Quatorze ans (1968) et deux amis très chers
Le long des couloirs de l’imposant collège, glissent les ombres des pères en soutane et les rangs des pensionnaires. J’ai quatorze ans, des copains une vraie raquette de tennis Donnay, un vrai ballon de foot Duarig. Un printemps de cerisier en fleur, immense et bruissant d’abeilles ivres de pollen. Pourtant j’apprivoise doucement celle qui ne me quittera plus, la solitude.
Ma famille c’est d’abord Elle : un doux visage encadré de cheveux blancs, un regard bleu si tendre, un tablier gris toujours en mouvement devant le fourneau à barre de laiton, un parfum de lavande. L’image simple d’un amour simple. Elle, c’est ma grand-mère.
C’est la classe de la communion solennelle, selon la tradition de l’institution mariste où je suis depuis six années. Trois jours de retraite dans un couvent perdu dans la nature. La vie en communauté, les cellules monacales, beaucoup de sport, des moments de réflexion, les messes, les prières, la chorale élévatrice et vibratoire. Ensemble on chante les cantiques en latin mais, quand les guitares sortent enfin de leurs housses, on chante également ceci :
Le long des couloirs de l’imposant collège, glissent les ombres des pères en soutane et les rangs des pensionnaires. J’ai quatorze ans, des copains une vraie raquette de tennis Donnay, un vrai ballon de foot Duarig. Un printemps de cerisier en fleur, immense et bruissant d’abeilles ivres de pollen. Pourtant j’apprivoise doucement celle qui ne me quittera plus, la solitude.
Ma famille c’est d’abord Elle : un doux visage encadré de cheveux blancs, un regard bleu si tendre, un tablier gris toujours en mouvement devant le fourneau à barre de laiton, un parfum de lavande. L’image simple d’un amour simple. Elle, c’est ma grand-mère.
C’est la classe de la communion solennelle, selon la tradition de l’institution mariste où je suis depuis six années. Trois jours de retraite dans un couvent perdu dans la nature. La vie en communauté, les cellules monacales, beaucoup de sport, des moments de réflexion, les messes, les prières, la chorale élévatrice et vibratoire. Ensemble on chante les cantiques en latin mais, quand les guitares sortent enfin de leurs housses, on chante également ceci :
Quand tous les affamés
Et tous les opprimés
Entendront tous l’appel
Le cri de liberté
Toutes les chaînes brisées
Tomberont pour l’éternité.
Je l’ai vécu ainsi, candide et confiant. Au retour, le collège est clos. Tous les établissements scolaires sont fermés. Grève générale dit-on. La cérémonie aura lieu malgré tout. Des dizaines de prêtres, une armée d’enfants de chœur en surplis blanc et nous en aubes avec croix de bois et cierges, et les grandes orgues de la chapelle. Le soleil traverse les somptueux vitraux classés et nous habille d’or et d’azur. Au repas, la famille, mes chers cousins, un ami. Il en reste deux photos pâlies, prises dans le jardin.
Et tous les opprimés
Entendront tous l’appel
Le cri de liberté
Toutes les chaînes brisées
Tomberont pour l’éternité.
Je l’ai vécu ainsi, candide et confiant. Au retour, le collège est clos. Tous les établissements scolaires sont fermés. Grève générale dit-on. La cérémonie aura lieu malgré tout. Des dizaines de prêtres, une armée d’enfants de chœur en surplis blanc et nous en aubes avec croix de bois et cierges, et les grandes orgues de la chapelle. Le soleil traverse les somptueux vitraux classés et nous habille d’or et d’azur. Au repas, la famille, mes chers cousins, un ami. Il en reste deux photos pâlies, prises dans le jardin.
Quelque part à Paris on dit « sous les pavés la plage ». On écrit sur les murs « il est interdit d’interdire ». Partout on entend barricades, Sorbonne, Nanterre, cocktails molotov. Un général président et lettré ressuscite la « chienlit » pour l’effarement admiratif des journalistes. J’ai déjà renoncé à comprendre comment va le monde. Je lis Pagnol et Tintin, Sherlock Holmes et Bob Morane, Colette et Giono. L’oreille collée au transistor rouge et beige, le jeudi après midi, j’écoute Europe numéro un :
Nights in white satin
Never reaching the end
Letter I’ve written
Never meaning the send
Ecoute Frédéric, écoute. Nous avions vingt huit ans à nous deux.
Ecoute depuis le jardin sous lequel tu dors :
Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Nothing is real and nothing to get hungabout.
Strawberry Fields forever …
La révolution est en marche.
Ecoute, Norbert, écoute. Plus tard on sera pilotes de longs courriers.
Ecoute depuis Berlin, ou depuis les Marquises :
Alors chu reparti, sur québecair, transworld, northern
Easthern, western pi pan american
Mais ché pu ou j’chu rendu …
C’est l’année de mes quatorze ans, et la vie s’écoule, remplie de mes rêves d’avenir.
Nights in white satin
Never reaching the end
Letter I’ve written
Never meaning the send
Ecoute Frédéric, écoute. Nous avions vingt huit ans à nous deux.
Ecoute depuis le jardin sous lequel tu dors :
Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Nothing is real and nothing to get hungabout.
Strawberry Fields forever …
La révolution est en marche.
Ecoute, Norbert, écoute. Plus tard on sera pilotes de longs courriers.
Ecoute depuis Berlin, ou depuis les Marquises :
Alors chu reparti, sur québecair, transworld, northern
Easthern, western pi pan american
Mais ché pu ou j’chu rendu …
C’est l’année de mes quatorze ans, et la vie s’écoule, remplie de mes rêves d’avenir.
J'ai tout retrouvé... J'en avais quinze... Merci l'Arpenteur de souvenirs!
RépondreSupprimernos souvenirs sont proches et notre âge aussi :)
SupprimerGraeme Allwright, et tous les autres ... j'avais 16 ans, et ces souvenirs sont le plus souvent "comme si c'était hier. Merci de les faire revivre.
RépondreSupprimerLOIC
entre le collège mariste et les copains, la radio, le Teppaz et les 45 tours, la vie était belle :)
SupprimerJ'avais 18 ans en 1968 ! mais plus ou moins à l'abri des agitations marseillaises mes parents ayant opté pour un enseignement "privé" ! mais comme chri le dit, j'ai tout retrouvé aussi..... et ça fait nostalgiquement du bien ! merci Arpenteur !!
RépondreSupprimerGibulène
la nostalgie est parfois tellement appréciable ...
SupprimerCurieux, ces ressemblances. J'avais onze ans en mai 68 et le 19 exactement, je faisais aussi ma communion solennelle. La retraite se faisait dans mon école (je dirais presque malheureusement car un peu de verdure m'aurait plu (ou pas, c'eût peut-être été pire). L'agitation de Paris nous laissait perplexes, pourrait-on partir en vacances ou pas? Mon aîné, lui, 18 ans, faisait mai 68 comme il pouvait. A la fac de Lettres de l'université que je fréquenterais plus tard, les étudiants demandaient un cours de sociologie de la littérature. Plus tard, ils recevraient un cours de sociologie générale, donné par un homme politique belge célèbre (et ses assistants), cours éliminatoire... Destiné à toute la faculté de philo et lettres en deuxième année. C'est ça la Belgique...
RépondreSupprimerj'aime la Belgique, j'y ai travaillé bien souvent (siège à Bruxelles et plusieurs usines)
Supprimeret mai 68 était incroyable :o)
Lindbergh... Charlebois... Mai 68 j'ai près de 29 ans ! Les gaz lacrymos dans le métro, Les prolos n'ont rien à perdre... Sauf leurs chaînes ];-D
RépondreSupprimerj'ai toujours aimé Charlebois et son accent québécois ... quant à Paris en 68, j'étais dans une ville de Province, un peu bourgeoise et ouvrière et finalement quelques défilés mais sans trop de casse ... et puis 14 ans, je m'en fichais un peu :o)
SupprimerJ'aime beaucoup ton texte. Le ton, le rythme. Je n'étais pas né ( même si pas loin de l'être ) mais ton texte me parle. Le monde qui va sans que l'on comprenne comment, la solitude, et puis la bande son. Bravo.
RépondreSupprimerPatrick.
encore merci Patrick ; les souvenirs sont très prégnants et mes amis chers ont disparus (Frédéric s'est suicidé à Paris) et Norbert je ne sais pas où il est ...
Supprimerhé hé !!!
RépondreSupprimercomme tu le sais trop bien, j'avais 4 ans et demie, et sur la photo de ta communion solennelle je suis bien petite sur la photo pâlie...
comme ce temps me semble loin, même si j'ai regretté plus tard de ne pas avoir vécu cette époque à l'heure adolescente
et oui la photo avec ton frère, ta sœur, toi petite et jolie et mon ami Norbert ...de bons souvenirs éternels ...
SupprimerJ'avais ...pas l'âge de vivre ça avec passion, comme on le vit à l'adolescence.
RépondreSupprimerJe me souviens juste de ne pas avoir eu école pendant un mois...
Beau récit, l'Arpenteur !
¸¸.•*¨*• ☆
En même temps que nous faisions la révolution, le parc Pasteur, qui séparait à Orléans le lycée Pothier (garçons) et le lycée Jean Zay (ce héros), (jeunes filles) est devenu un vrai jardin au mois de mai
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