Une soirée embarrassante
Je fus l’autre soir le témoin involontaire d’une histoire assez scabreuse. J’étais invité à une réception chez le député de ma circonscription, à qui j’avais rendu par le passé quelques menus services. Lorsque j’arrivai, un employé, perché sur un escabeau, s’affairait à arranger le cordon de tirage du store de la fenêtre. Je songeai par-devers moi qu’il eût mieux fait de rechercher les causes de la panne de courant qui plongeait tous les invités dans le noir, ne laissant en lumière que le salon d’apparat, éclairé par un lustre.
J’entendis sonner trois coups et portai machinalement ma montre à gousset à l’oreille, quand nous entendîmes le tintamarre d’une dispute s’élever de la profondeur des appartements. La nature humaine étant ce qu’elle est, nous tournâmes la tête vers la porte dont elle semblait provenir et qui, si je me souviens de la disposition des lieux pour avoir déjà eu l’occasion de venir y présenter mes respects et quelques requêtes, menait côté jardin, à moins que ce ne fût la porte de la chambre de Madame.
Après réflexion, cette seconde hypothèse demeure la plus plausible, car elle s’ouvrit à la volée et Madame entra dans le salon, seulement vêtue d’une chemise de nuit et de son chapeau. Il y eut parmi les invités des rires d’autant plus inconvenants qu’au lieu de fermer ou détourner les yeux par discrétion, la plupart, moi le premier, les écarquillèrent. Il faut dire que la chemise, compte tenu du rang social de l’intéressée, avait la finesse et la transparence de papier calque du linon.
Son mari courait après elle et s’agitait en se tordant les mains, la morigénant sur sa tenue, tout en prenant quelquefois à témoin ses invités, en aparté. Elle, oublieuse de notre présence, paraissait prendre un plaisir ingénu à le pousser à bout. C’est vraiment une très jolie femme, elle me rappelait une actrice connue, en sorte qu’autant je plaignis son mari qu’elle se conduisît si impudemment en société, autant je ne regrettai pas que sa chemise ne fût pas en madapolam.
J’étais gêné par les rires déplacés des autres invités, qui ne cessaient de s’amplifier au fur et à mesure que la scène de ménage dégénérait, et bien que cela ne semblât pas accabler le pauvre homme, je fus soulagé lorsqu’un domestique annonça l’arrivée d’un maire de la circonscription, rival malheureux aux dernières élections, et qu’on ferma le grand rideau rouge du salon, le temps, pensai-je, de préparer le service à café sur le guéridon. On nous invita à prendre un verre en attendant.
J’avoue que j’avais la gorge sèche à force de rire, qui plus est contre ma volonté, et commandai au barman un ciel mon mari, qui est mon cocktail favori et qu’il me servit avec des petits fours délicieux : sarcasmes, épigrammes, triangles amoureux, quiproquos. Puis, laissant ces dames au foyer, installées dans de moelleux fauteuils crapaud tendus de velours cramoisi, j’allai rejoindre les messieurs au fumoir.
Là, à l’abri du regard de nos épouses et de nos maîtresses, cachés dans la fumée de nos cigarillos, nous nous remémorâmes la scène indiscrète qu’il nous avait été donné de surprendre et pûmes laisser libre cours à notre hilarité, nous esclaffant à gorge déployée, avec force bourrades, non sans rendre hommage, en des termes crus, aux charmes de Madame la Députée. Quand une sonnerie pressante retentit, annonçant la fin de l’entracte, quelques-uns d’entre nous, par malheur, ne purent regagner leurs places. Étouffés par leurs rires et la fumée, ils avaient explosé comme des crapauds, et nous dûmes les abandonner au pompier de service, qui accourait avec sa balayette et son seau.
Je fus l’autre soir le témoin involontaire d’une histoire assez scabreuse. J’étais invité à une réception chez le député de ma circonscription, à qui j’avais rendu par le passé quelques menus services. Lorsque j’arrivai, un employé, perché sur un escabeau, s’affairait à arranger le cordon de tirage du store de la fenêtre. Je songeai par-devers moi qu’il eût mieux fait de rechercher les causes de la panne de courant qui plongeait tous les invités dans le noir, ne laissant en lumière que le salon d’apparat, éclairé par un lustre.
J’entendis sonner trois coups et portai machinalement ma montre à gousset à l’oreille, quand nous entendîmes le tintamarre d’une dispute s’élever de la profondeur des appartements. La nature humaine étant ce qu’elle est, nous tournâmes la tête vers la porte dont elle semblait provenir et qui, si je me souviens de la disposition des lieux pour avoir déjà eu l’occasion de venir y présenter mes respects et quelques requêtes, menait côté jardin, à moins que ce ne fût la porte de la chambre de Madame.
Après réflexion, cette seconde hypothèse demeure la plus plausible, car elle s’ouvrit à la volée et Madame entra dans le salon, seulement vêtue d’une chemise de nuit et de son chapeau. Il y eut parmi les invités des rires d’autant plus inconvenants qu’au lieu de fermer ou détourner les yeux par discrétion, la plupart, moi le premier, les écarquillèrent. Il faut dire que la chemise, compte tenu du rang social de l’intéressée, avait la finesse et la transparence de papier calque du linon.
Son mari courait après elle et s’agitait en se tordant les mains, la morigénant sur sa tenue, tout en prenant quelquefois à témoin ses invités, en aparté. Elle, oublieuse de notre présence, paraissait prendre un plaisir ingénu à le pousser à bout. C’est vraiment une très jolie femme, elle me rappelait une actrice connue, en sorte qu’autant je plaignis son mari qu’elle se conduisît si impudemment en société, autant je ne regrettai pas que sa chemise ne fût pas en madapolam.
J’étais gêné par les rires déplacés des autres invités, qui ne cessaient de s’amplifier au fur et à mesure que la scène de ménage dégénérait, et bien que cela ne semblât pas accabler le pauvre homme, je fus soulagé lorsqu’un domestique annonça l’arrivée d’un maire de la circonscription, rival malheureux aux dernières élections, et qu’on ferma le grand rideau rouge du salon, le temps, pensai-je, de préparer le service à café sur le guéridon. On nous invita à prendre un verre en attendant.
J’avoue que j’avais la gorge sèche à force de rire, qui plus est contre ma volonté, et commandai au barman un ciel mon mari, qui est mon cocktail favori et qu’il me servit avec des petits fours délicieux : sarcasmes, épigrammes, triangles amoureux, quiproquos. Puis, laissant ces dames au foyer, installées dans de moelleux fauteuils crapaud tendus de velours cramoisi, j’allai rejoindre les messieurs au fumoir.
Là, à l’abri du regard de nos épouses et de nos maîtresses, cachés dans la fumée de nos cigarillos, nous nous remémorâmes la scène indiscrète qu’il nous avait été donné de surprendre et pûmes laisser libre cours à notre hilarité, nous esclaffant à gorge déployée, avec force bourrades, non sans rendre hommage, en des termes crus, aux charmes de Madame la Députée. Quand une sonnerie pressante retentit, annonçant la fin de l’entracte, quelques-uns d’entre nous, par malheur, ne purent regagner leurs places. Étouffés par leurs rires et la fumée, ils avaient explosé comme des crapauds, et nous dûmes les abandonner au pompier de service, qui accourait avec sa balayette et son seau.
Sans doute à cause du pompier de service, tout cela m'a un réjouissant côté "Cantatrice chauve" d'Eugène Ionesco ! Ou d'Elvire Popesco ? ;-)
RépondreSupprimerAvec une belle maîtrise de la conjugaison, ce qui ne gâte rien !
Tu brûles
SupprimerRéponse : Mais n'te promène donc pas toute nue !, de Feydeau
SupprimerRien de tel que quelques épigrammes avec un Ciel mon mari... ça fume mais c'est bon !
RépondreSupprimerHélas, j'ai bien peur que ces usages ne tombent en désuétude
SupprimerUn délicieux delirium, j'aime bien dès potron-minet, belle façon de commencer la journée. ];-D
RépondreSupprimerTrès mince, alors, le delirium
SupprimerBien fait, non mais !
RépondreSupprimerQuoi ? Qu'est-ce qu'on a encore fait ?
SupprimerDire que j'ai failli passer à travers ce texte jouissif, qui fleure bon les moeurs bourgeoises du début du vingtième. Une vraie pièce de boulevard dans laquelle je n'ai pas de peine à imaginer les acteurs...
RépondreSupprimerUn vrai bon moment !
¸¸.•*¨*• ☆
Merci Célestine. J'ai un temps hésité entre cette pièce et Un fil à la patte, mais la chemise de linon a emporté ma décision !
SupprimerComme je te comprends...
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆