vendredi 17 juin 2016

Chri - Le magicien de la couleur

PRINTEMPS DE CHIEN…

16 Mars 1955. Le cœur du Vieil Antibes. Petit matin.
Nicolas avait recroquevillé son immense carcasse, encore amaigrie, sur un tapis troué dans un coin de l’atelier. Il s’en était enveloppé. Mais il n’a pas dormi à cause du froid. Jeanne, l’amour, qui avait promis de passer la veille n’était pas venue. Il n’avait pas voulu penser, ce qui lui aurait tordu le ventre: Elle ne viendra plus. Mon Dieu, que ce printemps qui débarquait avait mal commencé, malgré les odeurs des mimosas en fleurs qui flottaient sur la ville… Malgré les températures qui, le jour, redevenaient chaleureuses… Malgré les amandiers en fleurs à Ménèrbes dans le Lubéron d’avant où il avait une maison. Il y était passé, voilà quelques jours. Ses joues mal rasées le piquaient. Il s’est levé, s’est servi un verre d’un alcool russe qui trainait par là et deux ou trois pilules. Puis il s’était recouché. Affalé serait plus juste.

Il avait sombré comme une masse alors que le noir n’en finissait plus de survoler la vieille ville. Juste avant de plonger dans le sommeil, il avait fini de rougir avec acharnement une bonne partie du fond de cette immense toile qu’il avait eu la folie de simplement commencer. Un monstre : Six mètres par trois cinquante… posés sur le carrelage en terre ocre. Il avait entamé le piano noir, puis la contre-basse imposante au premier plan, sur la droite. Puis, vaincu, il s’était laissé attraper par le sommeil, les avants bras, la chemise, les mains et l’âme rouges du sang du rideau de ce Concert auquel, au sens propre, il s’était attaqué. Plusieurs mois qu’il luttait.

A l’aube, transis de froid, il s’était relevé. Il était allé se poser face à l’est où le ciel commençait à rosir. Depuis qu’il avait loué cet atelier au troisième niveau d’un immeuble en béton coffré du vieil Antibes, il lui arrivait souvent de se relever pour saluer le jour comme un nouvel arrivant. Les sommets des montagnes au loin étaient encore recouverts du blanc d’une neige étincelante. A ses pieds, le bleu sombre de la mer rosissait comme l’ensemble. Sur la gauche, la masse d’un vert profond, du Fort Carré se détachait, menaçante. Là bas, dans le fond, le minuscule blanc tremblant d’un voile gonflée. Au dessus des gris en vrac s’arrondissaient. Nicolas s’est allumé une cigarette, une brune, forte qui lui a déchiré la gorge. Il a appuyé ses coudes sur le gris de la barrière en métal qui entourait le balcon. Sa grande taille l’a obligé à se plier vers l’avant. Son mégot de cigarette lui a échappé des mains, il s’est penché pour le rattraper. Trop. 

Il a basculé dans le vide. Il n’a pas cherché à se rattraper.
Avant de s’écraser dans la ruelle en contre bas, celui qui avait brûlé sa vie à chercher le plus vrai des couleurs avait juste pensé :” …savoir celles de la mort… “ 

Après sa chute, de dessous sa tête, un sang épais, presque noir, s’était, comme sa vie, mis à couler…


2 commentaires:

  1. Belle histoire triste aux accents jazzy, dans le vieil Antibes que je connais bien...
    Le tableau ne sera jamais fini, on en garde un goût doux amer de trop-peu...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. Arpenteur d'étoiles19 juin 2016 à 00:08

    quel texte dense et très fort achevé par cette fin d'artiste et un hommage (aussi) à Nicolas de Staël jouant si bien des couleurs et des aplats raffinés, laissant deviner paysages ou portraits

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