nous roulions dans les brumes, tranquilles, sans mot dire :
Ce jour là, le Belge était taiseux.
Mais il est des silences bavards ; il faut dire
Que la veille, c’était copieux !

La veille était bordeaux et poularde à la crème,
Magret, dos de sole grillé,
Médaillon de foie gras et son verre de Sauternes,
Sabayon au champagne glacé.

La veille était aussi dos cassé, sciatique,
Grimaces et claudication,
Les escaliers semblaient des Everest tragiques,
Un pas : une abomination.

… tiens, il bouge …

- Dis donc fieu, ne serait-ce pas là ton GSM ? –
- Bien sur, mais il ne marche pas ! –
- Allei, ça va, laisse faire le Papa – Il aime
Se mêler de ce qui ne le regarde pas.

- Mais tu connais une fois un Wilfried, sans doute ? ! –
- Zut … il est dans mon répertoire ! –
J’enrage mais ne dit mot, le regard sur la route
Qui se transforme en patinoire.

La pluie redoublait de violence ; chaque virage
Etait un exploit, un instant
D’angoisse ; le brouillard se confondait aux nuages
Pressés par la folie des vents.

… flots de paroles dans la tourmente …

Puis le silence ; étrange. Je risque un oeil furtif
La bouche ouverte et le teint pâle,
Il me fait peur ; il est Dantès au château d’If …
… La main crispée sur mon portable.

Il porte en cet instant les souffrances du monde.
Un peu d’écume au coin des lèvres
Forme un filet gouttant sur sa bedaine ronde.
- Arrête vite
– Le souffle est court, la phrase brève.

Je freine tout de suite et range la voiture
Sur l’herbe, tout au bord du fossé.
Penché sous la pluie drue, il rend à la nature
Un peu du petit déjeuner.

J’ai voyagé avec Pathos ;
Heureusement
Eros non plus que Thanatos
N’étaient présents

Il y a longtemps chez cet homme qu’Eros ne bande
La corde à son arc courtois
Quant à la camarde finalement, à tout prendre
Elle n’a que faire de Charleroi.

Elle ne daigne pour lui, tirer de sous les plis
De son linceul, sa longue faux …
A moins qu’il ne lui rende son âme en sursis
Dans un verre d’américano
Et son corps, bien sur, dans une bière … d’abbaye

… / …

Encore un jour et puis après un jour encore
La route est un chemin de pluie.
Elle bat la vitre contre laquelle un homme dort
Et qui paisiblement sourit.


3 commentaires:

  1. Avec le temps va tout volcan...
    excepté les souvenirs d'antan, les p'tits soucis près du Sancy et les chopages de boules du côté de La Bourboule !

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  2. Deux de conduite ou d'inconduite ! Ton texte mérite bien plus... Fieu ];-D

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  3. C'est tout simplement superbe l'Arpenteur ! Tout y est : la narration de l'aventure faite exactement pour nous la faire partager, l'humour et en préambule et fin, un quatrain très poétique. J'ai adoré ! Bravo !

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