mercredi 15 juin 2016

Marité - Le magicien de la couleur

Chez les Duvernois.

J'avais reçu au début des vacances une invitation des Duvernois pour célébrer chez eux un anniversaire en septembre. Ce courrier ne manqua pas de me surprendre. En effet, Sabine, une amie d'enfance avec qui j'entretenais des relations, certes espacées mais cependant assez régulières, ne m'avait pas du tout fait part de cet évènement à venir. Je réalisai qu'il s'agissait sans doute de fêter leur trente ans de mariage et n'y pensai plus.

Lors d'un séjour en août dans notre ville natale où nous nous rencontrâmes, Sabine réitéra verbalement son invitation. Comme je tentai d'en savoir un peu plus, elle resta évasive me disant avec un demi-sourire : tu verras...

Le jour J je me rendis donc chez les Duvernois où je reconnus la plupart des invités comme faisant partie de la famille. Il y avait aussi beaucoup d'amis du couple. Sabine et François, son mari, nous accueillirent chaleureusement. Un repas succulent au champagne fut servi dans le jardin et l'ambiance était à la fête. Il s'agissait bien d'arroser leur trente ans d'union.

Arriva le dessert. Sabine et François, soudain graves, demandèrent le silence. Ils dirent alors tranquillement qu'ils nous avaient réunis pour nous annoncer un évènement important : ils se séparaient. Un "oh" de surprise accompagna cette information étonnante.
François allait fermer son cabinet médical et après un an de retraite dans un monastère, il voulait se consacrer à l'aide humanitaire. Sabine, plus jeune, continuerait son travail de professeur au lycée de M. et garderait la maison.

Plus tard je contactai Sabine par téléphone. Elle m'invita à la rejoindre chez elle pour quelques jours pendant les vacances de Pâques.
Je retrouvai la Sabine de nos années d'étudiantes : vive, enjouée, pleine de joie de vivre et d'humour.
Mais le plus surprenant fut de constater les changements intervenus dans la maison. Elle avait fait place nette. Les meubles anciens, lourds, sombres hérités pour la plupart de sa belle famille très bourgeoise avaient disparu. Peu de mobilier désormais et tranchant de façon brutale avec le précédent. Des coussins et des tableaux de couleurs vives, voire même criardes étaient posés un peu partout de façon bohème. Je reconnus bien là le manque d'intérêt de mon amie pour tout ce qui était matériel. Mais je n'étais pas au bout de mes surprises.

Sabine me conduisit dans l'ancien bureau de François. Je n'en crus pas mes yeux. La pièce austère s'était transformée en un lieu indescriptible quant-à sa décoration. Les murs, autrefois tendus de velours bordeaux étaient peints en vert pomme avec des nuances de couleur indéfinie : vert tirant sur le brun pour l'un, vert tirant sur le jaune pour les autres ...Une horreur ! Et le mobilier me laissa pantoise. Des étagères bleu dur couvertes de bibelots kitch, une table rouge cerise, des tabourets bleu ciel. Et pour couronner le tout une énorme lampe en fer forgé surmontée d'un abat jour parme dans un coin et dans l'autre une amphore déjà aperçue dans le jardin, pleine de grosses fleurs multicolores en tissu. Je me demandai bien à qui Sabine avait confié le soin de rénover son intérieur. Quel peintre ou décorateur était capable de créations aussi affreuses ? Pas un magicien de la couleur en tout cas !

Sabine me dit alors : "tu penses sûrement que tout ceci est moche. Tu as sans doute raison. Moi, je me sens bien dans ce bureau et j'adore ces couleurs. Il me les fallait. Et ensemble. Tu ne peux pas imaginer combien j'ai étouffé dans cet univers crée par ma belle-mère et que je ne devais pas changer d'un iota. Tu t'interroges ? Qui a bien pu faire ça ? Et bien moi. Et j'y ai pris beaucoup de plaisir je t'assure. Il fallait que je sorte de l'ombre. A tous points de vue. Il est maintenant essentiel pour moi de vivre dans un univers vivant et coloré. Avec des objets que j'aime. J'ai fabriqué moi-même le mobilier à partir de palettes ramassées dans une décharge. Je suis très fière de mon travail."

Incrédule, je regardai Sabine et nous éclatâmes de rire.

3 commentaires:

  1. La rédemption par la couleur...c'est original. mais il est vrai que tenir trente ans dans une maison agencée par sa belle-mère, c'était héroïque ...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. Un bon coup de balai... et de pinceau sur trente ans de mariage, une réaction souvent vue après la rupture - d'autres achètent de coûteuses voitures de sport... l'urgence est alors de rompre avec le passé, parfois dans l'excès je pense.
    Bien observé et plein de vérité en tout cas.

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  3. Arpenteur d'étoiles18 juin 2016 à 23:42

    transformer une maison ou une pièce pour effacer des années passées est un excellent moyen de commencer à revivre ... et le goût et les couleurs ont bien peu d'importance dans ces actions là !
    j'aime beaucoup cette histoire :o)

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