Fais-y voir le kil de Jaja, mon pote … ahhh y arrache mais c’est du bon … enfin si on veut … Un peu qu’j’m’y connais en picrate ! Si j’te disais tout ce que j’ai pu boire, mon pote … et du bon, crois-moi. Le vieux y s’y connaissait vachement en pinard. Le vieux, c’était mon dabe tu vois … Ouais, je veux qu’j’ai eu un dabe. Et un balaise en plus. On vivait sur les collines au-dessus de cette putain de ville. Tiens, viens un peu par là … regarde là-bas, après le clocher d’l’église … au fond … tu vois tous les grands arbres … et ben, parole, derrière c’était la baraque. Non j’raconte pas des conneries, sur la tête à ma mère, tiens j’te l’jure … tu vois qu’j’mens pas.
Ben ouais, j’ai eu une mère aussi. Vain dieu qu’elle était belle quand j’étais môme. Une vraie déesse, blonde, mince et toujours souriante. Y avait souvent des fêtes à la baraque. Y z’appellait ça des soirées. C’était tout illuminé, avec des chandelles partout et y avait même un loufiat qui obéissait à la cloche de la cuisine. Un enfoiré de loufiat … Moi on m’envoyait au pieu, mais j’me rel’vais et j’allais mater dans un coin connu que de moi. Si. Les belles gonzesses, les beaux mecs ; des cadors pleins de blé avec des super bagnoles toutes rouges garées dans le parc ...
Un jour j’ai eu vingt ans. Comme j’te dis. Mes vieux y z’ont fait une fête du tonnerre. Champagne et grands bordeaux. Tu vois qu’je mens pas quand j’te dis qu’j’ai bu des trucs que t’as même pas idée du nom.
Ce soir-là j’avais levé une petite. Une de la haute, de la vraie haute même. Comment c’était son blaze déjà … ah ouais Aude de Trucmuche … j’sais pu vraiment mais chui sur que c’était de quèque chose. Elle faisait sa mijaurée mais elle se laissait embrasser quand même. Moi j’touchais un peu partout. Ça la faisait marrer, mais elle voulait pas aller plus loin c’te’ garce. Alors j’ai laissé tomber et j’me suis mis à siroter un peu trop avec la bande de branleurs de la fac ousque j’étais. Si chui été à la fac ! J’te raconterai ça un jour.
Fais-y péter l’rouquin nom de Dieu … si tu veux qu’je continue.
Au p’tit matin j’étais fait. Alors chui été dans le parc pour prendre l’air, et c’est là que j’les ai vus. L’Aude de machin avec le loufiat d’mes deux. En train d’baiser dans la bagnole de mon dabe. J’ai fait ni une ni deux dis donc. J’suis monté chercher le fusil de chasse du vieux et j’les ai tirés comme des lapins. Pan, pan … du raisiné partout dans la caisse et sur mes fringues aussi. Et j’suis resté comme un con alors qui z’étaient en train d’crever, là devant moi.
Ça a fait un pataquèsse épouvantable. Les flics, les cris, les pleurs. J’oublierai jamais le visage de ma mère quand elle a compris. Mon vieux lui y s’est refermé à tout jamais et m’a plus adressé la parole. Ça fait presque trente ans. Ouais mon pote. Mon baveux était pourtant un ténor, mais j’en ai pris pour trente piges quand même. Paraît qu’j’ai échappé au couperet grâce à lui.
Et c’est en taule où j’ai viré de bord. Chuis tombé de plus en plus bas. J’étais trop tendre pour les gros tatoués. J’me suis fait mettre vite fait. Des vraies bêtes. Et puis j’me suis habitué. J’leur ai servi de souffre-douleur comme a dit le con de psymachin. Toujours est-il que chui sorti en avance y a deux ans, pour bonne conduite. Tu parles que j’avais l’choix.
Je ne suis plus qu’une cloche. Depuis j’suis sous ce putain de pont à lorgner la baraque de quand j’étais gosse. Un jour j’ai même vu ma mère. Elle a pris un sacré coup de vieux mais elle est encore belle. Parole. Elle m’a pas reconnu. Normal, remarque personne est jamais v’nu m’voir en taule.
Non j’chiale pas … ta gueule, j’chiale pas j’te dis, c’est la fumée d’l’usine d’à côté qui pique les chasses ... Allez, file encore un coup d’jaja, va. D’abord ça fait remonter les souvenirs, et puis ça les noie. Et c’est là qu’c’est bon.
On a envie de lui chanter :"Non Jef t'es pas tout seul" !
RépondreSupprimerJoli texte M'sieur
mais arrête de pleurer comme ça, devant tout le monde ... :o)
SupprimerOn s'y croirait sous le pont avec ta cloche en train de partager le jaja au goulot. C'est d'un réalisme...Bravo l'Arpenteur !
RépondreSupprimerTu sais jouer sur tous les tableaux.
merci Marité
Supprimerle jeune homme un peu jaloux et puis la vie l'a enchaîné ... et puis clochard dans son village
stouf
RépondreSupprimerHeiiin ... mais t'as tout biberonner mon cochon ! Et l'épicerie qu'est fermée à c't'heure ... comment qu'on va faire pour s'finir et passer la noye tranquilos ? Salop d'pauvre, tu m'dégoutes ! ;o)))
:o)))
SupprimerUn texte très bien tourné. Passionnant. Et une voix passionnante aussi qui en un rien nous déroule la route de l'existence avec ses virages en angle droit de ce futur arpenteur de bitume. J'aime beaucoup.
RépondreSupprimermerci aussi pour ton commentaire
Supprimerla vie a été tellement dure pour ce pauvre cloche ...
J'attends avec impatience la sortie au cinéma. À moins que les droits soient libres, je peux faire une offre ?
RépondreSupprimertu peux faire une offre ... mais on peut aussi partager :o))
SupprimerJoli détournement de consigne, Arpenteur. La cloche de bois, fallait y penser.
RépondreSupprimerOn dirait Michel Simon du temps de sa splendeur.
Bisous époustouflés
¸¸.•*¨*• ☆
Michel Simon j'ai toujours adoré cet acteur
Supprimerre bisoux aussi :o)
dans mon ancien métier d'assistante sociale, combien de récits surprenants se sont ainsi révélés alors que je recevais une de ces "cloches" là
RépondreSupprimeret tu pourrais bien écrire des choses étonnantes et tout ce que tu as retenu de ces gens malheureux ...
Supprimer@Tisseuse, à vrai dire, je trouvais ton pseudo assez énigmatique. Je comprends mieux à présent : tu tissais des liens. Et tu continues ! :-)
RépondreSupprimerC'est raconté avec sensibilité; ce texte mériterait de s'allonger tant les ramifications que tu apportes soutiendraient le développement qu'elles méritent.
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