Problèmes de voisinage
J’entendis à l’aube le braiement de l’âne gratter à la fenêtre. Le jour qui se hissait par-dessus les collines rehaussait les chardons qu’un rayon de lune rousse avait dessinés sur la vitre givrée. Quand j’ouvris la croisée, j’aperçus une écharpe grise, irisée de tourmaline, qui tournait autour du tilleul à l’écorce gercée. Je ris doucement. Je mis un marque-page à mon rêve, enfilai mes pantoufles, et descendis de mon galetas par l’échelle de meunier. La voie lactée avait parsemé le jardin de gelée blanche. Je traversai la cour. À l’aplomb du colombier, sous le larmier de carreaux vernissés, étaient posés dans l’herbe de petits sacs en toile de jute, noués par des brins de sarriette.
Je les posai sur la table de la cuisine. Quel voyage ! Des morceaux cotonneux de nuages étaient restés accrochés aux lanières. Il ne me tardait pas de les défaire, car il y a un temps pour le ravissement, et j’eus la force d’âme de commencer par me préparer du café. Mais quand mon impatience fut sur le point de déborder comme la casserole de lait posée sur le feu, je me précipitai pour les ouvrir, à m’en casser les ongles, et tous tes mots d’amour ruisselèrent, comme le faramineux butin d’un monte-en-l’air. Des parfums de mimosa et l’odeur de biscuit des feuilles de figuier sauvage se mirent à galoper dans toutes les pièces comme des enfants à une fête d’anniversaire. Ma joie soudain à l’étroit dans la maison, j’ouvris la porte en grand. Ma voisine étendait le linge dans son pré de luzerne, des robes que le vent tressait en chignons, et les bleus de travail, raides comme le devoir, de ses trois fils. Elle me héla par-dessus la haie de genêts.
« Ils en ont fait un foin en rentrant, vos pensionnaires, la nuit dernière. Quelle heure était-il donc ?
- Faut pas leur en vouloir, ils avaient survolé des vignobles. Ils sont là, aujourd’hui, vos petits-enfants ? » Ils surgirent, barbouillés de craie et de boutons d’or écrasés. Je cachais derrière mon dos le petit sac que, chaque fois, tu as soin de joindre à leur intention, rempli de mots câlins qu’ils fourrèrent dans les poches de leurs tabliers. « Vous voyez comme c’est bien, d’apprendre à lire.
- Et vous, vous savez à quelle heure il se lève, mon fils ? »
Elle parlait de son aîné. J’étais en train de garnir une tarte de mots d’amour et les recouvrir de vergeoise quand lui-même toqua à la porte pour me poser la même question. Il est désosseur-pareur à Saint-Méen-le-Grand, qui n’est pas la porte à côté, et commence vraiment très tôt. Quand tes mots d’amour me manquent et que je dors mal, je vois sa fenêtre s’éclairer à quatre heures du matin. « Vous finissez tôt, du coup, ça c’est un avantage. »
Je me pourléchais encore en picorant les miettes, et je lisais, je lisais sans me lasser, quand je remarquai que le cadet, dont sa mère regrette qu’il soit toujours célibataire à son âge, se tordait le cou derrière la fenêtre pour arriver à lire à l’envers les mots si tendres que tu avais écrits pour moi seul. « Qu’est-ce que vous allez faire de tout ça, pour vous tout seul ? » me demanda-t-il, se sentant observé, mais il n’eut pas le temps d’écouter ma réponse, car un collègue l’attendait en klaxonnant pour partir à l’usine de découpe de Helléan, où ils travaillent en trois huit.
J’entendis à l’aube le braiement de l’âne gratter à la fenêtre. Le jour qui se hissait par-dessus les collines rehaussait les chardons qu’un rayon de lune rousse avait dessinés sur la vitre givrée. Quand j’ouvris la croisée, j’aperçus une écharpe grise, irisée de tourmaline, qui tournait autour du tilleul à l’écorce gercée. Je ris doucement. Je mis un marque-page à mon rêve, enfilai mes pantoufles, et descendis de mon galetas par l’échelle de meunier. La voie lactée avait parsemé le jardin de gelée blanche. Je traversai la cour. À l’aplomb du colombier, sous le larmier de carreaux vernissés, étaient posés dans l’herbe de petits sacs en toile de jute, noués par des brins de sarriette.
Je les posai sur la table de la cuisine. Quel voyage ! Des morceaux cotonneux de nuages étaient restés accrochés aux lanières. Il ne me tardait pas de les défaire, car il y a un temps pour le ravissement, et j’eus la force d’âme de commencer par me préparer du café. Mais quand mon impatience fut sur le point de déborder comme la casserole de lait posée sur le feu, je me précipitai pour les ouvrir, à m’en casser les ongles, et tous tes mots d’amour ruisselèrent, comme le faramineux butin d’un monte-en-l’air. Des parfums de mimosa et l’odeur de biscuit des feuilles de figuier sauvage se mirent à galoper dans toutes les pièces comme des enfants à une fête d’anniversaire. Ma joie soudain à l’étroit dans la maison, j’ouvris la porte en grand. Ma voisine étendait le linge dans son pré de luzerne, des robes que le vent tressait en chignons, et les bleus de travail, raides comme le devoir, de ses trois fils. Elle me héla par-dessus la haie de genêts.
« Ils en ont fait un foin en rentrant, vos pensionnaires, la nuit dernière. Quelle heure était-il donc ?
- Faut pas leur en vouloir, ils avaient survolé des vignobles. Ils sont là, aujourd’hui, vos petits-enfants ? » Ils surgirent, barbouillés de craie et de boutons d’or écrasés. Je cachais derrière mon dos le petit sac que, chaque fois, tu as soin de joindre à leur intention, rempli de mots câlins qu’ils fourrèrent dans les poches de leurs tabliers. « Vous voyez comme c’est bien, d’apprendre à lire.
- Et vous, vous savez à quelle heure il se lève, mon fils ? »
Elle parlait de son aîné. J’étais en train de garnir une tarte de mots d’amour et les recouvrir de vergeoise quand lui-même toqua à la porte pour me poser la même question. Il est désosseur-pareur à Saint-Méen-le-Grand, qui n’est pas la porte à côté, et commence vraiment très tôt. Quand tes mots d’amour me manquent et que je dors mal, je vois sa fenêtre s’éclairer à quatre heures du matin. « Vous finissez tôt, du coup, ça c’est un avantage. »
Je me pourléchais encore en picorant les miettes, et je lisais, je lisais sans me lasser, quand je remarquai que le cadet, dont sa mère regrette qu’il soit toujours célibataire à son âge, se tordait le cou derrière la fenêtre pour arriver à lire à l’envers les mots si tendres que tu avais écrits pour moi seul. « Qu’est-ce que vous allez faire de tout ça, pour vous tout seul ? » me demanda-t-il, se sentant observé, mais il n’eut pas le temps d’écouter ma réponse, car un collègue l’attendait en klaxonnant pour partir à l’usine de découpe de Helléan, où ils travaillent en trois huit.
Des confitures. J’avais mis à macérer des mots d’amour avec la moitié de leur poids de sucre blond de canne, dans une bassine de cuivre. La maison embaumait. Plus tard, j’en mis entre les draps pliés de l’armoire de ma chambre, et même sous mon oreiller, et j’étais en train d’arranger un bouquet avec les plus jolis, quand j’entendis le benjamin, qui avait fini sa journée de ramasseur de volailles à La Chapelle Caro, brutaliser la boîte de vitesses en arrivant, en même temps que sa bétaillère, agressive, escamotait à mes yeux le soleil couchant. Il descendit de la cabine et leva les yeux vers moi, que le bruit avait attiré à la fenêtre.
« Vous êtes content de vos volatiles, ça va ? C’est des couche-tard, hein.
- Vous en faîtes pas, ils ne vont pas faire de vieux os, ce soir. Demain, ils ont de la route. »
Car cette nuit, je t’écris des mots d’amour. Avec des abeilles et des genêts, de la santoline au pied du pommier et le camélia défleuri, les grands nacrés du jardin et les morios du buddleia, le paon du jour aux ailes fermées de velours noir, les ajoncs épineux et les mûres au bord des chemins creux, les bretonnes pie noir ruminant le printemps dans les quatre poches de leur estomac, les grenouilles et les gallinules de la mare, les aigrettes dans les héronnières, la salicorne qui rouille dans les marais, la falaise molle de la mine d’or et les tournepierres courant sur l’estran, et la criste marine, qui sent la carotte. Le clair de lune trace une fenêtre de guingois sur ma table, l’âne s’ennuie dans son pré frissonnant, et moi qui t’écris, souriant, sans un œil pour les hespérides.
Quand j’eus fini de t’écrire ces mots d’amour infini, j’imitai le cri de la chouette pour réveiller les pigeons voyageurs. La lune rousse roucoulait à la cime du tilleul. Ils décrivirent trois cercles au-dessus de la maison, le premier langoureux, les suivants joyeux et braillards, puis ayant fait savamment le tour de la rose des vents, mirent le cap au sud pour te rejoindre, disparaissant derrière les collines, et leurs yeux de rubis se perdirent dans la voûte étoilée du ciel. Les fenêtres de la maison des voisins s’étaient allumées toutes à la fois. Il sera bien temps demain de discuter du problème. Comme tu es loin.
« Vous êtes content de vos volatiles, ça va ? C’est des couche-tard, hein.
- Vous en faîtes pas, ils ne vont pas faire de vieux os, ce soir. Demain, ils ont de la route. »
Car cette nuit, je t’écris des mots d’amour. Avec des abeilles et des genêts, de la santoline au pied du pommier et le camélia défleuri, les grands nacrés du jardin et les morios du buddleia, le paon du jour aux ailes fermées de velours noir, les ajoncs épineux et les mûres au bord des chemins creux, les bretonnes pie noir ruminant le printemps dans les quatre poches de leur estomac, les grenouilles et les gallinules de la mare, les aigrettes dans les héronnières, la salicorne qui rouille dans les marais, la falaise molle de la mine d’or et les tournepierres courant sur l’estran, et la criste marine, qui sent la carotte. Le clair de lune trace une fenêtre de guingois sur ma table, l’âne s’ennuie dans son pré frissonnant, et moi qui t’écris, souriant, sans un œil pour les hespérides.
Quand j’eus fini de t’écrire ces mots d’amour infini, j’imitai le cri de la chouette pour réveiller les pigeons voyageurs. La lune rousse roucoulait à la cime du tilleul. Ils décrivirent trois cercles au-dessus de la maison, le premier langoureux, les suivants joyeux et braillards, puis ayant fait savamment le tour de la rose des vents, mirent le cap au sud pour te rejoindre, disparaissant derrière les collines, et leurs yeux de rubis se perdirent dans la voûte étoilée du ciel. Les fenêtres de la maison des voisins s’étaient allumées toutes à la fois. Il sera bien temps demain de discuter du problème. Comme tu es loin.
Quelle chance elle a d'être aimée d'un poète !!
RépondreSupprimerHélas, ses parents veulent qu'elle épouse un ingénieur
SupprimerQuelle envolée, comme le dit Végas, ça n'est pas permis à tout le monde d'aimer de la sorte ... ];-D
RépondreSupprimerEt si ce n'était que des mots ? lui souffle sa meilleure amie
Supprimerouah !!!
RépondreSupprimerc'est qu'il fait ça à l'ancienne, avec pigeons voyageurs, et oiseau de nuit de surcroit :)
Un Pierrot la lune, matiné de Raymond Peynet :)
je blague, mais c'est tout bonnement magnifique !
C'est un genre qu'il se donne, lui murmure un amoureux éconduit
SupprimerSais-tu que tes mots d'amour sont un enchantement ? Ton avant-dernier paragraphe est un philtre puissant qui enguimauve les jambes et enrubanne la volonté jusqu'à en faire un petit tas mou sans consistance, alors on se laisse glisser et happer sans résistance dans un bien-être flou de brise douce et de fenêtre entrebâillée.
RépondreSupprimerOui, être aimée d'un poète c'est une chance inouïe.
Merci pour ce très beau texte, Bricabrac.
¸¸.•*¨*• ☆
Merci pour ce très beau commentaire, Célestine. Il me touche. Je m'en régale. Et même, car il est midi... mais seulement si tu veux bien... me permets-tu de m'en faire une brouillade, aux œufs de Marans et à la ciboulette
SupprimerUne brouillade ok...
SupprimerJ'espère que ça ne brouille pas les amis, une brouillade... :-)
un poème en prose et une prose poétique, je suis abasourdi par ton texte remarquable !
RépondreSupprimerOh merci. J'avais dans l'idée d'en faire un pantoum malais. Tu connaîtrais pas quelqu'un ? C'est dur de trouver un bon artisan, depuis que Leconte de Lisle a pris sa retraite
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