Chronique d’une époque révolue !
et le Tour de France
C’était l’été.
Le grand cerisier en majesté étirait ses branches devant la cuisine. Sur le rebord de la fenêtre grande ouverte, il y avait toujours une boîte de conserve retournée sur laquelle on posait un vieux plat à œuf garni de beurre, de saindoux en hiver ou de graines en été. Les mésanges bleues et charbonnières se les disputaient allègrement faisant peu de cas de notre présence. Parfois elles venaient picorer sur la table même, bien peu dérangées par nos mouvements. La cuisine était alors le point central de la maison. Nous y mangions, lisions, travaillions. Les discussions familiales se tenaient là, toutes les décisions s’y prenaient. Ma grand-mère, emblématique, blouse bleue ou grise, chignon blanc et un regard clair rempli d’une bonté espiègle, préparait sans cesse les plats, gâteaux, pâtés, confitures, conserves. Une marmite mijotait toujours sur le coin du vieux fourneau à barre de laiton. Quand elle ne cuisinait pas, elle cousait à l’aide d’une antique machine Singer que mon père avait « électrifiée ». J’entends encore aujourd’hui son tactactactac caractéristique.
Mais l’été, il y avait un événement essentiel qui me tenait en haleine durant tout le mois de juillet : le Tour de France. Dès le mois d’avril les deux courses annonciatrices des beaux jours, aussi fiables que le retour des hirondelles, étaient Paris-Nice et le critérium du Dauphiné Libéré. Mon père alors commençaient à raconter. Amateur et amoureux du vélo depuis l’enfance, il avait suivi passionnément les exploits de ces hommes hors normes. Il racontait et, sans le savoir vraiment, me fabriquait une mythologie sportive unique. Les Pélissier, Lapebie, les frères Maës, Raphaël Géminiani, Antonin Magne défilaient dans la cuisine, effectuaient des ascensions d’anthologie dans des conditions inimaginables, remportaient des sprints incroyables, traçaient des échappées inouïes. Il a du me dire plus de dix fois la légende d’Eugène Christophe, coureur du début du siècle (du vingtième !) qui dut forger la fourche cassée de son vélo, surveillé par un commissaire de course qui vérifiait scrupuleusement que personne ne lui portât assistance l’obligeant à actionner lui-même le soufflet du foyer. C’était au pied du Tourmalet, à Saint Marie de Campan. Coppi (« regarde cette photo, sa cage thoracique sur dimensionnée et ses hanches étroites lui donnent l’air d’un lévrier »), Bartali, Bobet, sont venus dans la cuisine à son invitation. Certains avaient des surnoms comme « l’ange de la pluie » en la personne de Charly Gaul, ou « l’aigle de Tolède pour Fédérico Bahamontès ». A cette époque pour moi, il y avait deux mondes. Celui de mes héros de lecture, du club des cinq aux trois mousquetaires, d’Arsène Lupin à Rouletabille, de Bob Morane à Angelo le hussard sur le toit, des héros cyclistes de mon père. De l’autre côté se trouvaient Jésus et Saint François. Puis je me suis fait mes propres héros d’épopée. Avant tout Jacques Anquetil, maître Jacques, l’idole de mes dix ans. Plus tard je vibrais pour Roger Pingeon, ou Bernard Thévenet qui sont venu à bout d’Eddy Merckx. Puis il y eu Ocana, Guimard et Hinault. Ma mère m’achetait à la fin du tour, le « miroir du cyclisme » et « le miroir du tour » où je relisais sans cesse les exploits et les drames de mes idoles. Je me souviens de titres ronflants à la Blondin comme « le masque du bergamasque » le jour où Felice Gimondi, champion italien avait été distancé par ses principaux rivaux. Je ne connaissais pas Bergame et n’ai compris la formule que plus tard, mais sa musique m’enchantait.
Dans la cuisine, le vieux poste en bois et son œil verdâtre avait laissé place au transistor. J’écoutais, l’oreille collée au haut parleur, les retransmissions des étapes, notant soigneusement les classements quotidiens et le général. Puis en fin d’après midi, je prenais mon vélo et partait faire mon tour sur un circuit immuable. Trois côtes un peu raides, trois descentes, un passage sinueux et une longue ligne droite : mes Tourmalet, Isoard, Galibier, et une arrivée au sprint. J’ai gagné cent fois la course, décroché les meilleurs dans les cols, descendu à tombeau ouvert et jeté mon vélo dans des sprints acrobatiques, seul sur la route. Mon imagination faisait le reste.
J’avais également une collection de petits cyclistes en plastique, plus vrais que nature. Certains montaient en danseuse, d’autres sprintaient, un levait les bras en passant la ligne d’arrivée. Le maillot jaune, le maillot vert, le maillot de champion de France. Tous étaient là. Avec mes cousins, on traçait un parcours dans le jardin. Les voitures dinky toys, agrémentées des noms des coureurs tapés laborieusement sur l’antique Remington dont les lettres ne cessaient de se coincer, puis scotchés sur leur capot, servaient de voitures suiveuses et de « caravane publicitaire ». Nous prenions chacun une équipe et nous les faisions avancer avec des billes. S’il pleuvait, on rapatriait tout le monde à l’intérieur. Le parcours se faisait alors sur le carrelage, les dés remplaçaient les billes, et le tour repartait. Je n’ai pas encore trouvé de meilleure manière de toucher l’été : mes cousins, l’enfance, l’insouciance, un bonheur simple et inoubliable.
Enfin et pour en terminer avec cette histoire sur un autre temps, le plus fabuleux cadeau c’était quand un coureur français remportait l’étape du quatorze Juillet. J’ai encore en mémoire l’arrivée de Raymond Delisle, dans un brouillard épais, surgissant seul en haut du Tourmalet, revêtu en plus du maillot tricolore. Ou encore le démarrage de Thévenet dans les derniers lacets du Ventoux, laissant sur place Eddy Merckx.
et le Tour de France
C’était l’été.
Le grand cerisier en majesté étirait ses branches devant la cuisine. Sur le rebord de la fenêtre grande ouverte, il y avait toujours une boîte de conserve retournée sur laquelle on posait un vieux plat à œuf garni de beurre, de saindoux en hiver ou de graines en été. Les mésanges bleues et charbonnières se les disputaient allègrement faisant peu de cas de notre présence. Parfois elles venaient picorer sur la table même, bien peu dérangées par nos mouvements. La cuisine était alors le point central de la maison. Nous y mangions, lisions, travaillions. Les discussions familiales se tenaient là, toutes les décisions s’y prenaient. Ma grand-mère, emblématique, blouse bleue ou grise, chignon blanc et un regard clair rempli d’une bonté espiègle, préparait sans cesse les plats, gâteaux, pâtés, confitures, conserves. Une marmite mijotait toujours sur le coin du vieux fourneau à barre de laiton. Quand elle ne cuisinait pas, elle cousait à l’aide d’une antique machine Singer que mon père avait « électrifiée ». J’entends encore aujourd’hui son tactactactac caractéristique.
Mais l’été, il y avait un événement essentiel qui me tenait en haleine durant tout le mois de juillet : le Tour de France. Dès le mois d’avril les deux courses annonciatrices des beaux jours, aussi fiables que le retour des hirondelles, étaient Paris-Nice et le critérium du Dauphiné Libéré. Mon père alors commençaient à raconter. Amateur et amoureux du vélo depuis l’enfance, il avait suivi passionnément les exploits de ces hommes hors normes. Il racontait et, sans le savoir vraiment, me fabriquait une mythologie sportive unique. Les Pélissier, Lapebie, les frères Maës, Raphaël Géminiani, Antonin Magne défilaient dans la cuisine, effectuaient des ascensions d’anthologie dans des conditions inimaginables, remportaient des sprints incroyables, traçaient des échappées inouïes. Il a du me dire plus de dix fois la légende d’Eugène Christophe, coureur du début du siècle (du vingtième !) qui dut forger la fourche cassée de son vélo, surveillé par un commissaire de course qui vérifiait scrupuleusement que personne ne lui portât assistance l’obligeant à actionner lui-même le soufflet du foyer. C’était au pied du Tourmalet, à Saint Marie de Campan. Coppi (« regarde cette photo, sa cage thoracique sur dimensionnée et ses hanches étroites lui donnent l’air d’un lévrier »), Bartali, Bobet, sont venus dans la cuisine à son invitation. Certains avaient des surnoms comme « l’ange de la pluie » en la personne de Charly Gaul, ou « l’aigle de Tolède pour Fédérico Bahamontès ». A cette époque pour moi, il y avait deux mondes. Celui de mes héros de lecture, du club des cinq aux trois mousquetaires, d’Arsène Lupin à Rouletabille, de Bob Morane à Angelo le hussard sur le toit, des héros cyclistes de mon père. De l’autre côté se trouvaient Jésus et Saint François. Puis je me suis fait mes propres héros d’épopée. Avant tout Jacques Anquetil, maître Jacques, l’idole de mes dix ans. Plus tard je vibrais pour Roger Pingeon, ou Bernard Thévenet qui sont venu à bout d’Eddy Merckx. Puis il y eu Ocana, Guimard et Hinault. Ma mère m’achetait à la fin du tour, le « miroir du cyclisme » et « le miroir du tour » où je relisais sans cesse les exploits et les drames de mes idoles. Je me souviens de titres ronflants à la Blondin comme « le masque du bergamasque » le jour où Felice Gimondi, champion italien avait été distancé par ses principaux rivaux. Je ne connaissais pas Bergame et n’ai compris la formule que plus tard, mais sa musique m’enchantait.
Dans la cuisine, le vieux poste en bois et son œil verdâtre avait laissé place au transistor. J’écoutais, l’oreille collée au haut parleur, les retransmissions des étapes, notant soigneusement les classements quotidiens et le général. Puis en fin d’après midi, je prenais mon vélo et partait faire mon tour sur un circuit immuable. Trois côtes un peu raides, trois descentes, un passage sinueux et une longue ligne droite : mes Tourmalet, Isoard, Galibier, et une arrivée au sprint. J’ai gagné cent fois la course, décroché les meilleurs dans les cols, descendu à tombeau ouvert et jeté mon vélo dans des sprints acrobatiques, seul sur la route. Mon imagination faisait le reste.
J’avais également une collection de petits cyclistes en plastique, plus vrais que nature. Certains montaient en danseuse, d’autres sprintaient, un levait les bras en passant la ligne d’arrivée. Le maillot jaune, le maillot vert, le maillot de champion de France. Tous étaient là. Avec mes cousins, on traçait un parcours dans le jardin. Les voitures dinky toys, agrémentées des noms des coureurs tapés laborieusement sur l’antique Remington dont les lettres ne cessaient de se coincer, puis scotchés sur leur capot, servaient de voitures suiveuses et de « caravane publicitaire ». Nous prenions chacun une équipe et nous les faisions avancer avec des billes. S’il pleuvait, on rapatriait tout le monde à l’intérieur. Le parcours se faisait alors sur le carrelage, les dés remplaçaient les billes, et le tour repartait. Je n’ai pas encore trouvé de meilleure manière de toucher l’été : mes cousins, l’enfance, l’insouciance, un bonheur simple et inoubliable.
Enfin et pour en terminer avec cette histoire sur un autre temps, le plus fabuleux cadeau c’était quand un coureur français remportait l’étape du quatorze Juillet. J’ai encore en mémoire l’arrivée de Raymond Delisle, dans un brouillard épais, surgissant seul en haut du Tourmalet, revêtu en plus du maillot tricolore. Ou encore le démarrage de Thévenet dans les derniers lacets du Ventoux, laissant sur place Eddy Merckx.
Ce bonheur là est équivalent à celui ressenti, quand l’équipe de France de rugby bat les anglais à Twickenam, ou celle de football les allemands à Munich.
Une sorte de moment de grâce, chauvin et délicieux, qui vous fait monter un instant sur le toit du monde.
Une sorte de moment de grâce, chauvin et délicieux, qui vous fait monter un instant sur le toit du monde.
On a eu les mêmes héros et les mêmes jeux - le même carrelage sans doute - alors merci d'avoir réveillé tout ça! L'été est bien là
RépondreSupprimerl'été, l'enfance, les cousins, et le tour de France que mon père racontait ... un vrai bonheur :)
SupprimerJ'aurais pu l'écrire aussi, cet "Amarcord" magnifique ! Comment ça se fait que j'ai le même âge que vous, les gars, alors que je suis né en 1989 ?
RépondreSupprimerVous croyez vraiment que je suis schizo... Freine ! Freine ! Paf ! Dans le ravin, le Joe K. !
t'es sur que t'es né en 89 (1889) non je rigole :o)))
Supprimertu n'es pas schizo (à peine) et tu ne tomberas jamais dans le ravin (ou un vraie cuite :o)) )
Un délice...ou un supplice, ton texte, selon que l'on aime (ou pas) le vélo... ;-)
RépondreSupprimerMoi je donne mon joker :-)
¸¸.•*¨*• ☆
j'ai fait du vélo gamin, puis adolescent et je reprends maintenant pour le plaisir ... tu donnes mon joker, c'est fort sympa Célestine !!
SupprimerJ'ailu il y a peu un merveilleux bouquin fort bien illustré sur Louison Bobet, idole des années 53, 54, qui victime d'une plaie très mal placée, avait parcouru toute une étape "en danseuse" !
RépondreSupprimerBobet, une étape entière en danseuse, c'est dure et compliquée et pas s'asseoir sur la selle (hémorroïdes) ...
Supprimerje suis plus foot que cycle (et pourtant à Saint Etienne, ce devrait être les deux !), mais c'est dommage que je n'ai aucun souvenir de tes petits cyclistes :(
RépondreSupprimerje me rappelle par contre des circuits vélo que mon père faisait avec mon frère et ma sœur dans le sable des vacances, et la bille était remplacée par une petite pomme de cyprès :)
tu ne te souviens plus de mes petits cyclistes ... ça alors :o) ... tu étais trop petite alors ... et j'ai monté bien souvent le Pilat jusqu'au l'Oeillon :o)
Supprimeravec mes amis (Norbert et Frédéric)
aurais-tu aussi fait Vélocio ?
Supprimer:)
je n'ai jamais fait le Vélocio à SaintE :o))))
SupprimerÇa alors, j'y crois pas ? Tu ne parles pas de Poupou, mon pays ? Le valeureux guerrier du vélo toujours deuxième ? Bah !!!
RépondreSupprimerTon texte est fluide comme une piste cycliste sans côte.
Qui pour t'offrir le bouquet du vainqueur au terme de tes courses endiablées ? :-)))
ah Poupou, quel cycliste incroyable ... mais avec Anquetil c'était un peu plus compliqué pour lui :o)
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