Clap de fin.
C’était une jolie fin d’après midi d’automne. Le ciel pluvieux qui ne nous avait pas épargnés ces derniers jours avait fait place à un ciel de traine, un ciel habité qui répandait sur le monde et le jardin une lumière douce aux pupilles et tendre aux branches des arbres maintenant presque nus. J’avais balayé une fois encore la terrasse des derniers rouges, ratissé quelques feuilles esseulées dans le vert de la pelouse gorgée d’eau, nettoyé les pots des grappes mortes de la vierge vigne, sorti, pour la faire sécher, la bâche qui allait servir à protéger du froid les lauriers et autres plantes qui passeraient l’hiver dehors, sous elle. Dès que le soleil avait commencé à s’approcher de l’horizon, le frais avait très vite remplacé la tiédeur de l’air et, bien que les cimes des arbres soient maintenant baignées dans une lumière enveloppante, tout intimait l’ordre de se mettre à l’abri. Surtout ce froid sur les épaules en sueur. On allait protéger nos cœurs des rigueurs de l’hiver à venir. Un ou deux derniers coups de balai, un ou deux allers retours vers le fond du jardin, vers le tas de compost, viendra vite l’heure du rangement des outils et de l’allumage du feu sous une casserole pour un thé attendu. Il faudra, juste avant, enfourner quelques bûches sèches dans la cheminée, trouver un briquet dans cette maison de non fumeur, ce ne sera pas le plus facile, et la faire ronfler, la cheminée. Le ciel commencera à s’assombrir quand un nuage posé sur l’horizon cachera le soleil généreux de cette fin de journée. Le bain chaud aura fini de couler que l’eau du thé, en frissonnant à gros bouillons, fera trembler la casserole et toute la cuisine avec. J'en aurais profité pour mettre à réchauffer du petit salé aux lentilles pour le soir, en cette saison c'est le mieux qui puisse se pointer sur une table. J'ai mis au frais une bouteille de Côtes du Rhône blanc, les Arbousiers du domaine de la Réméjeanne à Cadignac. (Oui, oui avec le petit salé...on est chez soi, on boit ce qu'on veut!). Une fois sec, propre et ne sentant plus si mauvais, on pourra glisser dans le lecteur un CD de Nathalie Dessay et dans le même temps allumer un poste de télé puisqu’on y diffuse un match de rugby entre l’Afrique du sud et le Pays de Galle. Deux endroits où soit dit en passant il doit faire bon d'y promener son passeport à condition de l'avoir sur soi... Il suffira de couper le son des commentaires pour que la perfection ne me flotte pas trop loin des deux oreilles.
J’ai posé la théière sur la table basse, les gallois menaient de trois points, une bûche de chêne me chauffait les pieds. J’étais allongé au long du canapé, en travers, la tête au fin fond d’un bon kilo de plumes. Le chat des voisins miaulait à la porte fenêtre, malgré son insistance éhontée, je ne l'ai pas laissé rentrer: Tous ces poils ambulants qui ne demandent qu'à se séparer de leur Maître! Merci bien!
Sur un des airs de Bellini, les gallois ont marqué un essai merveilleux, d'un mouvement en première main, au large, en contre, avec un redoublement de passes d'école et, pour finir d'un cadrage débordement d'une toute efficace beauté. Quand il était pratiqué ainsi ce jeu atteignait des sommets. Il était capable de vous inoculer des lumbagos foudroyants en vous faisant bondir comme un geyser d'enthousiasme du plus profond d'un canapé... profond. J’avais sur les jambes une couverture en fourrure polaire blanche mais c’était surtout une question de confort, le thé était, maintenant infusé comme il fallait qu'il le soit. Je ne pensais ni à la noirceur du monde ni aux éclats de lumière qui pouvaient en surgir parfois, comme ceux venus d'outre atlantique, la semaine écoulée. Cette fin de samedi était une fin d'un samedi en paix. Au moins pour notre région et un peu au-delà. Le ciel avait rosi de derrière le grand nuage, une pie a traversé le jardin en roumégant. Dans la pièce, la voix de Nathalie se disputait avec l’odeur du thé mais elle avait fini par vaincre. En prenant toute la place, elle rendait l'air incroyablement sensible. J’ai fermé les yeux quelques secondes pour mieux attraper toutes les notes. Et, c'est à cet instant précis que ça s'est passé. Dans le simple éclat d'un incandescent brin d'écorce de chêne qui a failli foutre le feu au canapé…
La page s’est tournée.
D’un coup, sans grand fracas, la nuit est tombée. Ce jour là n'existerait plus.
Jamais.
C’était une jolie fin d’après midi d’automne. Le ciel pluvieux qui ne nous avait pas épargnés ces derniers jours avait fait place à un ciel de traine, un ciel habité qui répandait sur le monde et le jardin une lumière douce aux pupilles et tendre aux branches des arbres maintenant presque nus. J’avais balayé une fois encore la terrasse des derniers rouges, ratissé quelques feuilles esseulées dans le vert de la pelouse gorgée d’eau, nettoyé les pots des grappes mortes de la vierge vigne, sorti, pour la faire sécher, la bâche qui allait servir à protéger du froid les lauriers et autres plantes qui passeraient l’hiver dehors, sous elle. Dès que le soleil avait commencé à s’approcher de l’horizon, le frais avait très vite remplacé la tiédeur de l’air et, bien que les cimes des arbres soient maintenant baignées dans une lumière enveloppante, tout intimait l’ordre de se mettre à l’abri. Surtout ce froid sur les épaules en sueur. On allait protéger nos cœurs des rigueurs de l’hiver à venir. Un ou deux derniers coups de balai, un ou deux allers retours vers le fond du jardin, vers le tas de compost, viendra vite l’heure du rangement des outils et de l’allumage du feu sous une casserole pour un thé attendu. Il faudra, juste avant, enfourner quelques bûches sèches dans la cheminée, trouver un briquet dans cette maison de non fumeur, ce ne sera pas le plus facile, et la faire ronfler, la cheminée. Le ciel commencera à s’assombrir quand un nuage posé sur l’horizon cachera le soleil généreux de cette fin de journée. Le bain chaud aura fini de couler que l’eau du thé, en frissonnant à gros bouillons, fera trembler la casserole et toute la cuisine avec. J'en aurais profité pour mettre à réchauffer du petit salé aux lentilles pour le soir, en cette saison c'est le mieux qui puisse se pointer sur une table. J'ai mis au frais une bouteille de Côtes du Rhône blanc, les Arbousiers du domaine de la Réméjeanne à Cadignac. (Oui, oui avec le petit salé...on est chez soi, on boit ce qu'on veut!). Une fois sec, propre et ne sentant plus si mauvais, on pourra glisser dans le lecteur un CD de Nathalie Dessay et dans le même temps allumer un poste de télé puisqu’on y diffuse un match de rugby entre l’Afrique du sud et le Pays de Galle. Deux endroits où soit dit en passant il doit faire bon d'y promener son passeport à condition de l'avoir sur soi... Il suffira de couper le son des commentaires pour que la perfection ne me flotte pas trop loin des deux oreilles.
J’ai posé la théière sur la table basse, les gallois menaient de trois points, une bûche de chêne me chauffait les pieds. J’étais allongé au long du canapé, en travers, la tête au fin fond d’un bon kilo de plumes. Le chat des voisins miaulait à la porte fenêtre, malgré son insistance éhontée, je ne l'ai pas laissé rentrer: Tous ces poils ambulants qui ne demandent qu'à se séparer de leur Maître! Merci bien!
Sur un des airs de Bellini, les gallois ont marqué un essai merveilleux, d'un mouvement en première main, au large, en contre, avec un redoublement de passes d'école et, pour finir d'un cadrage débordement d'une toute efficace beauté. Quand il était pratiqué ainsi ce jeu atteignait des sommets. Il était capable de vous inoculer des lumbagos foudroyants en vous faisant bondir comme un geyser d'enthousiasme du plus profond d'un canapé... profond. J’avais sur les jambes une couverture en fourrure polaire blanche mais c’était surtout une question de confort, le thé était, maintenant infusé comme il fallait qu'il le soit. Je ne pensais ni à la noirceur du monde ni aux éclats de lumière qui pouvaient en surgir parfois, comme ceux venus d'outre atlantique, la semaine écoulée. Cette fin de samedi était une fin d'un samedi en paix. Au moins pour notre région et un peu au-delà. Le ciel avait rosi de derrière le grand nuage, une pie a traversé le jardin en roumégant. Dans la pièce, la voix de Nathalie se disputait avec l’odeur du thé mais elle avait fini par vaincre. En prenant toute la place, elle rendait l'air incroyablement sensible. J’ai fermé les yeux quelques secondes pour mieux attraper toutes les notes. Et, c'est à cet instant précis que ça s'est passé. Dans le simple éclat d'un incandescent brin d'écorce de chêne qui a failli foutre le feu au canapé…
La page s’est tournée.
D’un coup, sans grand fracas, la nuit est tombée. Ce jour là n'existerait plus.
Jamais.
En bien moins poétique et pas plus tard qu'hier j'ai "cramé" par ma faute un coussin posé devant la cheminée et que j'ai dû jeter dans un indiscutable en-avant sur la pelouse où il a fini de se consumer... sans commentaires (comme ta télé)
RépondreSupprimerCeci mis à part j'ai aimé ton clap de fin
Tu stimules tous nos sens pour nous aider à avoir bien chaud, au-dedans et en dehors. Ce texte est superbe !
RépondreSupprimer@ Vegas et Turquoise Merci à vous deux.
RépondreSupprimerC'est un texte mystérieux, comme ce que peut receler la nuit qui tombe de l'autre côté de la baie vitrée. C'est aussi un texte limpide, avec des scènes d'intérieur et d'intimité aperçues par un rôdeur indiscret à travers la baie vitrée éclairée comme un écran. Le double vitrage de l'écriture fait que les images, et pas seulement celles du match, n'ont plus de son, ce qui est troublant. Rien n'est comme il paraît être. C'est un texte très beau, qui me touche d'une manière métaphysique, comme témoin d'un monde bizarre. J'exprime sans doute maladroitement mes impressions de lecture. Par ailleurs, les perceptions sensuelles sont merveilleusement affutées
RépondreSupprimer@ Bricabrac Oh Merci merci à vous.
RépondreSupprimerexactement comme Bricabrac, je dirais que tu parviens par le récit à nous faire partager intérieurement exactement tout ce qui est décrit
RépondreSupprimerje le ressens vraiment, comme un vécu personnel, et c'est tout le tour de force hypnotique de la belle littérature
@ Tisseuse Merci Tisseuse, ça me touche.
RépondreSupprimerUn beau texte, mélancolique comme je les aime.
RépondreSupprimerCela se passe comme cela à la maison avec mon jardinier d'homme. Quand il a tout rangé,balayé, il aime se réfugier au chaud et lire dans son fauteuil ou regarder du rugby ou de la pétanque.
@ Marité Merci à vous.
RépondreSupprimerUn essai, Nathalie Dessay, c'est un peu facile... Je sais. ];-D
RépondreSupprimer@ Andiamo Ah mais si on peut plus s'amuser, alors que reste-t-il?
RépondreSupprimerC'est une belle page en pente douce.
RépondreSupprimer@ Pascal Dupont Merci à vous.
RépondreSupprimerQuel merveilleux talent de description...
RépondreSupprimerBravo Chri.
Moi j'écoute tous les soirs le bruit de la nuit qui tombe. Sans bruit, comme un flocon noir sur le jardin. Doux comme le chuintement familier de ta page qui se tourne...
¸¸.•*¨*• ☆
@ Célestine Oh Merci Célestine. C'est doux à lire.
RépondreSupprimer:-)
Supprimerencore un texte superbe, Chri, et les images et la nuit est tombée ...
RépondreSupprimer@ L'Arpenteur Merci, merci!
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