POT POURRI
Après avoir longtemps erré dans la campagne, j’ai échoué au bord de cette rivière qui serpentait au fond de cette vallée à peine marquée. J’avais le pied sec, louanges soient rendues à un reste de route encore apparent malgré l’envahissement végétal.
C’est là que je l’ai découverte, enfouie dans de hautes herbes.
Une Voiture.
Je n’en avais plus vu depuis des semaines, des mois peut-être. L’enclave que j’avais quitté depuis une éternité n’avait presque plus d’essence, et même la milice s’était convertie à la traction animale.
Je me suis approché des tôles piquées de rouille. L’acidité des pluies était délétère pour les métaux mal protégés, et la garantie anticorrosion de ceux-ci était depuis longtemps expirée.
Tout ça à cause de l’autre dingue. Vous savez de qui je parle ?
Celui que plus personne ne l’appelle par son nom, un résultat assez ironique lorsque l’on considère que c’est son ego surdimensionné qui l’avait poussé à conquérir la Maison Blanche. Incompétent à gouverner, il s’était construit une légitimité à coup de gesticulations, de provocations, jusqu’à dans une saute d’humeur vitrifier un pays asiatique en finale d’un concours informel de dirigeants psychopathes.
Tout a commencé avec un bombardier B1 s’écrasant au décollage, provoquant l’explosion d’une charge de trente kilotonnes sur l’île d’Okinawa.
Puis ce fut un missile intercontinental qui se trompa de continent, provoquant par le jeu des automatismes et des systèmes de commandement infaillibles qui s’avérèrent ne pas tant l’être que ça, des tirs de riposte qui ne purent être empêchés : ainsi, l’Inde et le Pakistan s’entre-détruisirent promptement, un sous-marin français rasa Moscou et Saint Pétersbourg en une seule salve, et cent quatre têtes russes démontrèrent par la pratique que le bouclier antimissile étasunien avait « quelques limites ».
Tout à l’avenant.
L’hiver nucléaire que d’aucuns qualifiaient de fantasme de passéiste – le nucléaire ou la bougie, refrain connu, a enveloppé la planète. Tout bien considéré, on peut porter au crédit du dernier président des États Unis d’Amérique la fin du réchauffement climatique.
Lorsque cela s’est produit, j’étais en déplacement dans la France profonde, et me suis retrouvé à l’abri sous dix mètres de béton dans l’enceinte d’un établissement militaire. J’ai donc survécu.
La belle affaire.
Je ne rentrerai pas dans le détail de ces mois d’attente, durant lesquels les canaux d’information se sont taris, un par un, à force de défaillance des infrastructures, de contaminations radioactives et ensuite chimiques quand les usines Seveso au bout de leurs moyens de secours ont fini par relâcher leurs substances toxiques.
And God continues to shed His Grace on the United States of America.
Sans blague.
Nous étions quelques centaines à tourner en rond, inutiles, à l’abri, certes, mais dans quel but ? J’ai fini par partir, emportant quelques rations, de quoi me débrouiller, une boussole, une carte routière, celle de la dernière répartition connue des zones contaminées. Et j’ai marché. J’avais huit cent kilomètres vers ma destination.
Quelle destination ? Elle n’a pas d’importance.
D’ailleurs, depuis plusieurs jours, j’ai de plus en plus de mal à tenir le rythme. Des douleurs. Des nausées. Je n’ai plus faim, j’ai du mal à déglutir. Une céphalée tenace. Je ne tiendrai pas les deux cent kilomètres restants.
Je m’approche de l’épave, dont la peinture s’effrite sous mes doigts. Je rêve un instant d’un peu de batterie, de quelques litres d’essence qui m’emmèneraient quelques collines plus loin, gagner une journée de marche en quelques heures…
Je m’assieds sur le siège conducteur, délogeant quelques bestioles. Les pédales sous mes pieds, le volant entre les mains, je ferme les yeux, m’imaginant rouler vers un endroit beau pour lui donner mon dernier souffle. Il n’y a pas de clé sur le contact. Je pourrais arracher les fils bidouiller une étincelle.
Je pourrais, tout à l’heure, mais là, je vais garder les yeux fermés, ne pas confronter mon maigre espoir à la réalité, dormir un peu...
Oui, dormir…
Dormir, rêver.
Je rêve déjà que j’ai atteint ma destination, un paysage dépeuplé de montagnes, de forêts et de glaciers qui ont enfin cessé de rabougrir à vue d’œil. Enfin, la paix, la fin de l’histoire.
Je deviens plus que la somme des atomes qui me composent, je retourne à la nature, dans le sol, vers les racines avides de la végétation qui reprend ses droits. Les processus biochimiques me rendent au vivant, et je renais dans la ligne indécise des arbres...
Après avoir longtemps erré dans la campagne, j’ai échoué au bord de cette rivière qui serpentait au fond de cette vallée à peine marquée. J’avais le pied sec, louanges soient rendues à un reste de route encore apparent malgré l’envahissement végétal.
C’est là que je l’ai découverte, enfouie dans de hautes herbes.
Une Voiture.
Je n’en avais plus vu depuis des semaines, des mois peut-être. L’enclave que j’avais quitté depuis une éternité n’avait presque plus d’essence, et même la milice s’était convertie à la traction animale.
Je me suis approché des tôles piquées de rouille. L’acidité des pluies était délétère pour les métaux mal protégés, et la garantie anticorrosion de ceux-ci était depuis longtemps expirée.
Tout ça à cause de l’autre dingue. Vous savez de qui je parle ?
Celui que plus personne ne l’appelle par son nom, un résultat assez ironique lorsque l’on considère que c’est son ego surdimensionné qui l’avait poussé à conquérir la Maison Blanche. Incompétent à gouverner, il s’était construit une légitimité à coup de gesticulations, de provocations, jusqu’à dans une saute d’humeur vitrifier un pays asiatique en finale d’un concours informel de dirigeants psychopathes.
Tout a commencé avec un bombardier B1 s’écrasant au décollage, provoquant l’explosion d’une charge de trente kilotonnes sur l’île d’Okinawa.
Puis ce fut un missile intercontinental qui se trompa de continent, provoquant par le jeu des automatismes et des systèmes de commandement infaillibles qui s’avérèrent ne pas tant l’être que ça, des tirs de riposte qui ne purent être empêchés : ainsi, l’Inde et le Pakistan s’entre-détruisirent promptement, un sous-marin français rasa Moscou et Saint Pétersbourg en une seule salve, et cent quatre têtes russes démontrèrent par la pratique que le bouclier antimissile étasunien avait « quelques limites ».
Tout à l’avenant.
L’hiver nucléaire que d’aucuns qualifiaient de fantasme de passéiste – le nucléaire ou la bougie, refrain connu, a enveloppé la planète. Tout bien considéré, on peut porter au crédit du dernier président des États Unis d’Amérique la fin du réchauffement climatique.
Lorsque cela s’est produit, j’étais en déplacement dans la France profonde, et me suis retrouvé à l’abri sous dix mètres de béton dans l’enceinte d’un établissement militaire. J’ai donc survécu.
La belle affaire.
Je ne rentrerai pas dans le détail de ces mois d’attente, durant lesquels les canaux d’information se sont taris, un par un, à force de défaillance des infrastructures, de contaminations radioactives et ensuite chimiques quand les usines Seveso au bout de leurs moyens de secours ont fini par relâcher leurs substances toxiques.
And God continues to shed His Grace on the United States of America.
Sans blague.
Nous étions quelques centaines à tourner en rond, inutiles, à l’abri, certes, mais dans quel but ? J’ai fini par partir, emportant quelques rations, de quoi me débrouiller, une boussole, une carte routière, celle de la dernière répartition connue des zones contaminées. Et j’ai marché. J’avais huit cent kilomètres vers ma destination.
Quelle destination ? Elle n’a pas d’importance.
D’ailleurs, depuis plusieurs jours, j’ai de plus en plus de mal à tenir le rythme. Des douleurs. Des nausées. Je n’ai plus faim, j’ai du mal à déglutir. Une céphalée tenace. Je ne tiendrai pas les deux cent kilomètres restants.
Je m’approche de l’épave, dont la peinture s’effrite sous mes doigts. Je rêve un instant d’un peu de batterie, de quelques litres d’essence qui m’emmèneraient quelques collines plus loin, gagner une journée de marche en quelques heures…
Je m’assieds sur le siège conducteur, délogeant quelques bestioles. Les pédales sous mes pieds, le volant entre les mains, je ferme les yeux, m’imaginant rouler vers un endroit beau pour lui donner mon dernier souffle. Il n’y a pas de clé sur le contact. Je pourrais arracher les fils bidouiller une étincelle.
Je pourrais, tout à l’heure, mais là, je vais garder les yeux fermés, ne pas confronter mon maigre espoir à la réalité, dormir un peu...
Oui, dormir…
Dormir, rêver.
Je rêve déjà que j’ai atteint ma destination, un paysage dépeuplé de montagnes, de forêts et de glaciers qui ont enfin cessé de rabougrir à vue d’œil. Enfin, la paix, la fin de l’histoire.
Je deviens plus que la somme des atomes qui me composent, je retourne à la nature, dans le sol, vers les racines avides de la végétation qui reprend ses droits. Les processus biochimiques me rendent au vivant, et je renais dans la ligne indécise des arbres...
Ah cette ligne indécise des arbres qui revient comme après un cycle...
RépondreSupprimerMagnifique cette transformation d'une consigne en une autre...
Bravo Jacques.
¸¸.•*¨*• ☆
voilà un "2 en 1" saisissant !
RépondreSupprimerà la fois poétique et pétrifiant
j'ai adoré ton texte et son personnage qui sait inéluctablement qu'il va vers la mort, mais il y va à l'air libre et en rêveur
"Survivre, oui, la belle affaire ..." très beau, poignant.
RépondreSupprimercela fait un peu froid dans le dos mais pas irréel et le personnage est attachant.
RépondreSupprimeravec le sourire
Un "d'une pierre deux coups" magnifique !
RépondreSupprimerMais j'admire surtout la situation totalement imaginée et imaginaire qui donne naissance à cette dystopie ! Où vas-tu chercher tout ça ? ;-)
Apocalypse now ?
RépondreSupprimerUne histoire noire comme les mains des petits enfants... J'adore ! ];-D
Trump est une bel enfoiré
RépondreSupprimermais ton imagination est formidable, dormir, rêver, mourir et la ligne indécise des arbres !
Bravo !!