R. est mort
Cannelle
avait posé cette question à sa mère sans vraiment savoir pourquoi ;
peut-être parce que ça faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas posée. Elle n’en
attendait pas de réponse particulière. En fait, R. ne faisait plus partie
de sa vie, pas physiquement. Elle n’y pensait même plus très souvent, moins qu’à
ses grand-mères décédées. Comme elles, R. l’avait un peu trahie mais si elle avait
dû exclure de son cœur et de son âme tous ceux qui l’avaient trahie, il n’y
aurait plus personne. Dans les faits, il n’y avait plus grand monde dans son
paysage sentimental. Ah oui, c’est parce que sa mère lui avait parlé de sa
future exposition de peinture dans le musée consacré au grand ami artiste de R. ;
ce dernier était forcément remonté à la
surface de sa mémoire. Comme le cadavre des polars qu’elle lisait et regardait
qui n’avaient pas voulu couler dans les abysses ou partir vers le large. Il
était revenu s’échouer sur la plage de son présent affectif qui durait depuis
plus de vingt ans. Cette résurrection d’un fantôme avait emprunté les mots de
sa mère : « Figure-toi que j’ai rencontré la femme de R. il y a peu.
J’ai demandé des nouvelles de son mari et elle m’a répondu qu’il était mort
deux ans auparavant. J’avais l’air bête ! Mais que veux-tu, on ne
fréquentait plus ni les mêmes lieux, ni les mêmes personnes et puis je n’y lis
pas le journal local. »
Je n’achète
pas le journal local mais je le lis et je suis un tant soit peu au courant de
ce qui se passe dans mon quartier surtout quand cela concerne une figure locale
et quelqu’un que j’ai fréquenté.
Mine de rien, ça m’a touché, cette mort. Il ne m’avait pas
seulement aimée cet homme mais aussi dessinée, désirée et surtout donné confiance en
mon corps et en moi-même. Même si nos rapports s’étaient arrêtés parce que j’avais
jugé qu’ils n’étaient plus possibles, ce qu’il m’avait apporté, je le portais
en moi : ma confiance en moi acquise de haute lutte bien que toujours fragile
sur ses bases et surtout ma passion de l’art et de ses sujets et artistes
parfois sulfureux comme Egon Schiele, Anais Nin (lisez son « Journal »,
c’est remarquable) et Gustav Klimt, Le comte de Lautréamont, Oscar Wilde etc.
Comme R., j’ai une vie bourgeoise avec une vie sentimentale (laissée derrière moi
en ce qui me concerne) agitée inspirée par les orgies artistes de nos illustres
prédécesseurs. Je me souviens encore avec une émotion humide de l’après-midi où
il m’a dessinée en me disant par mots et caresses que j’étais belle et que je
méritais l’amour des hommes et le respect de mes proches. Les hommes m’ont aimée
mais mes proches ne s’intéressent toujours pas à moi. Peu importe, mes lectures
et mes goûts artistiques maintiennent la flamme allumée des génies maudits du paradis des marges.
Belle évocation estompée d'une liaison comme ressortie d'un carton... et l'âme d'une artiste en filigrane
RépondreSupprimermerci...
RépondreSupprimerMourir contre un arbre lors d'un accident de voiture et devenir le premier homme. Une lampe de poche sous les draps d'un lit de pensionnat et les pages d'un vague à l'âme, sensible, humain. Voici une des marges de cette longue liaison littéraire qui me disperça petit à petit des chaines d'un possible délice des liaisons délicatement terriennes. Qu'importe.
RépondreSupprimerl'artiste et sa liaison avec le monde à la fois lointaine et viscérale. J'aime beaucoup ce texte et ton écriture !
RépondreSupprimermerci!
RépondreSupprimerle récit est distancié comme si le personnage y attachait peu d'importance
RépondreSupprimerce ton inspire de la mélancolie cependant
Toute relation laisse trace de son passage. Plus encore, peut-être, quand elle fut forte comme celle que tu évoques avec délicatesse et c'est vrai, avec une certaine distance, comme si elle ne t'appartenait pas tout à fait.
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