mercredi 19 avril 2017

Café Byblos - Une histoire de cloche

Pourquoi Maman ne mange-t-elle pas de chocolat ?

Un jour, j’ai découvert que maman ne mangeait pas de chocolat. C’était Pâques. J’avais au matin déniché, entre les deux portes qui ouvrent sur le balcon, de petits œufs Laura Secord qui ne pouvaient provenir que de la Pharmacie Grimard, à quelques maisons d’ici sur la grand’rue, et qu’y avaient laissés, sur un lit de paille jaune, verte, rose et bleue, toutes couleurs pastel, les cloches de mon église à leur retour de Rome où elles s’étaient rendues de leurs propres ailes et dès le début du carême pour y recevoir la bénédiction papale.
Plus tard dans la journée, comme un soupirant à une belle, je lui en offris un, un œuf à maman qui le refusa. Ma surprise, bien plus que ma déception, fut grande d’être ainsi éconduit. Je n’aurais pas cru, en mon âge d’alors, qu’une personne raisonnable, même un adulte, pût d’emblée refuser un si aimable présent, surtout venant d’un enfant. C’est si touchant. Je lui demandai donc pourquoi elle n’acceptait pas mon offrande.

Elle me regarda tendrement, me dit qu’elle avait fait un vœu, un vœu ? et afficha ce sourire qui montre à l’enfant que sa maman le comprend et l’excuse d’être petit et de ne pas savoir encore qu’on ne tente pas qui a fait vœu, et le respecte, de ne pas manger de chocolat parce que, jusqu’à ce que…
Je la laissai s’empêtrer dans ses pieuses explications et déposai l’œuf en chocolat, celui que je lui avais tendu et qu’elle avait refusé, dans la benne d’un petit camion que je faisais rouler sur la table de la cuisine recouverte d’une nappe de plastique. Broum-broum font les petits camions. « Ne nous induisez pas en tentation. » Le bruit de leurs moteurs imaginés couvre celui des orages qui grondent, au loin. « Pardonnez-nous nos péchés comme… »
Ce n’est que plus tard que j’appris ce que sont les offrandes votives et les sacrifices expiatoires ; et qu’un vœu peut être utile autant pour l’obtention d’une grâce que pour l’expiation d’une faute ; que la faute peut être sienne ou celle d’autrui ; que la grâce peut être pour soi ou pour autre que soi. Et c’est bien plus tard encore que je me demandai, au rappel fortuit de cet incident, quand et pourquoi maman avait fait ce vœu. Une faute à pardonner, une faveur à obtenir ? Je n’obtins pas de réponse puisque ce ne fut qu’à moi que je la posai, cette question qu’aussitôt j’oubliai. J’étais tout à ma vie, vivais au loin de la grand’rue et avais bien d’autres tracas.

Ce n’est qu’après la mort de tous mes chats et après que je n’eus plus rien ni personne à fouetter qu’elle me revint, la question. Qu’elle s’imposa. Comme le font dans le tard du temps toutes les autres questions demeurées depuis l’enfance sans réponse, ces questions étouffées sous l’accumulation des réponses données à celles que l’on n’a pas posées. Mais déjà le temps de l’inquiétude avait rendu obsolète l’espoir, l’appréhension du soir corrodé l’espérance du matin, le bruit des crécelles remplacé le branle des cloches. Les réponses toutes depuis longtemps mollissaient sous la peau sèche et craquelée des vieux tracas et des vieilles craintes.

7 commentaires:

  1. en peu de choses,au travers de cette histoire d'enfance, tu nous campes toutes les perceptions des âges de la vie, et du sens de nos actes, même en ce qui concerne une petite gourmandise :)

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  2. Il vaut mieux parfois ne pas savoir... ];-D

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  3. Les questions de l'enfance restent sans réponse, c'est peut-être leur tâche. L'essentiel est alors d'en parler avec cette légèreté et ce charme

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  4. Merci pour ce beau texte, profond sans être pesant, car il touche au plus sacré.
    LOIC

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  5. Un texte plus profond qu'il n'y paraît et qui pose de vraies belles questions ...
    Cela parle en chacun de nous, tous ces pourquoi irrésolus ...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  6. Des choses de l'enfance - même futiles - que l'on croyait oubliées, resurgissent parfois au détour d'une phrase, d'un évènement, on ne sait pourquoi. Tu en as parlé avec justesse et tact.

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  7. Arpenteur d'étoiles22 avril 2017 à 11:25

    l'enfance est toujours dans nos cœurs, on se souvient toujours de nos parents, de nos jouets, des chocolats, des chats et aussi du sacré oublié qui tout d'un coup nous brise le coeur

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