Puta
madre
On
a rapidement flairé l'arnaque.
Malgré
un fort accent des Carpathes le vendeur s'appelait Quichotte, Odon
Quichotte, militaire retraité du 11ème régiment de cavalerie
légère espagnole et propriétaire d'une curiosité inestimable bien
qu'estimée.
Son
moulin médiéval créchait dans la Sarthe au fin fond de la vallée
de la Vègre, un lieu isolé et sauvage où l'écureuil croise le
chevreuil et le sanglier sans broncher... d'après un dépliant
indépliable et en 5 langues offert par l'office de tourisme de Loué,
bourgade rendue célèbre par Jean-Pierre Coffe et sa poule noire du
Mans.
Ce
qui clochait dans l'annonce c'est qu'on n'y parlait ni de wifi ni
d'héliport à proximité, alors du médiéval sans wifi et sans
héliport ça sent l'arnaque à plein nez.
A
propos de plein nez, l'âne nommé Rossinante et qui nous traînait
en charrette dans cette étroite vallée de la Vègre – repaire de
bandits de grands chemins – avait une fâcheuse manie à péter
tous les trois pas pour marquer le tempo et nos odorats délicats.
Finalement
on arriva dans un subtil mélange de flatulences et de moiteurs
végétales, dans ce que le vieux Quichotte appelait son paradis et
qu'il se faisait fort de nous céder à contre coeur pour la modique
somme de 8 300 000 pesetas.
On
a bien cru qu'il allait passer l'arme à la izquierda quand on lui a
expliqué que l'Espagne avait adopté l'euro depuis 2002 et que son
bien ne valait donc que 50 000 euros !
A
ses cris, une grosse bonne femme était sortie de la bicoque en
levant les bras au ciel comme deux jambons de montagne avant de nous
entraîner vers "The moulin" et sa roue à aubes sclérosée
depuis Jeanne d'Arc.
Dulcinée
– il paraîtrait que ça veut dire douce – avait elle aussi ce
fort accent des Carpathes qui puait l'arnaque, doublé d'une bouche
édentée d'où sortait un flot d'éloges et de qualificatifs
dithyrambiques (quand les chasseurs locaux disent Dix tirs en chèvre)
pour décrire "The moulin".
D'après
un historien dénommé Miguel de Cervantes ce moulin là avait été
attaqué à la lance puis occupé par des urluberlus – un hidalgo
au sang chaud et son larbin également Sancho – avant d'être
vandalisé par des angliches qui pèlerinaient sur les traces de
saint Ignace, un saint au petit petit nom charmant qui lui venait
tout droit de ses parents... bref, Dulcinée nous montra une
lithographie unique signée d'un obscur barbouilleur du nom de
Picassa ou Picasso qui authentifiait cet épisode barbare...
Je
me méfie toujours des lithographies uniques, ça sent l'arnaque.
Derrière
nous, Odon Quichotte ruminait son histoire de 50 000 euros en
tripotant une pétoire rouillée : "Puta madre! Cincuenta mil
euros para un molino!"
On
s'est assis autour d'une dame-jeanne de pálinka,
un machin aux accents roumains plutôt qu'espagnols et qui devait
titrer 70° à l'ombre... un breuvage qui sentait la prune, la poire
et beaucoup l'arnaque.
A
mi dame-jeanne, maître Quichotte proposa 80 000 euros plus la
lithographie unique du barbouilleur, sauf que si on faisait affaire,
ça serait le premier truc qu'on foutrait à la poubelle !
En
apprenant ça, Dulcinée s'était mise à chialer, la tête balotée
entre ses deux jambons de montagne.
"C'est
l'emoción" déclara Quichotte "faites pas attención".
Je
me suis toujours méfié des pleurnicheries et des mots en ción, ça
sent l'arnaque.
Il
était trop tard pour remonter vers la civilisación alors on a
trucidé la dame-jeanne et on s'est fait un nid dans la paille de la
grange en promettant de conclure le lendemain.
Au
dehors, une famille de renards devait dépecer un ragondin ou un cerf
vidé, en tout cas ça grognait méchamment ou alors c'était la
douce Dulcinée...
On
n'a pas dormi, entre les fantômes des angliches sur les traces de
saint Ignace au petit petit nom charmant qui lui venait tout droit de
ses vieux et Odon Quichotte qui fourbissait sa pétoire avec des
grands "Puta madre!"
Alors
avant que le soleil ne se lève sur la vallée et chasse les démons
de la nuit – terre isolée et sauvage où même le wifi n'osait
pénétrer – on prépara Rossinante et dès son premier pet on prit
la route fissa, tournant le dos aux Quichotte et à leur arnaque.
La
prospección immobilière, c'est bien fini ! Aux prochaines vacances
on se paiera la revue Féérie du Moulin Rouge, au moins il y aura du
jambon de qualité et puis ça parlera français... enfin, j'espère.
malgré l’alcool de contrebande l'esprit reste affuté : chapeau !
RépondreSupprimerpar contre, au Moulin Rouge ça parlera international, c'est certain :)
:)
SupprimerC'est haut en couleurs, je me suis bien marré !
RépondreSupprimerJ'avais un copain, Didier qu'il s'appelait, il avait un penchant pervers pour la zoophilie, et on disait de lui : "Di tire en bique"... ];-D
Ce Didier avait sa propre définition : Enthousiasme excessif pour les biquettes !
SupprimerEn tout cas, au moins un truc de sûr, ton récit c'est pas l'arnaque ! Super !
RépondreSupprimerMerci K
RépondreSupprimerÇa va pas, non de mettre un Picassa euh..Picasso à la poubelle ? Tu pourrais te payer tous les moulins de France, de Navarre, de Castille et de Roumanie avec ! A moins que ladite barbouille soit une imitaciòn puta madre !
RépondreSupprimerQuelle "bosse de rire" ! :-)
J'en ris encore… pourtant, c'est du recyclé :)
SupprimerMorte de rire.je profite d une petite connexion wifi. Et oui wifi sur la Volga mais pas tous les jours. Avec le sourire
RépondreSupprimerJe precise Lilousolei
RépondreSupprimerMais c'est fou, une telle imagination! Ah moins que.... que cela ne soit du vécu... après tout :-)
RépondreSupprimerEntre l'âne qui flatule et Odon qui rote... pas simple la négo du fond !
RépondreSupprimerEt sinon, savais-tu que Jeanne d'Arc s'est éteinte le 30 mai 1431... presque deux heures après sa mort ? Hin, hin XD
il aurait dû se renseigner avant d'aller en prospección, il aurait fait une affaire :-)
RépondreSupprimer(entre un et deux jeux de mots par ligne, j'admire et j'adore, je me demande où tu continues à les trouver, recyclage ou pas ;-))