jeudi 18 mai 2017

Bricabrac - Un pur hasard

En remontant la rue du Port

Je me sentais très élégant en remontant la rue du Port, chemise amidonnée au blanc de seiche, cravate lâche à points jaunes, coupée dans la peau d’une plie, veste zébrée de bleu et vert qui me donnait la fière allure d’un maquereau, les cheveux dressés par le gel comme les épines d’un saint-pierre. J’avais acheté à la criée un ombre qui sentait le thym, et des grondins qui rouspétaient dans mon panier.

Il y a dans la vieille ville des rues étroites qui fredonnent, elles ont ce charme que l’on s’y frôle. Quand des brins de filles en passant, aux cheveux de persil frisé, me plantaient des œillades et des clous de girofle, je me rengorgeais comme un rouget et mon âme dansait la pavane. Midi sentait le fenouil, le soleil dardait ses pistils de safran. Dans les lauriers des placettes cymbalisaient les cigales de mer. Assises près d’une fontaine, des vieilles femmes, aux joues de tomates fripées de sourires, épluchaient des oignons de leurs doigts de piments rouges, tandis que des vieillards lissaient leurs barbes de poireaux. Des enfants criards comme des têtes d’ail jouaient avec des osselets taillés dans l’arête d’une lotte.

Quand j’atteignis l’avenue du Sud bordée de platanes, j’aperçus mon amour sur le trottoir d’en face, vive, mostelle, girelle paon, aux aguets sous la roche d’un abribus couvert de rouille. Je lui fis signe, mais une vespa d’un jaune pâle telle une giclée d’huile d’olive ou un trait de pastis, passa entre nous. On dit qu’il n’y a pas de hasard, que tout n’est que la conséquence du battement d’aile d’un poisson-papillon, d’une raie ou d’une rascasse volante, toujours est-il qu’au moment où je m’élançai pour traverser la rue, un autobus rosé comme un pichet de Tavel descendait des garrigues, en accompagnement.

Quand je m’éveillai, l’interne, penché au-dessus de moi, souriait.
« Que m’est-il arrivé ?, demandai-je.
- Rien de bien méchant, rassurez-vous. Vous avez fait un début de bouillabaisse. Une chance, et un pur hasard, que ce ne fût qu’un rêve. »

Parfois, j’ai peur de passer pour un congre.

24 commentaires:

  1. J’avais mis ma robe de beurre frais et mes gants en étoiles de mer scintillantes. Le boulevard rutilait de bruits mous rayés de bleu et de blanc. Les vendeuses de poutine criaient comme des rascasses cependant que les marins du port shootaient dans leurs havresacs comme dans des baudruches. Ou des baudroies. J’ai oublié. Ça ne m’intéressait plus vraiment, depuis que je savais que j’allais revoir mon amoureux, au bout de l’avenue du Sud.
    La mer suintait dans les cheveux des hommes, l’air sentait le varech et le goémon.
    Je ne sais pas pourquoi un pur hasard a posé ce scooter et ce bus sur notre route comme deux grosses taches de peinture qui ont giclé dans mes yeux ébahis de poisson lune.
    Mais deux secondes plus tard, dans un éclair vif-argent de torpille, mon amour a pris le bus en pleine tête et je n’ai retrouvé que ses lunettes d’écaille sur le goudron fondu du trottoir.

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    1. jolie réponse de la "poissonnière" au "poissonnier" :)

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    2. Ce n’est même pas moi qui étais de service ce jour-là, je remplaçais un collègue qui s’était fait porter pâle pour aller bronzer dans les calanques. À l’heure de l’accident, j’aurais dû pêcher des arapèdes dans les rochers, ou faire une pétanque sur le port. Au lieu de quoi, je sortis l’autobus du dépôt, après avoir vérifié le niveau d’huile d’olive.

      Quand je dévalai l’avenue du Sud et qu’à la sortie du virelet, j’arrivai à cet arrêt qu’on appelle entre nous l’arrêt au beurre noir, tellement il est dangereux à cause du carrefour avec la rue du Port, par où les pêcheurs arrivent les poches pleines de supions, d’oursins et d’araignées de mer, je fus distrait par cette belle femme, qui badait et faisait des signes, et ne vis pas le barbalucou qui s’élançait pour la rejoindre.

      Un pur hasard et une chance que l’autobus n’ait rien eu, pas même une éraflure bleue, verte ou blanche. À la fin, les services de la voirie ont fait un petit tas des arêtes, pour remettre à la famille s’il en avait. La femme a demandé si elle pouvait garder l’arête dorsale, qu’elle s’est plantée dans les cheveux comme un peigne, avant de disparaître mystérieusement.

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    3. J’avais mon panier de pêche rempli de coques et de tellines, et les cheveux qui me grattaient sous la casquette m’annonçaient qu’il allait faire chaud. Je remontais le boulevard de la mer en tirant des bords pour éviter les marchandes de clams et de pétoncles qui n’aimaient pas mon commerce perpendiculaire de contrebande.
      Tout à coup, ô bonne mère, j’aperçus une petite qui faisait hou hou à son coquin sur le trottoir d’en face. Elle ressemblait à un pain doré avec de petits rubans de satin en accroche-cœur. Elle était belle comme un matin au château d’If, quand le soleil allume des étoiles sur la crête des flots. Lui avait l’air d’un jobastre des dimanches avé son costume gominé.
      Fan de chiche, késaco ? Je m’écriai en voyant débouler comme un fada un autobus de la municipale, suivi par un de ces engins conduits par de jeunes freluquets italiens qui opinent du guidon, en vogue sur la canebière.
      Avant que j’aie eu le temps de dire plouf, voilà que le gandin en costard se fait happer par l’autobus, puis par l’escoutère en deuxième service. Ô Pégase ! ça a fait un bruit ! On aurait dit un escadron de mouches anéanti par une tapette. Je me suis dit que décidément, je préférais être célibataire. C’était moins dangereux…

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    4. est-ce un pur hasard si Célestine écrit en commentaires cette semaine et non point en texte ?
      le con-texte méditerranéen lui fait-il écrire des vers de mer :)

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    5. Quels cadeaux, j'en d'viens fada

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    6. @Tisseuse

      C'est que je n'ai pas trop le temps, en fait, avec tout le retard que j'ai pris sur mon propre bolg.
      Alors Bricabrac m'a offert une récréation bien agréable en m'inspirant mes billevesées...
      Mais je reviendrai bientôt, quand la vie me bousculera un peu moins. Chère Tisseuse...
      Et vous chers tous, je ne vous oublie pas.

      @Bricabrac
      C'est ton texte qui était un cadeau pour mon imagination. ;-)
      Merci
      ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. Je comprends qu'un pichet de Tavel puisse donner mal à la tête, pour l'heure je suis charmé par ta poésie du marché... j'ai une grande impatience de retrouver toutes ces fragrances du Sud dans quelques jours.

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    1. Fais attention en traversant, et tout se passera bien

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  3. c'eut été dommage de finir aplati comme une purée d'anchois :)

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    1. En amuse-gueule pourquoi pas, mais c'est vrai qu'au dessert...

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  4. Ça sent l'été.
    Ton amour n'était pas une morue ? Je dis des âneries : la morue n'entre pas dans la composition de la bouillabaisse.

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    1. J'ai eu chaud si tu n'as pas remarqué que le maquereau non plus

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  5. Tant qu'on ne se fait pas beurrer la raie hein ? Un véritable bric à brac ce récit ! Excellent ];-D

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  6. Arpenteur d'étoiles20 mai 2017 à 11:32

    un récit délirant, la hasard demeure et le Tavel rosé est tellement bon quant à l'interne, il t'a un peu sauvé le vie :o))

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    1. Merci. Rien que de purs heureux hasards

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  7. Il y a de ces exercices de style dans ta zone de commentaires, dis-donc ! Avec des histoires d'autobus, qui plus est ! Raymond Q. peut être content de vos poulets, je trouve !

    Vos 366 réels,à Célestine et toi, il n'y a pas à dire vraiment : On dirait le Sud, comme chanterait Nino !

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    1. Merci mon oncle ! merci surtout d'être venu voir nos petits délires...
      Tu m'en vois ravie, tu sais bien que tu ne saurais me faire plus plaisir...
      Bisous célestes
      ¸¸.•*¨*• ☆

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    2. Oh merci. Oui, nous nous sommes bien amusés. Comme un après-midi sur la plage

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    3. et donc, c'est confirmé : Joe Krapov sont bien oncle et nièce : nice !
      :)))

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  8. Je me permets de corriger l'oubli de taille : "Joe Krapov et Célestine sont bien oncle et nièce".
    Mais nous appartenons tous, par ici, à la grande famille des fous d'écriture, non ?

    Bonne semaine, cousine Tisseuse ! ;-)

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    1. mais absolument tonton Joe :))))

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    2. Je dirais même plus:
      Raymond Q, c'est du poulet !
      ¸¸.•*¨*• ⭐️

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