jeudi 18 avril 2019

Pascal - Pas de brouillon


Une petite mésange 


Ben non ; « je ne fais pas de brouillon »… Pour quoi faire ?... Parce qu’elle est une petite mésange farouche, l’inspiration se pose sur mon épaule, comme ça, quand je m’y attends le moins. Une chanson, un paysage, une œillade, un parfum, c’est la majuscule du début de mon écriture, la gare de départ, l’illusion en marche, le confessionnal de mes non-dits.
Je ne suis pas l’auteur de ce que j’écris, je suis l’écrivain de ce que l’inspiration me dicte. Avec l’élan de mes sens aux aguets, phrase après phrase, je vais tremper ma plume dans l’encrier des soupirs, dans celui des rêves, dans celui des désirs, dans celui des couleurs, dans celui des choses qui n’arrivent jamais.
Quand j’essaie de la regarder dans les yeux, elle s’enfuit ; quand je voudrais la retenir, elle s’écarte ; quand je la tiens au bout de ma plume, elle sautille, elle s’échappe, elle revient, elle repart, elle fomente, elle s’extasie, elle se vaporise mais réapparaît dans un trait de lumière ! Je dois tout écrire dans le seul ordre qu’elle me propose ! À son seul gré, je ne peux que m’exécuter à cette bienheureuse sentence ; alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…

Parfois, quand je conduis, elle s’approche si près de moi que je vois tout le défilé de mon texte qui passe devant mon nez. Comme les héros d’un cirque à la parade, les détails, les sourires, les ombres, les couleurs, les décors, l’intrigue, tout s’affiche en grandiose, tout prend l’organisation naturelle du déroulé de l’histoire ; immanquablement, tant de félicité  me met les larmes aux yeux. C’est une ombre qui prend des formes ; c’est consistant, c’est éblouissant, c’est un coin de paradis qui s’entrouvre, une entrée gratuite dans la quatrième dimension !
Elle me souffle ses soupirs, elle m’impose ses tournures de phrases, elle décide du tempo, du jour et de la nuit, du prénom de mes héros : tout lui appartient. À cause d’elle, je rate souvent ma sortie d’autoroute ; alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…

Elle est rebelle, elle est languissante, elle est attachante ; elle est un surplus de moi que je ne peux pas contrôler ! Je voudrais l’apprivoiser, l’accommoder, lui dire de venir de telle à telle heure mais, ça ne marche pas comme ça ! Des édifices faramineux jusqu’aux ruines, des printemps jusqu’aux automnes, des doux ressacs jusqu’aux tempêtes, elle me rudoie, m’emporte, me noie, me ressuscite ; elle mystifie mon état d’esprit, elle chamboule mes certitudes, elle énerve mes idées reçues, elle trouble l’eau qui coule sous les ponts de mes vérités.
Dans la seconde, je dois tout lâcher pour encaisser son entrée en force ! J’ai chaud, j’ai froid, je suis pleutre, je suis courageux, je suis un prince, je suis un forçat, je suis l’été, je suis l’hiver, je suis à ses ordres ! Alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…

Ses désespoirs sont des orages, ses miracles sont des mirages, ses rires sont cristallins, ses pleurs et ses chagrins m’abîment, me brûlent et me tuent ; souvent, tombé en flamme, je finis prostré à côté de ma chaise. Je me recroqueville, je suis fœtus, je veux retourner dans le ventre de ma mère et remonter encore dans le néant, jusqu’à la plénitude de l’inexistence.
Aussi, apaisante, en échos pacifiques, elle m’impose des arcs-en-ciel pour agrémenter ses desseins. Magnanime, elle a des plages de sable tiède où elle m’autorise à laisser mes empreintes ; elle a des oiseaux qui parlent, des cerfs-volants sans fil, des trains qui ne laissent jamais personne sur le quai…  

Chez elle, le cours de la larme tiède a plus de valeur que celui de l’or ; je sais ses embrassades chaleureuses, ses sourires comme des mines de bonheur, ses « Je t’aime » aussi sincères que les plus belles déclarations d’Amour.
Elle est plus légère que la plume de l’aile d’un ange, elle est plus amoureuse que le baiser le plus sensuel, elle est plus colorée que la palette d’un peintre impressionniste le plus romantique.
Elle chasse l’ennui, parfume les fleurs, trouble les étangs, décore les nuages ; elle met en musique le vent, harmonise les cliquetis de la pluie, réchauffe le soleil, attise mes sensations. Là, dans l’instant de l’aventure qu’elle me commande, je voudrais la serrer dans mes bras, la pétrir, la chérir, lui dire qu’elle a table ouverte au restaurant de mes plus belles impressions ! Au menu, j’ai du parme, du caraïbe, du safran, du turquoise, en majuscules de charme ! Alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…

Tard, le soir, elle me garde éveillé ; elle est la lauréate de mes pensées, la disposition des étoiles filantes devant mes yeux éblouis. Elle me donne sa fièvre, elle me dicte ses passions, elle a ses panoramas tout en sensations, elle me brusque, me bouleverse, me sermonne, voudrait que je reste et que je tisse encore la trame de son ouvrage ! Elle a des phrases si belles que je suis sûr de m’en rappeler pendant mille ans mais dont j’oublie la teneur, une minute après les avoir enfantées !
La nuit, elle me réveille ! Elle me réclame ! Elle me houspille ! Elle me bouscule ! Elle me soulève ! Impérativement, je dois aller la recoucher sur le papier ! Écran, clavier, pc, je dois tout rallumer ! Elle a tant à clamer ! Elle est pire qu’une maîtresse insatiable ! Et moi ?!... Je suis au garde-à-vous devant les moindres de ses simagrées !
Tôt, le matin, elle me surprend encore ; en fins de rêve ou, obstination rémanente, séance tenante, elle me somme d’enfiler mes chaussons et de courir reprendre l’écriture de son œuvre ! Pour mieux l’apprivoiser, la retenir, j’ai renoncé aux choses faciles, aux plaisirs épicuriens, ceux qu’on s’achète comme des spéculations tarifées, aux voyages cartes postales, aux repas du dimanche qui remplissent le ventre et qui assèchent les phantasmes, en vases communicants.
Casanier, ascète, atrabilaire, je m’enferme dans ma cage, je tiens les volets clos, je garde mes distances avec tout ce qui pourrait parasiter notre intime collusion. Curieuse, elle volette tout autour de ma plume ; j’aime son parfum de feuille blanche ; aujourd’hui, sera-t-elle à l’affiche, au futur, au présent, à l’imparfait ? De quels affiquets vais-je la parer ?
Coquine, elle ne se pose jamais au même endroit, si bien que je ne me rappelle pas toujours ce qu’elle m’a murmuré, et elle ne me le redira jamais sous la forme qu’elle m’avait suggérée au creux de l’oreille. Alors, vous pensez bien que je n’ai pas le temps d’un brouillon…

Ma muse a les yeux tellement bleus, ou verts, ou bruns, je ne sais plus. Au risque de me répéter, je tombe obstinément dans ses pièges, je me noie dans ses douves, je cherche désespérément l’amarrage de ses bras trop blancs ! Aux joutes journalières, je suis tout rempli d’un courage neuf ! Entre les lignes, au bout des points de suspension, je lui crie « Je t’aime ! » par la bouche de ma plume en pâmoison ! Je voudrais tuer l’impossible et le remplacer par limpide !
Sous son château imprenable, j’ai placé mes armées de fleurs, je traque son mouchoir blanc, j’habille ses silences avec des stances de troubadour.
Reviens ! Reviens, petit oiseau ! Reviens me bercer avec tous tes mots menteurs ! Dis-moi qu’elle m’aime un peu ! Juste un peu ! Reviens donner du cœur, de l’âme, de la profondeur à tous mes mots d’assiégeant ! Lecteur, rappelle-toi  toujours : l’inspiration est un soupir divin qui prend sa source sur la montagne des Contemplations et qui disparaît avec quelques frissons…  
Tout ce déferlement d’intenses impressions, toutes ces images sensationnelles qui n’auront jamais cours, tout cet enchantement que ma plume s’évertue à mettre au jour, vous comprenez, tout ça, je ne peux le mettre sur un brouillon…

6 commentaires:

  1. Même en faisant plusieurs brouillons, je ne parviendrais pas à traduire toutes les émotions qui s'animent en moi en te lisant...( J'y retourne...:))

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  2. vegas sur sarthe18 avril 2019 à 11:55

    Tu l'auras un jour ta muse tu l'auras ...

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  3. Tu n'as pas besoin de brouillon. Ta muse remplace avantageusement.

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  4. Cet ascétique soliloque répand une intime logorrhée qu'il fait bon prendre au vol. Merci, Pascal ♥

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