Le petit monde de Rachel
Calfeutrée dans sa loge, la concierge priait en vain chaque mercredi soir pour qu'Albert, le locataire du second, ne rentre pas pompette. Pas ce soir, se disait-elle. Surtout pas ce soir. Elle ne voulait pas perdre une miette du débat entre le p'tit jeunot et la donzelle aux dents pointues - ce qui lui donnait un sourire carnassier - et aux cheveux flavescents. Elle aimait bien utiliser ce mot qu'elle trouvait joli depuis que Madame Meyer, la prof de Français du troisième étage l'avait prononcé devant elle. Elle avait cherché la définition et l'orthographe dans son Larousse, l'avait noté sur son carnet. Ben oui. Rachel aimait les mots et chaque fois qu'elle faisait une découverte, elle inscrivait soigneusement sa trouvaille dans son répertoire. Elle écoutait religieusement Madame Meyer. Même quand celle-ci parlait de la pluie et du beau temps. Rachel l'admirait beaucoup. Vous pensez : une prof de Français ! Elle en savait des choses, Madame Meyer et, n'est-ce pas, ce n'est pas parce qu'on est concierge que l'on n'aime pas la littérature.
Mais, revenons à Albert, un des jumeaux du second. Ils vivaient, lui et son frère, dans l'appartement de leurs parents décédés depuis belle lurette. D'ailleurs, Rachel ne les avait pas connus. Gentils, Albert et Maurice. Tous deux célibataires. Et retraités depuis peu de la Retape comme ils disaient. Il ne fallait pas les brancher sur leur ancien boulot : ils étaient intarissables sur les lignes de métro, les stations et avaient toujours une anecdote à raconter.
Calfeutrée dans sa loge, la concierge priait en vain chaque mercredi soir pour qu'Albert, le locataire du second, ne rentre pas pompette. Pas ce soir, se disait-elle. Surtout pas ce soir. Elle ne voulait pas perdre une miette du débat entre le p'tit jeunot et la donzelle aux dents pointues - ce qui lui donnait un sourire carnassier - et aux cheveux flavescents. Elle aimait bien utiliser ce mot qu'elle trouvait joli depuis que Madame Meyer, la prof de Français du troisième étage l'avait prononcé devant elle. Elle avait cherché la définition et l'orthographe dans son Larousse, l'avait noté sur son carnet. Ben oui. Rachel aimait les mots et chaque fois qu'elle faisait une découverte, elle inscrivait soigneusement sa trouvaille dans son répertoire. Elle écoutait religieusement Madame Meyer. Même quand celle-ci parlait de la pluie et du beau temps. Rachel l'admirait beaucoup. Vous pensez : une prof de Français ! Elle en savait des choses, Madame Meyer et, n'est-ce pas, ce n'est pas parce qu'on est concierge que l'on n'aime pas la littérature.
Mais, revenons à Albert, un des jumeaux du second. Ils vivaient, lui et son frère, dans l'appartement de leurs parents décédés depuis belle lurette. D'ailleurs, Rachel ne les avait pas connus. Gentils, Albert et Maurice. Tous deux célibataires. Et retraités depuis peu de la Retape comme ils disaient. Il ne fallait pas les brancher sur leur ancien boulot : ils étaient intarissables sur les lignes de métro, les stations et avaient toujours une anecdote à raconter.
Maurice ne sortait pas beaucoup. Juste pour faire le marché et les courses. Albert, au contraire, suivait tous les matches de rugby du CABCL quand ils se déroulaient dans la ville et s'autorisait parfois un déplacement pour soutenir son équipe. Il rentrait le cœur en joie et la semelle titubante quand "ses petits" comme il les nommait en copiant le défunt Roger Couderc, avaient gagné.
Il rentrait en beuglant l'Internationale ou "Tiens, voilà la Coloniale", grimpait au premier comme il pouvait, et à califourchon sur la rampe d'escalier, redescendait en trombe. Juste quand Rachel, devant sa télé regardait Ben et Arnaud chez Drucker. Elle les adorait, ces deux-là. Allez donc savoir pourquoi ! Peut-être à cause de leur chien en peluche ? Maurice lui gâchait sa soirée, voilà tout. Aussi était-elle contente quand le CAB perdait. Au moins, elle avait la paix.
Le mercredi, Albert passait l'après-midi au café de la gare à jouer à la belote avec ses potes. Surtout, à vider les canons de rouge. Le patron avait l'habitude : quand Albert était dans l'incapacité de mettre un pied devant l'autre, il téléphonait à Maurice. Celui-ci allait chercher son frère et avait bien du mal à le conduire à l'étage. Le frangin, plein comme une outre, stationnait devant la loge, frappait, déclamait des mots d'amour à Rachel qui ne pipait mot et restait enfermée.
C'était toujours la même chose : le lendemain, penaud, Albert lui présentait ses excuses et elle ne pouvait pas lui en vouloir. Il lui achetait des fleurs parfois ou lui portait une part de gâteau, la pâtisserie étant l'une de ses passions. Les échaudés à l'anis était sa spécialité et Rachel en raffolait.
Toutes ces attentions faisaient dire à Adeline Pichon du premier étage : "Rachel, vous ne trouvez pas ambigu le comportement d'Albert ? Moi, je pense qu'il est amoureux de vous et qu'il n'ose pas se déclarer. Vous savez bien : in vino veritas."
Rachel haussait les épaules et assurait à Adeline Pichon qu'il n'en était rien. Elle soupçonnait d'ailleurs cette dernière d'être un peu jalouse. Elle l'avait vue maintes fois dévorer des yeux les deux célibataires. Ce pouvait être de bons partis et comme elle se plaignait toujours de ne pas joindre les deux bouts avec son salaire de misère…
Rachel aimait bien tout son petit monde. A part les escapades alcoolisées d'Albert, le calme régnait dans l'immeuble. Elle s'occupait tranquillement du ménage, distribuait le courrier, rendait service quand elle le pouvait. Son temps libre ? Elle le passait à la bibliothèque de la ville ou dans les librairies. Elle adorait lire et ne pouvait résister parfois à se faire un petit plaisir : acheter un ou deux ouvrages dont elle appréciait les auteurs.
Mais ce que personne ne savait, le jardin secret de la concierge, c'était son adhésion à l'association Chorège. Rachel y pratiquait la danse classique et c'était là son plus grand bonheur. Mais elle n'en parlait jamais.
Il rentrait en beuglant l'Internationale ou "Tiens, voilà la Coloniale", grimpait au premier comme il pouvait, et à califourchon sur la rampe d'escalier, redescendait en trombe. Juste quand Rachel, devant sa télé regardait Ben et Arnaud chez Drucker. Elle les adorait, ces deux-là. Allez donc savoir pourquoi ! Peut-être à cause de leur chien en peluche ? Maurice lui gâchait sa soirée, voilà tout. Aussi était-elle contente quand le CAB perdait. Au moins, elle avait la paix.
Le mercredi, Albert passait l'après-midi au café de la gare à jouer à la belote avec ses potes. Surtout, à vider les canons de rouge. Le patron avait l'habitude : quand Albert était dans l'incapacité de mettre un pied devant l'autre, il téléphonait à Maurice. Celui-ci allait chercher son frère et avait bien du mal à le conduire à l'étage. Le frangin, plein comme une outre, stationnait devant la loge, frappait, déclamait des mots d'amour à Rachel qui ne pipait mot et restait enfermée.
C'était toujours la même chose : le lendemain, penaud, Albert lui présentait ses excuses et elle ne pouvait pas lui en vouloir. Il lui achetait des fleurs parfois ou lui portait une part de gâteau, la pâtisserie étant l'une de ses passions. Les échaudés à l'anis était sa spécialité et Rachel en raffolait.
Toutes ces attentions faisaient dire à Adeline Pichon du premier étage : "Rachel, vous ne trouvez pas ambigu le comportement d'Albert ? Moi, je pense qu'il est amoureux de vous et qu'il n'ose pas se déclarer. Vous savez bien : in vino veritas."
Rachel haussait les épaules et assurait à Adeline Pichon qu'il n'en était rien. Elle soupçonnait d'ailleurs cette dernière d'être un peu jalouse. Elle l'avait vue maintes fois dévorer des yeux les deux célibataires. Ce pouvait être de bons partis et comme elle se plaignait toujours de ne pas joindre les deux bouts avec son salaire de misère…
Rachel aimait bien tout son petit monde. A part les escapades alcoolisées d'Albert, le calme régnait dans l'immeuble. Elle s'occupait tranquillement du ménage, distribuait le courrier, rendait service quand elle le pouvait. Son temps libre ? Elle le passait à la bibliothèque de la ville ou dans les librairies. Elle adorait lire et ne pouvait résister parfois à se faire un petit plaisir : acheter un ou deux ouvrages dont elle appréciait les auteurs.
Mais ce que personne ne savait, le jardin secret de la concierge, c'était son adhésion à l'association Chorège. Rachel y pratiquait la danse classique et c'était là son plus grand bonheur. Mais elle n'en parlait jamais.
Ah les potins d'immeuble! Que d'histoires à raconter... Rachel ne doit plus savoir sur quel pied danser :)
RépondreSupprimerElle pratique aussi la danse du balai !
SupprimerSi la bignole avait fréquenté les jumeaux d'un peu plus près, elle aurait pu joindre les deux bouts justement !
RépondreSupprimerAh oui c'est du Blogbo pur jus !
stouf
RépondreSupprimer"La concierge était dans l'ascenseur", ça ferait un bon thriller sanglant où Adeline Pichon ... ;o)
Une belle unité de lieu dans ce récit, comme dans une petite La vie mode d'emploi. Moi j'ai une confiance aveugle dans les concierges qui fréquentent les bibliothèques et les librairies
RépondreSupprimerpeut-être le début d'un roman ou d'un film : "Le fabuleux destin de Rachel la concierge" :)
RépondreSupprimerblague mise à part, j'ai beaucoup aimé ton récit
Mais tu as raison Tisseuse : Rachel devient danseuse de ballet. :-)
SupprimerMerci pour ces tableaux truculents de ces personnages bien typés.
RépondreSupprimerLOIC
Une ambiance qui m'a évoqué "Chacun cherche son chat" le film génial de Klapisch.
RépondreSupprimerIl s'en passe des choses dans un immeuble...
¸¸.•*¨*• ☆
Merci.
RépondreSupprimerquelle histoire génialissime et drôle ... Bravo, Marité :)
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