dimanche 16 juillet 2017

Plume vive - On ne va pas en faire une pendule

Il tourna et retourna le morceau de bois dans ses mains. Une antilope du désert ? La teinte blonde de l'objet le faisait voyager par-delà le sable qui s'étend à perte de vue… Il ne fut pourtant pas convaincu.

Il gratta du doigt la fine écorce de la bûche et pensa immédiatement à un club de golf. Une idée fugace et plutôt incongrue compte tenu de la taille de l'élément à façonner. Ou alors un club de golf pour souris. Cette pensée le fit rire quelques secondes silencieusement, sa barbe se trémoussant au rythme de sa poitrine qui se soulevait.

L'œil plus proche du grain végétal, une sensation d'intemporalité le saisit. C'est sûr, on n'allait pas en faire une pendule de ce bout de bois. Il en émanait quelque chose de beaucoup plus profond que le temps qui passe, comme une invitation à passer les années, à les regarder s'enfuir, sans s'en soucier. Comme si l'histoire pouvait se répéter et mystérieusement ne jamais être la même.
Alors lui vint l'inspiration. Une plume. Voilà qui irait parfaitement. Des dizaines de plumes, même, grâce à la longueur de l'objet. Des plumes pour accompagner des dizaines d'auteurs. Musique, mots, chiffres, toutes les compositions trouveraient plus de sens avec une plume sortie de cette bûche qui semblait habitée.

Inlassablement, il tailla des bûchettes pour en faire des plumes d'écriture, parfaitement polies, douces et arrondies. Son ami ferrailleur l'aida à ciseler de parfaites pointes, qui trouvèrent facilement place au bout de chaque tige travaillée, comme si tout cela coulait de source, finalement.

C'est ainsi que trente-sept plumes virent le jour et qu'elles satisfirent trente-sept écrivains.

Sept d'entre eux étaient comptables, dont un renommé pour être un parfait grippe-sou. L'histoire ne dit pas si la plume l'assagit, mais l'artisan savait que détenir un morceau de ce bois si parfait ne pouvait laisser insensible son propriétaire. Neuf étaient des musiciens amoureux, qui de leurs mélodies, qui de leurs demoiselles… Tous étaient toqués de leur nouvelle plume. Ils avaient même l'impression que grâce à elle, le monde allait tourner mieux. Cinq enseignaient à des classes plus ou moins grandes, et plus ou moins jeunes. Les élèves, de sept à vingt-quatre ans, remarquèrent bien, eux, que quelque chose avait changé. Mais ils n'auraient jamais su dire que cela venait du petit bout de bois que leur instituteur ou professeur manipulait à longueur de journée. Qui l'aurait cru de toute façon ? Quatre se trouvaient entre les mains de jeunes gens, assis sur les bancs d'école. Evidemment, les insanités n'ont jamais trouvé plus belles encre sur les bureaux en bois et les devoirs, plus jolies tâches sur le papier. Deux furent cassées rapidement, avant même de trouver preneur, sur le chemin qui les séparaient de l'atelier d'ébénisterie du commerce où les plumes étaient vendues.

Il en restait une petite dizaine, dont chacune rendit heureux son propriétaire. Un jeune diplômé en quête d'un emploi, qui signa son premier contrat avec… Un itinérant qui finit sa carrière sur une belle vente, grâce à la discussion ouverte au sujet de la plume en question… Une mère de famille qui adorait tant écrire des lettres aux siens que son mari avait gâtée pour l'anniversaire tout juste passé… Une vieille dame qui s'extasiait sur chaque objet travaillé par l'artisan, amoureuse secrète, et transie, s'il vous plaît ! Des jumeaux, qui scellèrent leur pacte de vie séparée avec chacun leur plume… Un petit frère qui connaissait le goût immodéré de son aînée pour les plumes en tous genres, qui couvait le cadeau en attendant de la revoir pour noël… Le buraliste qui aimait faire ses mots-croisés avec style… L'employé des pompes funèbres qui, lui, faisait ses rapports avec panache… La concierge qui reçut l'objet en récompense de service fourni, et qui ne savait pas bien comment s'en servir… Et votre dévouée, qui la regarde constamment, son imagination débordante se nourrissant sans aucun doute de ces contemplations, imagination parfois loufoque, souvent sans dessus-dessous, et de temps en temps… tardive!

5 commentaires:

  1. magnifique conte, à la mesure de ta plume, et de ton retour depuis quelques temps ici

    si cet artisan merveilleux pouvait passer chez les Impromptus, afin de les aider à réveiller un peu ce site !

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    1. Merci Tisseuse <3

      Si ma plume, en toute humilité, peut aider à bousculer un peu les coulisses, n'hésite surtout pas ;-)

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    2. En fait, je voudrais ici dire un GRAND merci à ce site, à l'équipé derrière, à toute cette inspiration que les Impromptus m'apportent depuis des années et au pied à l'étrier que l'exercice hebdomadaire me met à chaque fois.

      Moi qui me crois toujours vide lorsque je n'exerce plus ce plaisir, moi qui pense sincèrement ne jamais pouvoir aller plus loin dans mes écrits d'à-côté (nouvelles et d'autres) revenir ici me fait toujours un bien fou !

      C'est avec plaisir que je rendrai l'appareil si besoin, je suis prête ! Je le sais aujourd'hui car je ne m'offusque plus de laisser une coquille ici ou là par défaut de relecture avant d'envoyer, seul l'intensité de l'écriture compte à présent, et le plaisir du partage.

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