Partito était de taille modeste. Eut-il été de race équine
qu’il eut été considéré double poney, le gabarit demi-cheval n’existant pas ou
sinon peut-être en termes de boucherie, activité que par ailleurs il
réprouvait. Admettons, pour simplifier la compréhension de cette histoire comme
la description scrupuleuse de Partito : il mesurait environ un
mètre soixante non pas au garrot, mais au sommet de son crâne. Crâne qu’il
avait copieusement garni de cheveux noirs, assez mal arrangés, lui donnant
l’air d’un balai brosse. Noir de poils et mat de peau, Partito était en
revanche doté d’une certaine prestance due vraisemblablement à un léger
embonpoint et à ses costumes invariablement bleus marine. Son visage, sans
signes particuliers en dehors d’une fine moustache quotidiennement huilée,
était animé d’un tic consistant à cligner l’œil droit quand il rencontrait un
homme et l’œil gauche, mais avec une fréquence plus élevée, quand il croisait
une femme ou une jeune fille. Croiser un couple lui était quasiment
insupportable.
Sa mère était concierge dans un immeuble de grand standing. Elle vivait dans un petit appartement au rez-de-chaussée de classe, mais calfeutrée dans sa loge elle priait en vain tous les matins afin que son fils grandisse un peu. Elle était belle, des cheveux flavescents entre blonds et clairs. Elle était aussi musicienne et avait quelques écolières de l’immeuble qui apprenaient chez elle le chant. Une fois par an elle faisait avant les vacances, un chorège qui lui apportait un peu d’argent. Elle se nommait Dimitria, née à Athènes ; son mari était aztèque. Son fils alors adolescent l’avait surpris à califourchon sur son père. Il avait refermé la porte de leur chambre et avait regardé la télé. Sa mère était descendue dans le salon, et un peu ambigüe, elle lui avait dit que leur chambre était un sanctuaire et qu’il n’avait pas le droit d’y entrer. Partito n’avait rien dit et tout était rentré dans l’ordre.
Le trait principal du caractère de Partito était sa fierté.
Il était fier de lui, simplement, de sa culture immense ou du moins la
jugeait-il ainsi, de ses costumes bien ajustés, de sa moustache si fine, mais
par dessus tout, il était fier de son appartenance à un groupe ethnique fort
ancien, les Pipils. Ses ancêtres descendaient de Usulatán, petite province de
l’ouest du Salvador, bordurière du Pacifique. Du plus loin qu’il put remonter,
car les recherches généalogiques constituaient son seul hobby, on retrouvait
trace de sa famille dès le quatorzième siècle. Il éprouva un bonheur sans
limite lorsqu’il découvrit que le Nathuatl, sa langue paternelle était celle
des Aztèques, et qu’elle était encore parlée aujourd’hui par les élites
mexicaines. Une ascendance légendaire, une élégance naturelle à peine dépréciée
par ses tics qu’il arrivait de mieux en mieux à maîtriser, un poste convoité de
gardien de nuit chef au siège d'une multinationale, Partito avait tout pour
être parfaitement heureux. Et pourtant ...
Une ombre le suivait sans cesse et parfois même se posait
lourdement sur son épaule : son patronyme. Partito se nommait Primonxien. Or,
en Nathuatl, Primonxien se prononce Primonchien … Et depuis qu’il était entré
dans sa fonction (certes enviée) de gardien de nuit chef, il était en proie aux
lazzis et aux quolibets de ses subalternes, par ailleurs infiniment plus
costauds que lui. Alors le chef "parti tôt, pris mon chien", devenait
au gré de leur fantaisie "parti tard pris mon clébard", "parti
où pris mon toutou", "parti seul pris mon épagneul", "parti
à Pâques pris mon braque", "parti dehors pris mon labrador",
"parti chez moi pris mon pékinois" voire même "parti aux gogues
pris mon bouledogue" qui l’avait mis dans une colère folle.
Partito se lamentait et enrageait de ne pouvoir les corriger
comme ils le méritaient. Mais si son intellect valait largement tous les leurs
réunis, sa force physique dépassait tout juste celle d’un bébé chihuahua, et il
subodorait que cela fut insuffisant. Alors, il traînait comme un boulet ce nom
de famille, déchiré entre le désir maintes fois effleuré d’en changer et
l’honneur inaliénable d’une lignée ancestrale d’Aztèques qui avaient tout de
même commandé le monde.
Et puis un soir qu’il se rendait à son travail, il croisa
une jeune fille menue, coiffée de ce qu’il crut être un ravissant chapeau de
paille, mais qui n’était en fait que sa chevelure blonde, abondante et assez
rebelle. Son œil gauche ne broncha pas, pas mieux que le droit, et il osa
l’aborder. Elle lui parla avec douceur. Il remarqua à peine le léger
frémissement de son sourcil gauche. Ce soir-là, Partito se fit porter pâle et
passa le plus merveilleux moment de sa vie. Elle était d’une très noble famille
française remontant aux croisés ("pas aux fenêtres", avait-elle dit
en rosissant, "aux croisés ... de Jérusalem"), les Aymar de Monchat
et se prénommait Jeanne.
On les maria dans la cathédrale en présence de
chevaliers en armure et d'Aztèques dûment emplumés venus spécialement
d’Amérique centrale. Ils accolèrent leurs deux noms. Les
Primonxien-Aymar-de-Montchat forment depuis une famille végétarienne, respectée
et respectable, quoiqu’un peu originale aux dires des mauvaises langues de la
paroisse. Dimitria était aux anges de ce mariage, son père également. Ils
avaient divorcés quelques années auparavant, mais se retrouvaient le dimanche à
l’église avec compagne et compagnon … Leur vie était belle !!
Entre chien et chat j'ai largement souri et ri à cette histoire truculente! merci pour ce moment... l'Arpi
RépondreSupprimerRécit pittoresque, au sens étymologique, c'est-à-dire comme un tableau, un carnaval d'Ensor
RépondreSupprimerUne belle histoire d'Aztèques (de ch'val) ];-D
RépondreSupprimerJe me suis bien marré, merci !
stiouf
RépondreSupprimerKool la love story des descendants de Montézuma ( mademoiselle ) et Jean Aymar de Monchat... je kiffe à donf ! ;o)
Ah...le léger frémissement du sourcil gauche...
RépondreSupprimerL'amour, toujours...
J'ai beaucoup aimé. Cher arpenteur...
¸¸.•*¨*• ☆
Dis l'Arpenteur : ils viennent d'où les costumes de Partito ? ^-^
RépondreSupprimerUn mélange Aztèque/Croisé, Monchien/Monchat : vive la diversité !