Le grenier
Des pas étouffés dans l'escalier qui grince un peu. La porte s'ouvre doucement. Les lucarnes de l'été diffusent une chaude lumière où danse une poussière étrangement dorée. La grande maison est calme, désertée par la famille bruyante partie pour une longue promenade à travers la forêt environnante.
Seuls, deux adolescents possèdent le monde dans ce vieux grenier. Ils viennent de se rejoindre au bord de l’antique lit métallique encore habillé d'une courtepointe en toile bise. Autour d'eux tout un fatras d'objets anciens qui emmêlent leurs odeurs mélancoliques et surannées. Les odeurs sont les sentinelles endormies de nos souvenirs.
Elle, dix-huit ans, rayonnante de grâce. Lui à peine plus et un regard clair sous des boucles sombres. Moi je suis là depuis toujours, flottant dans l'air des journées inutiles. Je les attends depuis si longtemps. Leurs lèvres se rejoignent, j'ose regarder. Et puis sa main à elle qui touche quelque chose sous la couverture. Je savais qu'elle le trouverait la première ; il est là depuis une éternité. Elle semble à peine surprise :
- Regarde ! Elle caresse la couverture jaunie puis ouvre mon vieux carnet à spirale et lit au hasard :
Des pas étouffés dans l'escalier qui grince un peu. La porte s'ouvre doucement. Les lucarnes de l'été diffusent une chaude lumière où danse une poussière étrangement dorée. La grande maison est calme, désertée par la famille bruyante partie pour une longue promenade à travers la forêt environnante.
Seuls, deux adolescents possèdent le monde dans ce vieux grenier. Ils viennent de se rejoindre au bord de l’antique lit métallique encore habillé d'une courtepointe en toile bise. Autour d'eux tout un fatras d'objets anciens qui emmêlent leurs odeurs mélancoliques et surannées. Les odeurs sont les sentinelles endormies de nos souvenirs.
Elle, dix-huit ans, rayonnante de grâce. Lui à peine plus et un regard clair sous des boucles sombres. Moi je suis là depuis toujours, flottant dans l'air des journées inutiles. Je les attends depuis si longtemps. Leurs lèvres se rejoignent, j'ose regarder. Et puis sa main à elle qui touche quelque chose sous la couverture. Je savais qu'elle le trouverait la première ; il est là depuis une éternité. Elle semble à peine surprise :
- Regarde ! Elle caresse la couverture jaunie puis ouvre mon vieux carnet à spirale et lit au hasard :
Fuis ma mémoire
En robe noire
Vers les confins
Des jours défunts
Vers mes amours
Jeunes amours
Fleurs du passé
Jardins fanés
Une ombre de sourire. Elle passe quelques feuillets et lit encore :
Seul, devant le soir qui se pose
Sur la vallée de mon enfance
Je ne peux penser autre chose
Que revivre en adolescence
Alors que les parfums s’exhalent
Des rousseurs du soleil d’été
Voici que mon esprit cavale
En se tournant vers le passé
J'ai toujours cultivé une certaine nostalgie. Les dernières pages sont vides.
Il rit mais pas elle. Il veut l'embrasser.
Il rit mais pas elle. Il veut l'embrasser.
- Attends. Elle semble émue. Elle retourne le carnet. Une photo s’en échappe.
- Regarde, je crois que c'est ... mon arrière-grand-mère.
C'est bien elle en effet. Elle, mon unique amour. Je la vois par-dessus son épaule et je retrouve le corps aérien et toutes les lumières du monde dans les yeux clairs.
- Elle était si jolie.
Comme toi, petite.
Mon regard commence à se brouiller. J'ai dû arriver au bout de mon chemin. Elle se relève, pose le carnet près de la porte et dit avec l'incroyable sérieux dont seule la jeunesse est capable :
- Je le garde. Les dernières feuilles seront mes pensées et mes poèmes. Il demande un peu moqueur :
- Et comme quoi, par exemple… ? Elle a un instant de réflexion :
- Comme : « quand j’aurai perdu la vie, qui m’aidera à la retrouver ? » Elle a un petit rire nerveux, puis elle le rejoint près du lit. Simplement, elle fait glisser sa robe d’un exquis mouvement de hanche et lui murmure à l'oreille :
- Fais-moi l'amour.
Le monde n'est plus que brume. Je suis serein. Ce carnet me venait de mon père qui en avait noirci les premières pages quand il était jeune. Elle le découvrira bientôt. Je suis doucement aspiré vers l’ailleurs. Ma vie de fantôme est accomplie avec la transmission de ce fragment de l'âme familiale. Cela peut paraître un peu dérisoire, mais tant pis. J'ai veillé des années, juste pour cela.
La poussière de l’éternité rempli mes yeux d’ombre. Tout s'efface autour de moi qui m’efface à mon tour.
- Regarde, je crois que c'est ... mon arrière-grand-mère.
C'est bien elle en effet. Elle, mon unique amour. Je la vois par-dessus son épaule et je retrouve le corps aérien et toutes les lumières du monde dans les yeux clairs.
- Elle était si jolie.
Comme toi, petite.
Mon regard commence à se brouiller. J'ai dû arriver au bout de mon chemin. Elle se relève, pose le carnet près de la porte et dit avec l'incroyable sérieux dont seule la jeunesse est capable :
- Je le garde. Les dernières feuilles seront mes pensées et mes poèmes. Il demande un peu moqueur :
- Et comme quoi, par exemple… ? Elle a un instant de réflexion :
- Comme : « quand j’aurai perdu la vie, qui m’aidera à la retrouver ? » Elle a un petit rire nerveux, puis elle le rejoint près du lit. Simplement, elle fait glisser sa robe d’un exquis mouvement de hanche et lui murmure à l'oreille :
- Fais-moi l'amour.
Le monde n'est plus que brume. Je suis serein. Ce carnet me venait de mon père qui en avait noirci les premières pages quand il était jeune. Elle le découvrira bientôt. Je suis doucement aspiré vers l’ailleurs. Ma vie de fantôme est accomplie avec la transmission de ce fragment de l'âme familiale. Cela peut paraître un peu dérisoire, mais tant pis. J'ai veillé des années, juste pour cela.
La poussière de l’éternité rempli mes yeux d’ombre. Tout s'efface autour de moi qui m’efface à mon tour.
Ah, les anciennes traces de vie laissées sur les feuillets jaunis...
RépondreSupprimerstouf
RépondreSupprimerFranchement, si j'étais la fille ado je foutrais le feu à tout ce fatra de vieux machins et j'ai connus pas mal de p'tites nanas de mon age qui ne demandaient pas mieu que s'envoyer en l'air, pleines de vie et si loins de la mort.
Je me fous du monde entier
Tant que l’amour inond’ra mes matins
Tant que mon corps frémira sous tes mains
Comme un hymne à l'amour. ;o)
La poussière des greniers recèle bien des souvenirs... Joli conte, l'Arpi
RépondreSupprimer"Les odeurs sont les sentinelles endormies de nos souvenirs." Je dirais "sur le qui-vive !..." Soyons iconoclastes ! brûlons le passé pour que les vestiges ne repoussent plus !... :)
RépondreSupprimerQuel gentil et émotif fantôme
RépondreSupprimerMerveilleux ce grenier plein de grains de poussière magique.
RépondreSupprimer¸¸.•*¨*• ☆
Pour "le monde n'est plus que brume" entre autres...
RépondreSupprimerJ'envie un peu, j'ai déménagé trop souvent, et je n'ai pas grand chose de mon passé, quelques bribes en pointillé, pour combien de temps encore ?
RépondreSupprimerbelle réminiscence du temps passé :)
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