jeudi 9 mai 2019

Marité - Un scénario

Fête au village.

Ce dimanche 4 juillet, Jarennes, un tout petit hameau d'une cinquantaine d'âmes, perdu dans les collines des Monédières se réveille sous un soleil éblouissant. Déjà, les bénévoles, venus de toutes les communes avoisinantes, s'activent sur le grand pré où, comme chaque année se dresse un immense chapiteau. En effet, ce modeste village attire toujours plus de visiteurs. Pas besoin des réseaux sociaux. Cela fait longtemps que le bouche à oreille fonctionne à merveille et que tout un chacun veut participer aux réjouissances. Tellement que les organisateurs ont dû mettre un frein aux réservations et refuser des inscriptions. On vient de loin pour la fête de Jarennes. Même de Limoges.

On a peine à croire qu'autant de gens se rassemblent ici. On se demande ce qui les attire : la beauté du paysage alentour, la gentillesse des gens, le programme toujours renouvelé et quelquefois insolite, le bon repas servi en soirée, le bal, le splendide feu d'artifice.....Bref. Il y a aujourd'hui, comme d'habitude un monde fou à Jarennes. On assiste à la fête en famille. Les enfants ne sont pas oubliés : des jeux les attendent sur le pré et on peut faire confiance aux jeunes de la commune pour amuser les gamins. Ils ont réinventé les attractions anciennes : jeu de quilles, tir aux boîtes de conserve, mât de cocagne, bilboquet, toupie...On surprend sur le visage des grands parents un air de nostalgie et de tendresse.

On s'apostrophe entre amis retrouvés. On s'interroge autour d'une bière fraîche et essaie d'en savoir un peu plus sur le spectacle produit à partir de 15 heures . Mais les bénévoles restent discrets et gourmandent gentiment les curieux : « un peu de patience, voyons. Si on vous dévoile tout, vous n'aurez plus de surprise ».

C'est le grand moment enfin. Des pétarades se font entendre au loin. Finalement, nous allons assister à un défilé. Bientôt passe devant nos yeux amusés un cortège pittoresque. En tête, « nez de cochon » le vieil autobus à galerie de Milou. Il servait après guerre à conduire les paysannes des petits villages au marché, place de la cathédrale à Tulle pour y vendre leurs volailles, œufs, beurre, légumes, cèpes. Je l'ai emprunté quelque fois dans mon enfance. Il ne faisait pas bon s'asseoir avant d'avoir payé sa place à Anna, l'épouse de Milou. Grande, sèche, une grosse natte brune enroulée autour de sa tête et une sacoche de cuir portée en travers de sa poitrine plate, elle m'intimidait avec ses manières brusques et son franc parler. Qui dérapait parfois. Comment peut-il encore avancer, cet ancêtre  de car ? Pour la circonstance, il a été repeint en jaune vif et a fait son plein d'enfants déguisés qui chantent à tue-tête.

Mais oui. Je ne rêve pas. Attelée à deux chevaux de trait, s'avance la roulotte des bohémiens qui s'arrêtaient dans la commune autrefois. Sylvestre et Amélie, les deux plus grands des enfants fréquentaient mon école quand ils étaient de passage. Un jour d'hiver, les parents ont dû abandonner leur maison ambulante pour des raisons de santé. Qui donc avait récupéré leur bien ? Elle est encore en très bon état cette roulotte. De bonnes âmes lui ont rendu une belle jeunesse et elle passe devant nous, superbe avec ses couleurs vives et ses rideaux tout neufs. Un couple de (faux) gitans conduit fièrement l'attelage.

Viennent ensuite des engins, motorisés ou non, incroyables d'audace et d'ingéniosité. Tout le monde rit de bon cœur et applaudit. Il y a même, accroché à un tricycle, piloté par un polichinelle, un landau rétro dans lequel s'époumone un gros bébé à moustache, un béguin de dentelle rose sur la tête. Il brandit un énorme biberon rempli d'un lait à la couleur bizarre qu'il tête de temps en temps.

Arrive enfin, dans un bruit de tondeuse à gazon, le dernier char. Ne l'ayant pas encore aperçu, je me doutais que l'indien terminerait le défilé. Ici on appelle Francisco l'indien. Il faut dire qu'il n'a aucun besoin de déguisement pour ressembler à un vieil apache : cheveux longs et noirs, yeux perçants, pommettes hautes et cette peau burinée du visage virant au brun-rouge. Pour la circonstance, il a revêtu sa veste à franges et posé sur sa tête un bandeau garni de plumes. Francisco ne se fait jamais prier pour jouer le rôle qu'on lui assigne depuis qu'il habite la région. Il aime raconter que ses aïeux appartenaient à la tribu des Mescaleros au Nouveau Mexique. Qui sait  s'il ne dit pas la vérité ?

Il conduit un drôle de kart, avec un moteur Briggs et Stratton, fabrication maison naturellement. Juste derrière lui, assise sur un vieux siège de moissonneuse que Francisco a installé sur son engin, trône sa squaw. Elle n'a rien d'une indienne notre Raymonde. D'ailleurs, aujourd'hui elle se veut femme fatale, genre Marilyn. Et elle a – presque – réussi Raymonde ! D'où sort-elle cette invraisemblable robe à paillettes  bien trop étroite pour elle ? Et cette couronne dorée ? Elle arbore une belle écharpe sur laquelle on lit : « Miss Jarennes 2015 » Elle balance nonchalamment une ombrelle blanche d'une main et de l'autre, elle sert contre elle son york toy, un chien tellement riquiqui qu'il disparaît totalement derrière son ruban rouge.
Bon. Si Francisco a oublié de se peinturlurer, Raymonde, elle, a forcé sur le maquillage. Et ma foi, elle fait davantage penser à Monsieur Carnaval qu'à une reine de beauté. Qu'importe ! Elle et son Francisco sont, comme chaque année, les rois de la fête. Et ils le valent bien.

13 commentaires:

  1. Pittoresque cortège, on s'amuse bien dans nos campagnes ! ];-D

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  2. Il y a un petit côté inspecteur Barnaby à la française dans ce texte ;-))

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  3. on dit sans vouloir être chauvin qu'on s'amuse dans les petits patelins. avec le sourire

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  4. Vous avez raison : en Province, on n'a pas les pavés mais on a des idées... pour s'amuser.

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  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  6. une belle fête campagnarde pittoresque et colorée, comme si on y était, qui fait penser aux kermesses de Brueghel
    emma

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  7. J'aime bien; tu as beaucoup d'imagination mais je suppute que tu y as apporté quelques souvenirs. :)

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    1. @ Pascal, bien vu : il y a du vrai dans ce texte. Sauf qu'il n'y a jamais eu de défilé à Jarennes ! :-)))

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  8. Un côté brut et fait main qui nous plonge dans ce défilé !

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  9. T'étais-t-y pô la voisine de Jacques Tati ?

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  10. J'ai adoré, tes descriptions sont très bien faites, ont les voit tous !(je ne savais pas écrire squaw, merci ! :))

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