Les édifices
sont plus ou moins anciens, mais y a-t-il des pierres qui ne
soient pas vieilles ?
Et si elles
pouvaient parler, diraient-elles le fracas et l'interminable
métamorphose des temps géologiques ?
Ou bien les
petites histoires et grands massacres des puces irritantes qui, hier,
eurent pour la première fois l'idée d'empiler un cairn ?
- "Le
temps est bien long," soupirerait la
petite météorite gisant en un désert stupide, séparée de son
trou noir natal par des millions d'années-lumière. "Te
rends- tu compte que je suis là depuis la nuit des temps ?"
-
"La nuit ?" s'étonnerait l'éphémère
venue se poser sur elle, "c'est quoi, la nuit ?"
- "et
moi" dirait le fossile d'oursin, "et
moi qui suis pierre, j'ai pourtant vécu, et me languis de la
splendeur des couchers de soleil sur la mer crétacée"
- "Ici",
dit le guide d'un ton lyrique ou las, "devant
la grande cheminée, fut occis le duc de…, et cette alcôve abrita
les soirées sulfureuses du marquis de..."
Pierres
arrogantes qui ont cherché à atteindre le ciel, et écraser les
hommes, et la caillasse, qui est le lot des pauvres.
Ici
c’est un pays impossible. Pierre, pierre et pierre. Maisons de roc
austères, et cailloux que tant de gens ont grattés pour subsister.
Lassés de manger des cailloux, les vraies gens ont abandonné
les maisons de pierre, la vague hippie a reflué depuis longtemps ;
des chèvres redevenues sauvages hantent encore les ruelles des
hameaux déserts et flânent sur les toits effondrés.
Pourtant,
que la montagne est belle…
Çà
et là un artiste ou un ermite s'accroche à un flanc de montagne,
plus près de toi mon Dieu, avant de se lasser de griller des
châtaignes dans la cheminée multi-centenaire, faire soixante kms
pour acheter dans la vallée son poulet aux hormones, être évacué
par hélicoptère au moindre pépin, et finalement être pris d'une
nostalgie intense et un peu honteuse pour les trottoirs de Paris…
Le
soleil couchant dore l'ancienne bergerie au milieu d'un désert
d'herbes sèches où grésillent les criquets ; sous la voûte
noircie par la suie des siècles, des nids de vipères. Lubriques ou
non, selon les saisons.
Les
pierres chuchotent qu'on a trouvé un squelette recroquevillé dans
un coin, mauvais coup.
Peut-être
un campeur étranger, estourbi par son copain, un soir de
défonce. Ou la dactylo trop bavarde qui s'envoyait en l'air avec le
notaire. L'idiot du village, ou un égaré de rave, allez
savoir." De toute façon",
dirait à son collègue la fliquette de la série télé, "il
y a plus de trente ans, alors les traces..."
(image : carnet de route dans les Cévennes, pochade sur
papier kraft, ici)
Tu sais faire parler les pierres comme personne et ce tableau est très réussi !
RépondreSupprimerTes pierres me parlent dans ta très belle évocation de la deuxième partie ! Bravo.
RépondreSupprimerLes pierres sous toutes leurs formes, avec finalement toutes sortes d'histoires à conter... Vraiment chouette, heureusement, Emma que tu es là pour les faire parler! ;-)
RépondreSupprimerEt la Dame âgée retrouvée sous un tas de cailloux : la vieille sous pierres ? ];-D
RépondreSupprimerah les Cévennes !
RépondreSupprimercomme tu les décris bien, avec réalisme et humour tout à la fois :)
superbe! excellente idée, excellent texte!
RépondreSupprimerUn carnet incarné, superbement. Merci, Emma ;)
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