Les curieux évènements qui font le
sujet de cette chronique se sont produits. Oui, je vous l'assure, ils
se sont bel et bien produits, cela ne fait aucun doute. Ce que vous
serez en droit de me demander, en revanche, c’est où, et quand.
L’ennui c’est que je ne saurais le dire avec précision.
Dans mon souvenir, nimbé de l’éclat
d’une lune énorme derrière les carreaux tremblants d’une
fenêtre ancienne, il me semble que j’étais assis à une table de
travail, à moins que ce ne fût un bureau de chêne aux tiroirs
massifs. En tout cas, c’était un endroit plat, et encombré
d’objets hétéroclites, encriers, boîte à gâteaux, livres,
tampons-buvards, bougeoirs. Je dois vous avouer, pour être tout à
fait honnête, que je n'étais pas chez moi, et que j’avais
certainement un peu abusé, au repas, de ce vin de Xérès qui
étourdit la tête dans un tourbillon, plus sûrement qu’un manège
de chevaux de bois.
Bref, le silence enveloppait le soir de
sa main gantée de noir. Tout le monde dormait. J’écrivais, comme
à mon habitude, dans le cahier de moleskine qui me servait de
journal, et recevait chaque soir mes lignes hâtives et fiévreuses.
Je résumais ma journée qui, ce jour-là, avait été
particulièrement vide d'événements, autant que mon regard vitreux
observant la campagne endormie par la nuit. La suite devait me faire
mentir.
Car un mouvement inhabituel attira mon
attention, du côté ouest de la table. L'une des deux bougies se
déplaçait toute seule, dansant comme un feu follet sur une tombe.
A y bien regarder, elle ne bougeait pas
par elle-même : a-t-on jamais vu cela ? Non.
Elle était mue par un tout petit
personnage que j’identifiai assez rapidement comme étant un
enfant. Mais quand je dis petit, c’était vraiment un tout petit
garçon. Il devait mesurer deux pouces, à tout casser. A peine plus
que la chandelle…
Le plus étonnant, c’est que la
deuxième bougie avait changé de place elle aussi, et qu’elle
éclairait maintenant mon gros livre de contes, ouvert. J’en étais
l’auteur, et pas peu fier. J'adorais raconter des histoires.
Et là, allongée nonchalamment au
mitan d’une des pages, une gamine aussi peu haute que son camarade
promenait son doigt affairé sur « l’histoire de la Princesse
Rosette ». Pas plus effrayée que cela qu’un géant à moustaches
la dévisageât d'un regard sévère.
- Qui êtes-vous, les mioches ? me
hasardai-je à demander.
- Nous sommes les petits génies de la
lecture, répondit-elle sans crainte d'aucune sorte. Nous venons
vérifier que dans chaque maison, les enfants puissent lire des
histoires estampillées par la Reine des Mots.
- Ah bon. Et mon histoire vous
paraît-elle convenir ?
- Ma foi, elle est assez drôle et bien
tournée. Nous l’adoubons, dit la liseuse.
- Si, si, elle a dou bon, signor,
ajouta l’espiègle petit porteur de flamme.
Je fermai les yeux de plaisir, celui
que chaque auteur éprouve quand on titille gentiment le poil de son
ego de plumitif.
Quand je les rouvris, mes petits
fabuleux s’étaient dissolus dans l’air. Ça alors !
Plus tard, et même longtemps après,
j’évitai de parler à mon éditeur de la Reine des Mots et de ses
trolls. Je craignais qu’il ne me soupçonnât de délirium très
épais et me coupât les vivres. Mais une secrète satisfaction
allumait dans mon œil gris une lueur d’étoile. Et je brûlais,
évidemment, de rencontrer cette fameuse Reine des Mots, ne fût-ce
que pour voir à quoi elle ressemblait... mais qui aurait pu me dire
où elle créchait ?
Vous le savez, vous ?
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Joli ! J'adore lire tes histoires, je ne sais jamais où tu vas m'emmener et c'est féérique...Merci Célestine !
RépondreSupprimerC'est le propre des histoires féeriques, et j'adore en écrire. Merci Maryline !
Supprimer•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Le délirium très épais nous fait parfois voir des nains partout !
RépondreSupprimerJoli conte en tout cas
Ah ! jolie référence à un film de mes vingt ans. C'est sans doute en le voyant que j'ai commencé à m'interroger sur les contes de fées, et à aimer les adaptations modernes...
SupprimerBisous et merci, cher Vegas
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Tellement mignon, elle a vraiment "dou bon" cette histoire ;-)
RépondreSupprimeret ces photos de Val Tilu sont à tomber!
Une image puissamment onirique qui a déclenché mon imagination...
SupprimerElle a du talent cette photographe.
Bisous ma pie
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si tous les trolls qui sévissent sur internet étaient aussi charmants que ceux-ci le monde en serait bien plus sympathique
RépondreSupprimerC'est tellement vrai ce que tu dis...
Supprimerici au moins, c'est un espace protégé où les gentils trolls ne sont pas moqués.
Bisous ma Tisseuse
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savoureux
RépondreSupprimerdélicieux ! (je parle de ton commentaire) ;-)
Supprimer•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Coton, cette conjugaison au milieu des mômes troll ! :)
RépondreSupprimerTu es plus-que-parfait, pascal !
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On t'a reconnue, Susie Morgenstern ;)
RépondreSupprimerHé hé...moi qui croyais voyager incognita...
SupprimerMerci du compliment mon Titi, je l'adore.
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Serviteur, belle plume ♥
SupprimerBon, une hospitalisation m'a mis hors délai pour publier ici, mais je la tenais ma contrib', hein !
Tien(s)...
http://pavupapri.hautetfort.com/archive/2019/04/14/tilt-6143930.html
Mais la Reine des Mots, tout le monde la connait ici. ;-)
RépondreSupprimerTon histoire elle-même est un joli conte Célestine. Et je crois dur comme fer que des trolls se promènent incognito dans tous les livres de conte. Sinon, d'où viendrait la magie ?
N'empêche que maintenant, j'aimerais bien les voir juste une fois sur mes étagères, ces petits trolls des mots.
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