Les clopes.
J’avais une dizaine d’années et parfois, le jeudi, avec quelques copains, on allait jouer au stade « des Italiens ». Ce stade était situé à la limite de Drancy et de Bobigny, des champs partout, la cambrousse, ça a bien changé, c’est devenu méconnaissable !
Ce stade, c’était pratiquement une ruine, il avait subi la guerre, la deuxième (j’chu pas un dinosaure quand même) et pendant cette foutue occupation, il n’y avait rien à bouffer, alors les voisins avaient tout simplement cultivé le terrain. Poireaux et choux en milieu de terrain, topinambours et rutabagas dans la surface de réparation, persil et fines herbes dans les cages, enfin du foot utile !
Il n’y avait que les tribunes qui tenaient encore debout. Quel beau terrain de jeux ! On y apportait nos pauvres armes : lance-pierres, épées de bois, colts fabriqués à coups de morceaux de bois et de tringles à rideaux coupées pour faire le canon, deux demi-bouchons coupés dans le sens de la longueur et collés de part et d’autre remplaçaient avantageusement le barillet.
Ça peut faire rire, mais après la guerre, il n’y avait que dalle ! Pareil pour les fringues, aujourd’hui faut des marques ! Moi, j’ai porté des fringues de marque, c’étaient des « DE MON FRERE ». Ex : les frocs de mon frère, les pulls de mon frère, les pompes de mon frère et, plus tard, le vélo de mon frère. Je n’ai jamais eu hélas les gonzesses de mon frère ! Mais bon, on s’en foutait, tous logés à la même enseigne.
Et puis, un de ces beaux jeudis, un pote nous dit : « les mecs, j’ai des cibiches », un mot d’argot tombé en désuétude, et il sort de sa poche deux ou trois gauldos, tirées à son père au cours de la semaine, une par une pour ne pas que ça se remarque ! Courageux certes, mais pas téméraire !
Il porte la clope à sa bouche et frotte une allumette sur le ciment, des allumettes soufrées, elles n’existent plus : trop dangereuses, il suffisait d’un support sec et un peu rugueux pour qu’en les frottant elles s’enflamment, et puis le soufre… Fallait surtout pas allumer la clope avant que tout ce putain de soufre soit consumé, sinon c’était l’asphyxie, la suffoc, la chiale, l’horreur... L’ypérite à côté : senteur d’été !
Claude, mon pote allume la clope, il tire une bouffée, en prenant l’air du mec qui sait, qui a l’habitude, pas une tite quinte, pas une larmichette, il souffle la fumée par le pif ! Ah putain, la démo ! D’autres copains tirent sur la clope sans moufter, puis vient mon tour.
Tu penses, des éponges grosses comme des poings de nouveau-né, musclé comme un corbeau de course, roulé comme un pétard à deux ronds, je tire là-dessus comme un malade, fallait pas s’déballonner, plutôt crever ! Tout à coup, les éponges qui s’bloquent, elles me gueulent STOP ! Pas d’ça, recrache Eustache ! J’en peux plus, je suffoque, je tousse, je crache, j’éternue, bave d’escargot grande largeur, y’en a partout, les potes se marrent, se foutent de ma gueule ! En plus j’avais mouillé la clope ! La honte, on dirait un crapaud quand tu fumes, lâche Claude en se marrant.
Il faut dire qu’après la guerre, les cigarettes ne faisaient pas dans la dentelle, c’étaient plutôt des clopes d’hommes, comme aurait dit Michel Audiard : pas de filtres, du brut ! Y’avait même des bûches dans le tabac, pas question pour la Régie de perdre un gramme de perlot ! Plus tard, on se cotisait pour acheter des « ICHE-LIFE » : on ne parlait pas le patois, alors « HIGH-LIFE », on ne savait pas dire. Je les revois encore ces paquets, rouges avec high life écrit en lettres dorées. C’était du foin genre cigarettes Anglaises.
Après, il fallait rentrer, en prenant bien soin de se rincer la bouche, pas de chewing-gums dans ces années là, alors la flotte à outrance, pas question de sentir le tabac, sinon c’était la trempe, pas méchante, une maman ça ne cogne pas bien fort.
J’ai arrêté de fumer il y a 37 ans, et je peux vous assurer qu’un fumeur ça se sent de loin, et je me dis qu’elle a dû sentir plus d’une fois que j’avais fumé, mais elle n’a pas moufté. Qu’est-ce qu’elle était gentille cette maman-là !
J’avais une dizaine d’années et parfois, le jeudi, avec quelques copains, on allait jouer au stade « des Italiens ». Ce stade était situé à la limite de Drancy et de Bobigny, des champs partout, la cambrousse, ça a bien changé, c’est devenu méconnaissable !
Ce stade, c’était pratiquement une ruine, il avait subi la guerre, la deuxième (j’chu pas un dinosaure quand même) et pendant cette foutue occupation, il n’y avait rien à bouffer, alors les voisins avaient tout simplement cultivé le terrain. Poireaux et choux en milieu de terrain, topinambours et rutabagas dans la surface de réparation, persil et fines herbes dans les cages, enfin du foot utile !
Il n’y avait que les tribunes qui tenaient encore debout. Quel beau terrain de jeux ! On y apportait nos pauvres armes : lance-pierres, épées de bois, colts fabriqués à coups de morceaux de bois et de tringles à rideaux coupées pour faire le canon, deux demi-bouchons coupés dans le sens de la longueur et collés de part et d’autre remplaçaient avantageusement le barillet.
Ça peut faire rire, mais après la guerre, il n’y avait que dalle ! Pareil pour les fringues, aujourd’hui faut des marques ! Moi, j’ai porté des fringues de marque, c’étaient des « DE MON FRERE ». Ex : les frocs de mon frère, les pulls de mon frère, les pompes de mon frère et, plus tard, le vélo de mon frère. Je n’ai jamais eu hélas les gonzesses de mon frère ! Mais bon, on s’en foutait, tous logés à la même enseigne.
Et puis, un de ces beaux jeudis, un pote nous dit : « les mecs, j’ai des cibiches », un mot d’argot tombé en désuétude, et il sort de sa poche deux ou trois gauldos, tirées à son père au cours de la semaine, une par une pour ne pas que ça se remarque ! Courageux certes, mais pas téméraire !
Il porte la clope à sa bouche et frotte une allumette sur le ciment, des allumettes soufrées, elles n’existent plus : trop dangereuses, il suffisait d’un support sec et un peu rugueux pour qu’en les frottant elles s’enflamment, et puis le soufre… Fallait surtout pas allumer la clope avant que tout ce putain de soufre soit consumé, sinon c’était l’asphyxie, la suffoc, la chiale, l’horreur... L’ypérite à côté : senteur d’été !
Claude, mon pote allume la clope, il tire une bouffée, en prenant l’air du mec qui sait, qui a l’habitude, pas une tite quinte, pas une larmichette, il souffle la fumée par le pif ! Ah putain, la démo ! D’autres copains tirent sur la clope sans moufter, puis vient mon tour.
Tu penses, des éponges grosses comme des poings de nouveau-né, musclé comme un corbeau de course, roulé comme un pétard à deux ronds, je tire là-dessus comme un malade, fallait pas s’déballonner, plutôt crever ! Tout à coup, les éponges qui s’bloquent, elles me gueulent STOP ! Pas d’ça, recrache Eustache ! J’en peux plus, je suffoque, je tousse, je crache, j’éternue, bave d’escargot grande largeur, y’en a partout, les potes se marrent, se foutent de ma gueule ! En plus j’avais mouillé la clope ! La honte, on dirait un crapaud quand tu fumes, lâche Claude en se marrant.
Il faut dire qu’après la guerre, les cigarettes ne faisaient pas dans la dentelle, c’étaient plutôt des clopes d’hommes, comme aurait dit Michel Audiard : pas de filtres, du brut ! Y’avait même des bûches dans le tabac, pas question pour la Régie de perdre un gramme de perlot ! Plus tard, on se cotisait pour acheter des « ICHE-LIFE » : on ne parlait pas le patois, alors « HIGH-LIFE », on ne savait pas dire. Je les revois encore ces paquets, rouges avec high life écrit en lettres dorées. C’était du foin genre cigarettes Anglaises.
Après, il fallait rentrer, en prenant bien soin de se rincer la bouche, pas de chewing-gums dans ces années là, alors la flotte à outrance, pas question de sentir le tabac, sinon c’était la trempe, pas méchante, une maman ça ne cogne pas bien fort.
J’ai arrêté de fumer il y a 37 ans, et je peux vous assurer qu’un fumeur ça se sent de loin, et je me dis qu’elle a dû sentir plus d’une fois que j’avais fumé, mais elle n’a pas moufté. Qu’est-ce qu’elle était gentille cette maman-là !
Où lire Andiamo
stouf
RépondreSupprimerAh m'en parle pas d'la cibiche, moi c'est l'oncle Marcel qui m'a initié au gris qu'il roulait dans l' OCB, juste une taffe pour voire. J'ai faillis dégobiller toutes mes tripes et ça m'a fait une bonne leçon jusque trés tard dans ma vie.
Quand aux fringues du frangin ... pas de pot, j' avais que ma frangine. Un jour avec une copinne elles m'ont vêtu d'une robe et elles n'en pouvaient plus de se marrer alors j'ais été voir dans le mirroir. Oh la hooonte ... ch'uis partis en chialant remettre un short vite fais. ;o)
Et lorsque tu parles de marque de fringues sportives, renseigne toi sur Adolf Dassler et Adidass ( ainsi que Puma ) et pourquoi pas sur Hugo Boss et le passé nazi de tout cela.
Stouf : les cigarettes roulées à la main, quand j'ai travaillé seulement, avant je ne fumais que le Dimanche ou le jeudi, on se cachait bien pour ne pas se faire engueuler.
SupprimerEh oui, les jeunes commençaient vraiment tôt à une époque.
RépondreSupprimerTon texte, comme le mien, me font penser à la chanson de Charden « quatorze ans les gauloises »
14 ans les gauloises
C'est pas que ça plaise
Mais faut se pousser
14 ans les gauloises
Ça met mal à l'aise
Et ça fait tousser
Avec un père
Un peu plus de pèze
On achèterait des anglaises
Oui mais voilà on est fauchés
et puis aussi Yves Simon « les gauloises bleues »
On fumait des gauloises bleues
La la la les beaux jours
On fumait des gauloises bleues
Qu'on coupait souvent en deux
La la la les beaux jours...
¸¸.•*¨*• ☆
Célestine : Quand la fin de semaine était dure, j'achetais du tabaac "bleu" et je rouloais mes clopes à la main
SupprimerIl n'y avait donc pas de lianes à fumer pour l'initiation, de l'autre côté des fortifs ?
RépondreSupprimerEt n'y avait-il pas Liliane, pour le débauchage ? (pardon, c'est juste pour la rime interne, une manie)
Bricabrac : si bien sûr, qu'est ce que ça faisait chialer, la fumée dans les yeux !
SupprimerDouble hommage au parcours du combattant qu'était la première cibiche et à cette maman qui faisait semblant de n'avoir rien remarqué... toute une époque, Andiamo!
RépondreSupprimerJe me souviens des Boyard maïs que fumait mon grand-père et des P4 achetées en douce...
stouf
SupprimerAh beurk les P4, les matafs nous en r'filaient toute une cartouche avec la solde quand c'est que j'ai fais mon service à Brest. Mais je ferme mon clape-merdre car si une jeunette de 24 piges passait par là elle me prendrait pour un vieu con et j'aurais aucune chance ! ;o)
Les boyards papier maïs ! Les cibiches de Chauguise !
SupprimerEt les P4 quand c'était la dèche ...
Stouf : triquard toi avec les poulettes ?...c'est fait !
SupprimerBelle évocation d'un "rite de pas sage" !
RépondreSupprimerPour les générations suivantes, dans dix ans la consigne ici sera "Se piquer comme une ruche" ! ;-)
Joe Krapov : Papa pique et Maman coud, deviendra : "Papa s'pique, et Maman s'shoot" ?
SupprimerJ'avais cinq ans quand j'ai gouté la première clope,initié par mes frères.ça "crapautais" dur,tout y passé,gauloises, gitanes,même papier maïs.Nous faisions déjà du recyclage,car nous récupérions tous ce qui passait à porté de main,y compris les mégots que nous "dépiautions" pour ensuite fumer le tout dans une pipe en pin que mon grand frère avait fabriqué.C'était DÉGOUTANT! La résine du pin n'améliorait pas du tout le gout du tabac!
RépondreSupprimerCe fut une "belle expérience",je n'ai plus jamais touché une cigarette de ma vie.
Xoulec : Un peu brutale cette méthode , mais diablement efficace ! ];-D
SupprimerJ'accroche à ton texte une photo des p'tits drôles de Doisneau.
RépondreSupprimerMarité : Merci, l'essentiel c'est de ne pas devenir un vieux... triste ];-D
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