Mauvaise pioche
Quand je sortis de prison, où j’avais passé trois tours, je vis la vie en rose, et je flânai, heureux, sur le boulevard de la Villette. Ensuite, longeant l’immeuble illuminé de la compagnie d’électricité, je me rendis à la gare de Lyon par l’avenue de Neuilly et la rue de Paradis, et quand le feu fut à l’orange, j’arrivai avenue Mozart, où je m’assis sur un banc.
Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que, pendant mon court séjour en prison, un chorège avait racheté plusieurs maisons de l’avenue. Il n’eut aucun scrupule à me réclamer un loyer, afin, me dit-il, de subvenir aux frais d’entretien de son chœur lyrique. Je m’en acquittai avec mauvaise humeur et, préférant ne pas m’attarder, j’enfilai le boulevard Saint-Michel et me dirigeai vers la place Pigalle. Passant devant un bar aux lumières tamisées, j’aperçus une belle rousse, installée au comptoir à califourchon sur un tabouret, m’envoyer un clin d’œil qui n’avait rien d’ambigu.
« Tu rêves, dit ma sœur. C’est ton tour. On joue pas aux dames.
- Oh, excuse-moi, fis-je en lançant les dés. »
Je sautai par-dessus les quartiers rouges et j’évitai la gare du Nord, poursuivant mon chemin jusqu’à ces rues qui forment ce qu’on appelle le triangle d’or. J’y possède, au-delà du faubourg Saint-Honoré et de la place de la Bourse, juste après la façade blanche de la compagnie de distribution des eaux, un petit hôtel particulier rue Lafayette, acheté, en des temps meilleurs, à l’occasion d’une erreur de la banque en ma faveur. À chaque tour, j’espère que ma sœur va s’arrêter, ce qui me permettrait de lever l’hypothèque de la rue de Belleville, mais elle prend chaque fois un malin plaisir à me narguer, filant directement jusqu’à l’avenue de Breteuil, plantée de platanes à l’écorce flavescente.
J’entrai sous le porche. Il y régnait un grand désordre. Des sacs de ciment traînaient sur le tapis, des pelles et des pioches étaient appuyées contre le marbre. Dans la cour gisaient des échafaudages et des planches grises, une benne à gravats trônait. Je frappai à la porte de la gardienne. Calfeutrée dedans sa loge, la concierge priait en vain le chef de chantier pour que les ouvriers fassent moins de bruit et de poussière, et qu’au moins il donne l’ordre de protéger d’une bâche les boules de cuivre de l’escalier, qu’elle avait astiquées le matin même. Sans un mot, elle me tendit une carte de chance, sur laquelle je lus : « Faîtes des réparations dans toutes vos maisons ». Suivait le devis, exorbitant.
Le plus cruel fut que j’aperçus ma sœur au loin, sortant de la rue de la Paix. Avant de pénétrer dans la banque qui se trouve sur la case départ, elle se retourna dans ma direction et ricana. Elle devrait savoir, depuis le temps, que, sans être mauvais joueur, je déteste perdre.
Quand je sortis de prison, où j’avais passé trois tours, je vis la vie en rose, et je flânai, heureux, sur le boulevard de la Villette. Ensuite, longeant l’immeuble illuminé de la compagnie d’électricité, je me rendis à la gare de Lyon par l’avenue de Neuilly et la rue de Paradis, et quand le feu fut à l’orange, j’arrivai avenue Mozart, où je m’assis sur un banc.
Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que, pendant mon court séjour en prison, un chorège avait racheté plusieurs maisons de l’avenue. Il n’eut aucun scrupule à me réclamer un loyer, afin, me dit-il, de subvenir aux frais d’entretien de son chœur lyrique. Je m’en acquittai avec mauvaise humeur et, préférant ne pas m’attarder, j’enfilai le boulevard Saint-Michel et me dirigeai vers la place Pigalle. Passant devant un bar aux lumières tamisées, j’aperçus une belle rousse, installée au comptoir à califourchon sur un tabouret, m’envoyer un clin d’œil qui n’avait rien d’ambigu.
« Tu rêves, dit ma sœur. C’est ton tour. On joue pas aux dames.
- Oh, excuse-moi, fis-je en lançant les dés. »
Je sautai par-dessus les quartiers rouges et j’évitai la gare du Nord, poursuivant mon chemin jusqu’à ces rues qui forment ce qu’on appelle le triangle d’or. J’y possède, au-delà du faubourg Saint-Honoré et de la place de la Bourse, juste après la façade blanche de la compagnie de distribution des eaux, un petit hôtel particulier rue Lafayette, acheté, en des temps meilleurs, à l’occasion d’une erreur de la banque en ma faveur. À chaque tour, j’espère que ma sœur va s’arrêter, ce qui me permettrait de lever l’hypothèque de la rue de Belleville, mais elle prend chaque fois un malin plaisir à me narguer, filant directement jusqu’à l’avenue de Breteuil, plantée de platanes à l’écorce flavescente.
J’entrai sous le porche. Il y régnait un grand désordre. Des sacs de ciment traînaient sur le tapis, des pelles et des pioches étaient appuyées contre le marbre. Dans la cour gisaient des échafaudages et des planches grises, une benne à gravats trônait. Je frappai à la porte de la gardienne. Calfeutrée dedans sa loge, la concierge priait en vain le chef de chantier pour que les ouvriers fassent moins de bruit et de poussière, et qu’au moins il donne l’ordre de protéger d’une bâche les boules de cuivre de l’escalier, qu’elle avait astiquées le matin même. Sans un mot, elle me tendit une carte de chance, sur laquelle je lus : « Faîtes des réparations dans toutes vos maisons ». Suivait le devis, exorbitant.
Le plus cruel fut que j’aperçus ma sœur au loin, sortant de la rue de la Paix. Avant de pénétrer dans la banque qui se trouve sur la case départ, elle se retourna dans ma direction et ricana. Elle devrait savoir, depuis le temps, que, sans être mauvais joueur, je déteste perdre.
Ta sœur semble trop Monopoly pour être honnête!
RépondreSupprimerBelle imagination pour un exercice pas si facile que ça, Bricabrac
Tu as raison : je crois qu'elle triche !
SupprimerLes trois premières lignes je me suis dit : "tain ! Pas faignasse quel détour ! Et puis à la quatrième ligne j'ai tout compris : tu monomolysez Paris à toi tout seul ];-D
RépondreSupprimerDémasqué à la 4ème ligne ? Je suis vexé, je boude, je joue plus
SupprimerJe t'ai démasqué mais bien après la 4eme ligne. Bel exercice. Beau style. Bel exercice de style.
RépondreSupprimerProvincial, alors ? Merci pour ta virée dans la capitale
SupprimerJ'aime décidément tout ce que tu écris...
RépondreSupprimerC'est grave docteur? :-)))
¸¸.•*¨*• ⭐️
Bon, on fait une partie ? Ma sœur m'énerve
SupprimerQuand tu veux... ;-)
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆
Je vais de ce pas apprendre ce jeu pour connaitre enfin le nom du banquier qui fait des erreurs en notre faveur ☺☺☺
RépondreSupprimerLe but du jeu est l'apprentissage précoce de l'accumulation des richesses...
SupprimerQue voilà un Monopoly bien bricolé !
RépondreSupprimerBeaucoup d'entraînement juvénile...
Supprimerpour ma part, ce fut à la 7ème ligne que je découvrais le pot aux roses :)
RépondreSupprimerA ma décharge, il faut dire que j'ai plus grandi dans une famille de chorèges, et ne connaissais de flavescent que la chevelure du Petit Prince que je lisais bien entendu à califourchon sur ma chaise.
Hélas, je me suis rendue compte un jour que l'humain était bien plus ambigu, et qu'il ne me suffirait pas pour le comprendre de rester calfeutrée dedans ma loge (de théâtre) dans un sombre rôle de (con)cierge qui priait en vain un monde plus juste et plus beau....
Ah, un commentaire qui est en lui-même un texte, merci, chère Tisseuse
RépondreSupprimerTa sœur est un peu énervante et aussi excitante ... bon après, entrer dans la banque c'était une bonne idée :o))
RépondreSupprimerj'ai vraiment aimé ton texte monopolystique et plein d'humour