Une petite mésange
Ben
non ; « je ne fais pas de brouillon »… Pour quoi faire ?...
Parce qu’elle est une petite mésange farouche, l’inspiration se pose sur mon
épaule, comme ça, quand je m’y attends le moins. Une chanson, un paysage, une
œillade, un parfum, c’est la majuscule du début de mon écriture, la gare de
départ, l’illusion en marche, le confessionnal de mes non-dits.
Je
ne suis pas l’auteur de ce que j’écris, je suis l’écrivain de ce que
l’inspiration me dicte. Avec l’élan de mes sens aux aguets, phrase après
phrase, je vais tremper ma plume dans l’encrier des soupirs, dans celui des
rêves, dans celui des désirs, dans celui des couleurs, dans celui des choses
qui n’arrivent jamais.
Quand
j’essaie de la regarder dans les yeux, elle s’enfuit ; quand je voudrais
la retenir, elle s’écarte ; quand je la tiens au bout de ma plume, elle
sautille, elle s’échappe, elle revient, elle repart, elle fomente, elle
s’extasie, elle se vaporise mais réapparaît dans un trait de lumière ! Je
dois tout écrire dans le seul ordre qu’elle me propose ! À son seul gré,
je ne peux que m’exécuter à cette bienheureuse sentence ; alors, vous
pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…
Parfois,
quand je conduis, elle s’approche si près de moi que je vois tout le défilé de
mon texte qui passe devant mon nez. Comme les héros d’un cirque à la parade, les
détails, les sourires, les ombres, les couleurs, les décors, l’intrigue, tout s’affiche
en grandiose, tout prend l’organisation naturelle du déroulé de l’histoire ;
immanquablement, tant de félicité me met
les larmes aux yeux. C’est une ombre qui prend des formes ; c’est
consistant, c’est éblouissant, c’est un coin de paradis qui s’entrouvre, une
entrée gratuite dans la quatrième dimension !
Elle
me souffle ses soupirs, elle m’impose ses tournures de phrases, elle décide du
tempo, du jour et de la nuit, du prénom de mes héros : tout lui appartient.
À cause d’elle, je rate souvent ma sortie d’autoroute ; alors, vous pensez
bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…
Elle
est rebelle, elle est languissante, elle est attachante ; elle est un
surplus de moi que je ne peux pas contrôler ! Je voudrais l’apprivoiser,
l’accommoder, lui dire de venir de telle à telle heure mais, ça ne marche pas
comme ça ! Des édifices faramineux jusqu’aux ruines, des printemps
jusqu’aux automnes, des doux ressacs jusqu’aux tempêtes, elle me rudoie,
m’emporte, me noie, me ressuscite ; elle mystifie mon état d’esprit, elle
chamboule mes certitudes, elle énerve mes idées reçues, elle trouble l’eau qui
coule sous les ponts de mes vérités.
Dans
la seconde, je dois tout lâcher pour encaisser son entrée en force ! J’ai
chaud, j’ai froid, je suis pleutre, je suis courageux, je suis un prince, je
suis un forçat, je suis l’été, je suis l’hiver, je suis à ses ordres ! Alors,
vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…
Ses
désespoirs sont des orages, ses miracles sont des mirages, ses rires sont
cristallins, ses pleurs et ses chagrins m’abîment, me brûlent et me tuent ;
souvent, tombé en flamme, je finis prostré à côté de ma chaise. Je me
recroqueville, je suis fœtus, je veux retourner dans le ventre de ma mère et
remonter encore dans le néant, jusqu’à la plénitude de l’inexistence.
Aussi,
apaisante, en échos pacifiques, elle m’impose des arcs-en-ciel pour agrémenter
ses desseins. Magnanime, elle a des plages de sable tiède où elle m’autorise à
laisser mes empreintes ; elle a des oiseaux qui parlent, des cerfs-volants
sans fil, des trains qui ne laissent jamais personne sur le quai…
Chez
elle, le cours de la larme tiède a plus de valeur que celui de l’or ; je
sais ses embrassades chaleureuses, ses sourires comme des mines de bonheur, ses
« Je t’aime » aussi sincères que les plus belles déclarations
d’Amour.
Elle
est plus légère que la plume de l’aile d’un ange, elle est plus amoureuse que
le baiser le plus sensuel, elle est plus colorée que la palette d’un peintre
impressionniste le plus romantique.
Elle
chasse l’ennui, parfume les fleurs, trouble les étangs, décore les nuages ;
elle met en musique le vent, harmonise les cliquetis de la pluie, réchauffe le
soleil, attise mes sensations. Là, dans l’instant de l’aventure qu’elle me
commande, je voudrais la serrer dans mes bras, la pétrir, la chérir, lui dire
qu’elle a table ouverte au restaurant de mes plus belles impressions ! Au
menu, j’ai du parme, du caraïbe, du safran, du turquoise, en majuscules de
charme ! Alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…
Tard,
le soir, elle me garde éveillé ; elle est la lauréate de mes pensées, la
disposition des étoiles filantes devant mes yeux éblouis. Elle me donne sa
fièvre, elle me dicte ses passions, elle a ses panoramas tout en sensations,
elle me brusque, me bouleverse, me sermonne, voudrait que je reste et que je
tisse encore la trame de son ouvrage ! Elle a des phrases si belles que je
suis sûr de m’en rappeler pendant mille ans mais dont j’oublie la teneur, une
minute après les avoir enfantées !
La
nuit, elle me réveille ! Elle me réclame ! Elle me houspille ! Elle
me bouscule ! Elle me soulève ! Impérativement, je dois aller la recoucher
sur le papier ! Écran, clavier, pc, je dois tout rallumer ! Elle a
tant à clamer ! Elle est pire qu’une maîtresse insatiable ! Et
moi ?!... Je suis au garde-à-vous devant les moindres de ses simagrées !
Tôt,
le matin, elle me surprend encore ; en fins de rêve ou, obstination
rémanente, séance tenante, elle me somme d’enfiler mes chaussons et de courir
reprendre l’écriture de son œuvre ! Pour mieux l’apprivoiser, la retenir,
j’ai renoncé aux choses faciles, aux plaisirs épicuriens, ceux qu’on s’achète
comme des spéculations tarifées, aux voyages cartes postales, aux repas du
dimanche qui remplissent le ventre et qui assèchent les phantasmes, en vases
communicants.
Casanier,
ascète, atrabilaire, je m’enferme dans ma cage, je tiens les volets clos, je
garde mes distances avec tout ce qui pourrait parasiter notre intime collusion.
Curieuse, elle volette tout autour de ma plume ; j’aime son parfum de
feuille blanche ; aujourd’hui, sera-t-elle à l’affiche, au futur, au
présent, à l’imparfait ? De quels affiquets vais-je la parer ?
Coquine,
elle ne se pose jamais au même endroit, si bien que je ne me rappelle pas
toujours ce qu’elle m’a murmuré, et elle ne me le redira jamais sous la forme
qu’elle m’avait suggérée au creux de l’oreille. Alors, vous pensez bien que je
n’ai pas le temps d’un brouillon…
Ma
muse a les yeux tellement bleus, ou verts, ou bruns, je ne sais plus. Au risque
de me répéter, je tombe obstinément dans ses pièges, je me noie dans ses douves,
je cherche désespérément l’amarrage de ses bras trop blancs ! Aux joutes
journalières, je suis tout rempli d’un courage neuf ! Entre les lignes, au
bout des points de suspension, je lui crie « Je t’aime ! » par
la bouche de ma plume en pâmoison ! Je voudrais tuer l’impossible et le
remplacer par limpide !
Sous
son château imprenable, j’ai placé mes armées de fleurs, je traque son mouchoir
blanc, j’habille ses silences avec des stances de troubadour.
Reviens !
Reviens, petit oiseau ! Reviens me bercer avec tous tes mots
menteurs ! Dis-moi qu’elle m’aime un peu ! Juste un peu ! Reviens
donner du cœur, de l’âme, de la profondeur à tous mes mots d’assiégeant !
Lecteur, rappelle-toi toujours : l’inspiration est un soupir divin qui
prend sa source sur la montagne des Contemplations et qui disparaît avec
quelques frissons…
Tout
ce déferlement d’intenses impressions, toutes ces images sensationnelles qui
n’auront jamais cours, tout cet enchantement que ma plume s’évertue à mettre au
jour, vous comprenez, tout ça, je ne peux le mettre sur un brouillon…
Même en faisant plusieurs brouillons, je ne parviendrais pas à traduire toutes les émotions qui s'animent en moi en te lisant...( J'y retourne...:))
RépondreSupprimerOh ça oui, je comprends ;-)
RépondreSupprimerTu l'auras un jour ta muse tu l'auras ...
RépondreSupprimerTu n'as pas besoin de brouillon. Ta muse remplace avantageusement.
RépondreSupprimerSplendide !
RépondreSupprimerCet ascétique soliloque répand une intime logorrhée qu'il fait bon prendre au vol. Merci, Pascal ♥
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