Moulin,
tu dors...
Le
département de la Corrèze porte le nom de sa rivière qui, traduit de l'Occitan
signifie « la coureuse ». C'est vrai, elle court notre Corrèze,
alimentée par de multiples cours d'eau et rigoles qui sillonnent allégrement
les près. Elle va rejoindre la Vézère
qui la traverse aussi et, ensemble, elles
se jettent dans la Dordogne. Elle est verte la Corrèze, abondamment
arrosée par ses innombrables ruisseaux.
C'est le pays des mille sources naissantes sur le plateau de Millevaches ou Montagne Limousine.
Autrefois,
de très nombreux moulins à eau s'échelonnaient tout au long des ruisseaux. En
1920 on en comptait 470. Ils fonctionnaient grâce à de petites cascades dont
l'eau vive se jetait sur la roue pour la faire tourner. La plupart ont
aujourd'hui disparu. Seuls subsistent ceux qui se sont transformés en
résidences secondaires très prisées. C'est le cas, dans ma petite commune de
naissance, du moulin de la Chapelle que j'ai déjà évoqué chez les Impromptus.
Mon arrière grand-père maternel a vu le jour ici. J'y ai donc quelque peu mes
racines. Il y avait tellement de moulins que presque toutes les familles
étaient apparentées à un meunier.
Le
meunier occupait une place très importante dans la vie des gens de la campagne.
Grâce à lui, les paysans transformaient leur grain en farine pour le pain que
l'on cuisait dans le four banal et, quand on avait la chance d'en posséder un,
dans le sien propre. Ah ! La bonne odeur du pain qui s'échappait du
four ! Elle embaumait tout le village. Et les tartes aux prunes, les pâtés
de pomme de terre et de viande...Un régal inoubliable.
Le
meunier avait la réputation d'être quelque peu roublard et il fallait avoir
l'œil mais, ça ne servait pas à grand chose ; on disait « malin comme
un meunier ». Il s'occupait aussi, il paraît, pendant que le moulin
travaillait, des belles femmes qui apportaient leurs sacs de blé à moudre. Je ne sais pas si c'est la réalité. En tout
cas, de nombreuses chansons que l'on chantait aux veillées ou lors des fêtes en
font état. De même, on parle aussi dans ces chansons de la beauté des meunières
« aux yeux si doux » qui savaient si bien faire tourner la tête aux
hommes.
Je
vous parlerai aujourd'hui d'un autre moulin de mon enfance, le moulin de Lòt. Il
y a bien longtemps qu'il s'est endormi. Le tic-tac de sa roue à aubes s'est tu
pour toujours. Mais je l'entends encore ainsi que le bruit de soie des gerbes
d'eau qui retombaient quand je vais flâner vers ses ruines couvertes de mousse
et de ronces. Ses murs gisent dans un
amas de pierres où se cachent les rapiettes grises. Ne subsiste que
l'encadrement de la porte surmonté de son linteau. Comme s'il ne voulait pas mourir et s'apprêtait
encore à recevoir les villageois conduisant, qui un âne, qui une paire de bœufs
ou de vaches sous le joug, attelés à une charrette chargée de sacs de blé,
d'orge, d'avoine ou de sarrasin qu'ici on appelle blé noir. Ses meules de
pierre sont couchées pour toujours, tristement abandonnées sur les berges de la
Vimbelle,
Je
vais souvent à Lòt (prononcer le T) qui signifie en Occitan : boueux,
fangeux. Le large chemin qui y conduit s'est abîmé, n'étant plus guère
fréquenté mais il garde toutes les senteurs et les plaisirs de mon enfance. Les
haies d'aubépine répandent à profusion leurs grappes de fleurs blanches qui se
mêlent au jaune d'or des branches de genet et au blanc à peine teinté de rose
de l'églantine. Les abeilles et les papillons folâtres s'y posent un instant et
repartent, gonflés de suc. Un merle, faussement effarouché, s'en échappe
prestement en sifflant. Les violettes et les stellaires que ma grand-mère
appelait les fleurs de la Vierge, les pervenches, les timides pâquerettes
jonchent les talus. Les violettes n'ont plus le parfum d'autrefois et leur
belle couleur parme s'est ternie. Je ne sais pourquoi mais cela me désole. Et le chèvrefeuille ? Quel nom poétique
n'est ce pas ? Combien en ai-je sucé, croqué de ces fleurs au goût
douceâtre, écœurant qui parfumait la bouche et les doigts ?
Pour
accéder au moulin, je suis maintenant un tout petit sentier qui longe la
Vimbelle et qu'empruntent les pêcheurs de truites. Je ne me lasse pas de ce
sentier. Iris jaunes et mauves poussent là, dans un joli désordre au milieu des
fougères d'un vert si vif et brillant qu'on a envie de caresser. Les élégantes
asphodèles s'érigent sur leur tige nue et tendent leur hampe florale auréolée
de délicates corolles blanches au cœur de safran.
Voilà
les ruines du moulin de Lòt. Je suis au terme de ma promenade solitaire. Je
m'assois au bord de la rivière pour écouter son chant mélodieux, admirer sa
course sur les cailloux usés. Ils scintillent de mille reflets, tantôt d'un
rouge sombre, tantôt d'un noir bleuâtre ou bien, dans une fulgurance,
jaillissent de l'eau transparente des éclats argentés et dorés. J'aime me
laisser dériver comme le courant qui alimente mon rêve et m'apaise.
Après
le meunier de la chanson, le moulin s'est endormi. Tous les meuniers et les
moulins de mon enfance sont partis, emportés vers d'autres eaux. Mais tant que
je pourrai, mes pas me conduiront vers ce passé, ce monde merveilleux qui garde
ses secrets dans le silence à peine troublé par le bruissement de l'eau claire
qui coule, inlassablement, sur les galets.
je crois que je ne me lasserais jamais de tes jolis textes nous transmettant le passé de ta famille, et de ta région, et je me balade un peu dans tes mots comme tu le fais dans certaines de tes journées :)
RépondreSupprimerQuelle belle source d'inspiration que ton pays de moulins. Tu sais faire chanter la nature avec tes mots choisis.
RépondreSupprimerMerci Marité, ce thème était pour toi
Joli billet empreint de nostalgie... Soupir.
RépondreSupprimerJ'avais écrit et dessiné pour blogborygmes un billet traitant des moulins à eau.
http://blogborygmes.free.fr/blog/index.php/2009/12/04/1267-les-moulins-a-eau
C'est aussi reposant de te lire, sur ce chemin que de l'emprunter, peut-être...enfin c'est ce que je me dis pour me consoler :), merci pour cette jolie balade !
RépondreSupprimerOn en apprend des choses dans ce joli texte, apaisant et teinté d'un brin de nostalgie ;-)
RépondreSupprimerEuh... Ne crois-tu pas que se retourner sur le moulin de Lòt présente tt de même quelque risque biblique ? XD
RépondreSupprimerJe suis un peu débordée en ce moment. Mais je tiens à vous dire merci à tous pour vos commentaires.
RépondreSupprimerJe ne sais pas s'il y a toujours de la nostalgie dans mes textes. Peut être un peu mais il y a surtout de l'amour pour la nature, les gens et les choses simples.
Andiamo : j'ai vu tes dessins. Ils sont beaux tes moulins.
Tiniak : je n'ai pas encore fondu !