La
pêche aux grenouilles
Toto
était un cousin de notre grand-père maternel. Chaque année, il
débarquait durant l'été de la ville voisine où il passait ses
vacances chez son frère, archevêque à la cathédrale. Il habitait
Paris et je ne sais pas quel pouvait être son prénom. Pour nous, il
était simplement "Toto". Ces deux-là étaient évidemment
les invités prestigieux (!) de la famille.
Il
fallait bien se tenir quand l'ecclésiastique était à la maison.
Nous y avions intérêt, mes frères et moi. Avec Toto, c'était
différent. Nous éprouvions pour le personnage une sorte de
fascination. Il jouait avec nous, racontait des blagues, riait fort
et buvait sec. C'était la fête quand il venait chez nous : il nous
emmenait à la pêche aux grenouilles.
Après
avoir bu le café suivi de la goutte, Pépé et Monseigneur faisaient
une petite sieste sous le tilleul. Toto, toujours en short, posait sa
chemise pour être plus à l'aise en marcel. Il prenait sa canne à
pêche et se dirigeait vers la grande mare que nous avions dans le
pré voisin. Nous le suivions avec l'espoir qu'il nous laisserait
pêcher un moment.
Toto
raffolait des cuisses de grenouille. Il attrapait les batraciens avec
une dextérité qui nous laissait pantois. Et d'une, et de deux… Sa
boîte en osier était vite pleine. Il faut dire que les grenouilles
pullulaient dans cette mare, faisant un vacarme étourdissant. Juste,
je tournais le dos et fermais les yeux et les oreilles quand le
bonhomme assommait la bestiole sur la planche à laver. Toto gardait
continuellement une gitane au bec. Il ne posait sa canne que pour
sortir de sa poche son paquet de cigarettes.
Quand
il avait son quota de grenouilles, il nous montrait alors comment les
capturer. Nous nous disputions pour garder la canne le plus longtemps
possible. Pour avoir la paix Toto coupait un roseau pour chacun, y
attachait un fil et au bout, nouait un morceau de chiffon jaune ou
rouge.
Nous
n'étions pas très adroits et rarement, nous arrivions à nos fins.
Quand nous parvenions à accrocher une grenouille, Toto l'ajoutait
aux siennes ce qui comblait de fierté le pêcheur en herbe.
Il
y avait aussi des crapauds dans les herbes autour de la mare. Nous ne
les approchions pas, notre grand-mère, très superstitieuse, nous
l'interdisait en arguant qu'ils portaient malheur si on les
regardait. C'était d'ailleurs une prise de bec inévitable entre
elle et notre père quand elle découvrait un de ces batraciens près
de la ferme. Elle n'avait de cesse de le repousser avec un bâton.
Papa, lui, souhaitait avoir des crapauds dans l'étable des vaches
parce que, disait-il, l'animal éloignait les maladies potentielles.
Nous
ne nous intéressions pas aux crapauds. Jusqu'au jour où Toto eut la
bonne idée de nous révéler que les crapauds pouvaient fumer.
Malgré notre insistance, il n'osa pas sans doute passer à l'action.
Il en avait trop dit et la petite phrase ne tomba pas dans l'oreille
de sourds. En même temps, je vis, du coin de l'œil, mon frère
Claude ramasser, vite fait, le paquet de gitanes de Toto et le
glisser dans sa poche. Il avait un plan...
Malheureusement
pour nous, le paquet était vide. Mais nous avions une solution : la
"guidaube" ne manquait pas. Il suffisait d'en couper
quelques morceaux à la bonne longueur et de les placer dans le
paquet. Nous n'avions pas manqué d'observer les grands de l'école
quand il leur prenait l'envie de fumer. La "guidaube"
ferait l'affaire. Nous étions parés. Le lendemain, direction la
mare avec les roseaux de la veille et nos clopes. De quoi imiter
Toto. Et bien davantage en ce qui concerne les crapauds.
À
l'abri des regards de la famille, nous nous dépêchâmes d'allumer
nos bouts de bois. Ce fut un désastre : toux, yeux qui piquent et
qui pleurent, envie de cracher. Puis, il fallait tellement pomper que
nous en perdions la respiration. Notre benjamin, voyant cela, prit
peur et menaça de nous dénoncer aux parents. Renoncement. Nous
n'avons jamais su si les crapauds pouvaient fumer !
Beaucoup
plus tard, à l'adolescence, pour faire comme tous les copains, j'ai
acheté en cachette des cigarettes et je dois avouer que je prenais
beaucoup de plaisir à tirer sur mes blondes.
Je
voulus aussi tâter de la fumette. Je fis part de mon désir à un
copain et un dimanche, on me tendit un joint. Ils étaient tous là à
me regarder. J'aspirais fort et une odeur de caoutchouc brûlé
envahit ma chambre. Vous devinez ce que ces imbéciles avaient
mélangé au tabac.
Je
ne fume plus depuis très longtemps. J'aurais aimé pouvoir me
satisfaire d'une ou deux cigarettes par jour. Juste pour le plaisir.
J'aimais beaucoup la pêche à la grenouille, j'en pêchais pour mon oncle Jean qui habitait Cannes, dans ce qu'on appelle la Californie, un étang trônait au milieu de la propriété.
RépondreSupprimerTu as écrit ceci : " je prenais beaucoup de plaisir à tirer sur mes blondes."
Confidence pour confidence... Moi aussi ];-D
De quelles blondes parles-tu cousin Andiamo ? ;-)
SupprimerMarité : devine ]
SupprimerUn nouveau chapitre de La Boîte à Pêche, plein de charme
RépondreSupprimerAprès ces beaux souvenirs, on reste avec une question lancinante sur les bras. L'archevêque allait-il quelquefois à la pêche aux grenouilles... de bénitier ? ;-)
RépondreSupprimerChut Joe ! C'est pécher que de penser cela de Monseigneur.:o)
SupprimerCette légende a la vie dure... j'ignore si ça marche. Pour ma part j'ai arrêté il y a bien longtemps !
RépondreSupprimerToto racontait des blagues ? Normal, non ? ;-)
RépondreSupprimer¸¸.•*¨*• ☆