« Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu’on m’eût regardé, et qu’on m’eût mis en occasion d’ouvrir la bouche. Mais, si quelqu’un, par hasard, apprenait à la compagnie que j’étais Persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : « Ah ! Ah ! Monsieur est Persan ? C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? »
Montesquieu, Lettres Persanes.
Montesquieu, Lettres Persanes.
***
Ma grand-mère maternelle descendit un jour à dos d'âne de son village piémontais pour s'en aller épouser un étranger de la grande ville. Un monégasque, pensez...quelle honte. Ils s'installèrent à l'étranger, en France, dans un village de montagne où ceux d'à côté étaient appelés en patois local des « estrangers ». Ma grand-mère paternelle avait quitté sa verte Erin natale pour partir étudier à l'étranger comme jeune fille au pair, elle épousa un Stéphanois qui s'était expatrié à Paris dans le quatorzième.
En se regardant dans les yeux, tous ces étrangers allaient se mettre à se reproduire dans des concerts de soupirs et d'anges radieux. Cela donna mon père et ma mère, qui à leur tour se rencontrèrent par un de ces miracles fortuits dont la vie est friande, et que l'on appelle parfois le hasard, et parfois (quand on n'a pas de poésie) la nécessité.
Forts de ces secrets, et sachant trop bien d'où chacun venait, dans la famille, comme ébloui sans doute par ce prodige, on nous éleva dans l'amour de la différence. De toutes les différences. Un jour, à l'école, ma copine Joséphine se fit traiter de « négresse » et de « cacao » par des garnements qui lui rajoutèrent d'aller « boire du lait ». Je découvris alors ébahie que Joséphine était noire, je ne m'en étais jamais aperçue.
Elle est à toi cette chanson, toi l'étranger, qui sans façon, d'un air malheureux m'a souri, avec ta gueule de Métèque, de Juif errant, de pâtre grec, et quand la mer se ramène avec des étrangers, homme ou chien c'est pareil : on les regarde naviguer et dans les rues d'Lorient ou d'Brest, pour les sauver, y a toujours un marin qui rallume son voilier... Brassens, Perret, Moustaki, Ferré, Hugo...on chantait en bagnole pour oublier qu'on avait mal au cœur dans les virages, et rappelez-vous qu'on est toujours l'étranger de quelqu'un, disait mon père, qui entonnait son poème favori avec le ton de Jouvet et de Sacha Guitry à la fois : « C'était un espagnol de l'armée en déroute, qui se traînait, sanglant, sur le bord de la route, et vise au front mon père en criant : « Caramba! » Le coup passa si près que le chapeau tomba et que le cheval fit un écart en arrière. Donne-lui tout de même à boire, dit mon père.»
Et l'enfant qui naîtra un jour aura les couleurs de l'amour contre laquelle on ne peut rien.
Où lire Célestine
En se regardant dans les yeux, tous ces étrangers allaient se mettre à se reproduire dans des concerts de soupirs et d'anges radieux. Cela donna mon père et ma mère, qui à leur tour se rencontrèrent par un de ces miracles fortuits dont la vie est friande, et que l'on appelle parfois le hasard, et parfois (quand on n'a pas de poésie) la nécessité.
Forts de ces secrets, et sachant trop bien d'où chacun venait, dans la famille, comme ébloui sans doute par ce prodige, on nous éleva dans l'amour de la différence. De toutes les différences. Un jour, à l'école, ma copine Joséphine se fit traiter de « négresse » et de « cacao » par des garnements qui lui rajoutèrent d'aller « boire du lait ». Je découvris alors ébahie que Joséphine était noire, je ne m'en étais jamais aperçue.
Elle est à toi cette chanson, toi l'étranger, qui sans façon, d'un air malheureux m'a souri, avec ta gueule de Métèque, de Juif errant, de pâtre grec, et quand la mer se ramène avec des étrangers, homme ou chien c'est pareil : on les regarde naviguer et dans les rues d'Lorient ou d'Brest, pour les sauver, y a toujours un marin qui rallume son voilier... Brassens, Perret, Moustaki, Ferré, Hugo...on chantait en bagnole pour oublier qu'on avait mal au cœur dans les virages, et rappelez-vous qu'on est toujours l'étranger de quelqu'un, disait mon père, qui entonnait son poème favori avec le ton de Jouvet et de Sacha Guitry à la fois : « C'était un espagnol de l'armée en déroute, qui se traînait, sanglant, sur le bord de la route, et vise au front mon père en criant : « Caramba! » Le coup passa si près que le chapeau tomba et que le cheval fit un écart en arrière. Donne-lui tout de même à boire, dit mon père.»
Et l'enfant qui naîtra un jour aura les couleurs de l'amour contre laquelle on ne peut rien.
Où lire Célestine
Cette évocation de métissages, de mélanges de chansons populaires, d'amour de
RépondreSupprimerla littérature et de la poésie et d'amours tout court, je m'y retrouve forcément. Bravo et merci de ce beau texte, citoyenne des étoiles !
Merci mon oncle préféré. ♥︎
SupprimerDeux commentaires aussi beaux l'un que l'autre, tu me combles...
¸¸.•*¨*• ☆
Un pot qu'est pas pourri...
RépondreSupprimerMerci Chri.
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆
merveilleusement bien fait ce résumé de tes ascendants et de ces chansons qui sont dans toutes nos oreilles !
RépondreSupprimerles auteurs de ces chansons, ou leurs interprètes, étant pour une grande part eux-mêmes des "estrangers" dont nous nous enorgueillissons qu'ils portent haut les couleurs de la langue française
et puis un grand-père stéphanois c'est vraiment bien (commente la fille née à Saint Etienne de parents stéphanois et grands-parents maternels stéphanois) :)
Si ça se trouve nous serions de lointaines cousines, ma Tisseuse...
Supprimermerci pour ton com élogieux.
Bisous célestes
✫ ✫.★**
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mais va savoir ! et du coup tu serais aussi cousine de L'Arpenteur :)
SupprimerQuelle grande famille !
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆
Elle est bien belle aussi, cette singulière amour au féminin. Une pure délice, une orgue majestueuse
RépondreSupprimerJe vois que tu connais bien la grammaire dans ce qu'elle a de plus poétique...
SupprimerJ'ai toujours dit que la grammaire était une chanson douce...
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Comment ne pas avoir la tête dans les étoiles quand on descend, pour moitié, de grands-parents issus d'un village piémontais et du rocher monégasque ?
RépondreSupprimerOui, tu as raison, Marité...mon goût des étoiles me vient sans doute en partie du ciel de Méditerranée... ;-)
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆