lundi 10 septembre 2018

Vegas sur sarthe - Vieilles pierres

Puta madre




On a rapidement flairé l'arnaque.
Malgré un fort accent des Carpathes le vendeur s'appelait Quichotte, Odon Quichotte, militaire retraité du 11ème régiment de cavalerie légère espagnole et propriétaire d'une curiosité inestimable bien qu'estimée.

Son moulin médiéval créchait dans la Sarthe au fin fond de la vallée de la Vègre, un lieu isolé et sauvage où l'écureuil croise le chevreuil et le sanglier sans broncher... d'après un dépliant indépliable et en 5 langues offert par l'office de tourisme de Loué, bourgade rendue célèbre par Jean-Pierre Coffe et sa poule noire du Mans.
Ce qui clochait dans l'annonce c'est qu'on n'y parlait ni de wifi ni d'héliport à proximité, alors du médiéval sans wifi et sans héliport ça sent l'arnaque à plein nez.
A propos de plein nez, l'âne nommé Rossinante et qui nous traînait en charrette dans cette étroite vallée de la Vègre – repaire de bandits de grands chemins – avait une fâcheuse manie à péter tous les trois pas pour marquer le tempo et nos odorats délicats.
Finalement on arriva dans un subtil mélange de flatulences et de moiteurs végétales, dans ce que le vieux Quichotte appelait son paradis et qu'il se faisait fort de nous céder à contre coeur pour la modique somme de 8 300 000 pesetas.

On a bien cru qu'il allait passer l'arme à la izquierda quand on lui a expliqué que l'Espagne avait adopté l'euro depuis 2002 et que son bien ne valait donc que 50 000 euros !
A ses cris, une grosse bonne femme était sortie de la bicoque en levant les bras au ciel comme deux jambons de montagne avant de nous entraîner vers "The moulin" et sa roue à aubes sclérosée depuis Jeanne d'Arc.

Dulcinée – il paraîtrait que ça veut dire douce – avait elle aussi ce fort accent des Carpathes qui puait l'arnaque, doublé d'une bouche édentée d'où sortait un flot d'éloges et de qualificatifs dithyrambiques (quand les chasseurs locaux disent Dix tirs en chèvre) pour décrire "The moulin".
D'après un historien dénommé Miguel de Cervantes ce moulin là avait été attaqué à la lance puis occupé par des urluberlus – un hidalgo au sang chaud et son larbin également Sancho – avant d'être vandalisé par des angliches qui pèlerinaient sur les traces de saint Ignace, un saint au petit petit nom charmant qui lui venait tout droit de ses parents... bref, Dulcinée nous montra une lithographie unique signée d'un obscur barbouilleur du nom de Picassa ou Picasso qui authentifiait cet épisode barbare...
Je me méfie toujours des lithographies uniques, ça sent l'arnaque.
Derrière nous, Odon Quichotte ruminait son histoire de 50 000 euros en tripotant une pétoire rouillée : "Puta madre! Cincuenta mil euros para un molino!"

On s'est assis autour d'une dame-jeanne de pálinka, un machin aux accents roumains plutôt qu'espagnols et qui devait titrer 70° à l'ombre... un breuvage qui sentait la prune, la poire et beaucoup l'arnaque.
A mi dame-jeanne, maître Quichotte proposa 80 000 euros plus la lithographie unique du barbouilleur, sauf que si on faisait affaire, ça serait le premier truc qu'on foutrait à la poubelle !
En apprenant ça, Dulcinée s'était mise à chialer, la tête balotée entre ses deux jambons de montagne.
"C'est l'emoción" déclara Quichotte "faites pas attención".
Je me suis toujours méfié des pleurnicheries et des mots en ción, ça sent l'arnaque.
Il était trop tard pour remonter vers la civilisación alors on a trucidé la dame-jeanne et on s'est fait un nid dans la paille de la grange en promettant de conclure le lendemain.
Au dehors, une famille de renards devait dépecer un ragondin ou un cerf vidé, en tout cas ça grognait méchamment ou alors c'était la douce Dulcinée...

On n'a pas dormi, entre les fantômes des angliches sur les traces de saint Ignace au petit petit nom charmant qui lui venait tout droit de ses vieux et Odon Quichotte qui fourbissait sa pétoire avec des grands "Puta madre!"
Alors avant que le soleil ne se lève sur la vallée et chasse les démons de la nuit – terre isolée et sauvage où même le wifi n'osait pénétrer – on prépara Rossinante et dès son premier pet on prit la route fissa, tournant le dos aux Quichotte et à leur arnaque.

La prospección immobilière, c'est bien fini ! Aux prochaines vacances on se paiera la revue Féérie du Moulin Rouge, au moins il y aura du jambon de qualité et puis ça parlera français... enfin, j'espère.

13 commentaires:

  1. malgré l’alcool de contrebande l'esprit reste affuté : chapeau !
    par contre, au Moulin Rouge ça parlera international, c'est certain :)

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  2. C'est haut en couleurs, je me suis bien marré !
    J'avais un copain, Didier qu'il s'appelait, il avait un penchant pervers pour la zoophilie, et on disait de lui : "Di tire en bique"... ];-D

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    1. Ce Didier avait sa propre définition : Enthousiasme excessif pour les biquettes !

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  3. En tout cas, au moins un truc de sûr, ton récit c'est pas l'arnaque ! Super !

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  4. Ça va pas, non de mettre un Picassa euh..Picasso à la poubelle ? Tu pourrais te payer tous les moulins de France, de Navarre, de Castille et de Roumanie avec ! A moins que ladite barbouille soit une imitaciòn puta madre !
    Quelle "bosse de rire" ! :-)

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    1. J'en ris encore… pourtant, c'est du recyclé :)

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  5. Morte de rire.je profite d une petite connexion wifi. Et oui wifi sur la Volga mais pas tous les jours. Avec le sourire

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  6. Mais c'est fou, une telle imagination! Ah moins que.... que cela ne soit du vécu... après tout :-)

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  7. Entre l'âne qui flatule et Odon qui rote... pas simple la négo du fond !
    Et sinon, savais-tu que Jeanne d'Arc s'est éteinte le 30 mai 1431... presque deux heures après sa mort ? Hin, hin XD

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  8. il aurait dû se renseigner avant d'aller en prospección, il aurait fait une affaire :-)
    (entre un et deux jeux de mots par ligne, j'admire et j'adore, je me demande où tu continues à les trouver, recyclage ou pas ;-))

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