La Corniche
J’enfilai une robe d’organdi blanc froufroutant au soleil comme un abat-jour de prisunic. Elle ferait merveille sous les sun-lights.
Je me sentais belle du bout de mes orteils peints en mauve jusqu’à la fine boucle de mes cheveux noirs. Ma copine Rita m’avait aidée pour le choix du serre-tête à carreaux vichy.
- Méfie-toi des garçons, m’avait mise en garde ma mère, ils ne pensent qu’à t’emmener sur la route littorale en voiture pour te faire le coup de la panne. Ils t’offrent de fleurs pour mieux cueillir la tienne.
Mais j’en rêvais, moi, de partir cheveux aux vents dans une belle Corvair rouge garance ou une Lancia Flavia, et de dominer la baie dans l’air du soir. Surtout une Lancia Flavia, d’ailleurs, car c’est mon prénom.
Enfin, pour être exacte, ce dont je rêvais, secrètement, c’était surtout de la conduire. De sentir rugir et feuler le moteur et ses soupapes comme un fauve tenu trop longtemps en cage. Je caressais mentalement les cylindres étincelants et le volant ganté de cuir…J’étais née trop tôt. A une époque où les femmes n’avaient encore, pour beaucoup, que le droit d’être belle et idiotes.
Ce soir-là, ce fut Jimmy que je fis fondre au premier baiser. A l’entendre j’avais un goût de fraise. Plus tard, à la sortie du dancing, il me proposa une balade en cabriolet sur la Corniche. Ah ! Quel merveilleux coup de pouce du destin, alors, que cette poussière dans l’œil ! Poussière qui obligea soudain Jimmy à freiner, et à se garer, cependant que de joie, je lançais en l’air mon foulard de soie qui alla décorer comme un trophée un buisson de genévrier. Il me tendit les clés. Son œil brûlait atrocement, vous savez comme les garçons sont douillets et l’on n’y voyait goutte, il fallait faire vite.
Tenir le Koh-i Nor dans mes mains n’eût pas été un plaisir plus subtil. Chaque caillou de la route se souvient encore du crissement de la gomme et du faisceau des phares éclairant la corniche comme dans les films de gangsters. J’atteignis des vitesses indécentes. Mon cœur faisait des bonds de wallaby sur les dos d’âne où la Lancia quittait littéralement le sol. Ce soir-là, il me sembla, dans l’enthousiasme de mes vingt ans exaltés, que ma folle équipée fut l’étincelle qui alluma le feu de la libération des femmes. Je déchantai assez rapidement : ce serait plus long que prévu !
J’enfilai une robe d’organdi blanc froufroutant au soleil comme un abat-jour de prisunic. Elle ferait merveille sous les sun-lights.
Je me sentais belle du bout de mes orteils peints en mauve jusqu’à la fine boucle de mes cheveux noirs. Ma copine Rita m’avait aidée pour le choix du serre-tête à carreaux vichy.
- Méfie-toi des garçons, m’avait mise en garde ma mère, ils ne pensent qu’à t’emmener sur la route littorale en voiture pour te faire le coup de la panne. Ils t’offrent de fleurs pour mieux cueillir la tienne.
Mais j’en rêvais, moi, de partir cheveux aux vents dans une belle Corvair rouge garance ou une Lancia Flavia, et de dominer la baie dans l’air du soir. Surtout une Lancia Flavia, d’ailleurs, car c’est mon prénom.
Enfin, pour être exacte, ce dont je rêvais, secrètement, c’était surtout de la conduire. De sentir rugir et feuler le moteur et ses soupapes comme un fauve tenu trop longtemps en cage. Je caressais mentalement les cylindres étincelants et le volant ganté de cuir…J’étais née trop tôt. A une époque où les femmes n’avaient encore, pour beaucoup, que le droit d’être belle et idiotes.
Ce soir-là, ce fut Jimmy que je fis fondre au premier baiser. A l’entendre j’avais un goût de fraise. Plus tard, à la sortie du dancing, il me proposa une balade en cabriolet sur la Corniche. Ah ! Quel merveilleux coup de pouce du destin, alors, que cette poussière dans l’œil ! Poussière qui obligea soudain Jimmy à freiner, et à se garer, cependant que de joie, je lançais en l’air mon foulard de soie qui alla décorer comme un trophée un buisson de genévrier. Il me tendit les clés. Son œil brûlait atrocement, vous savez comme les garçons sont douillets et l’on n’y voyait goutte, il fallait faire vite.
Tenir le Koh-i Nor dans mes mains n’eût pas été un plaisir plus subtil. Chaque caillou de la route se souvient encore du crissement de la gomme et du faisceau des phares éclairant la corniche comme dans les films de gangsters. J’atteignis des vitesses indécentes. Mon cœur faisait des bonds de wallaby sur les dos d’âne où la Lancia quittait littéralement le sol. Ce soir-là, il me sembla, dans l’enthousiasme de mes vingt ans exaltés, que ma folle équipée fut l’étincelle qui alluma le feu de la libération des femmes. Je déchantai assez rapidement : ce serait plus long que prévu !
***
Flavia est une adorable vieille dame à laquelle je vais parfois rendre visite. Elle tient encore sa boutique de souvenirs dans la rue des Epinettes. Elle m’a raconté cette histoire, un après-midi de cannelle et de patchouli. Sur le comptoir, elle m’a montré une petite miniature Norev rouge carmin qui ne la quitte jamais, comme la lueur de nostalgie qui voile parfois ses yeux de lapis-lazuli.
Autrefois j'aimais ces voitures, Sunbeam, Morgan Triumph TR3, MG...
RépondreSupprimerMoi ce sont les falaises de Moher que je longeais, la mer furieuse à nos pieds, ah oui j'oubliais : nous étions deux. ];-D
Autrefois ? Pourquoi tu ne les aimes plus ?
SupprimerJe m souviens d'un beau voyage en Irlande que j'ai fait en rêve un jour...
Oui c'était bien...
¸¸.•*¨*• ☆
Exactement celles-là, ces bagnoles qui nous faisaient rêver, jeunes...
Supprimerstouf
RépondreSupprimerLe gros chat persan qui préside à mon accés à internet (parfois je suis punis et ne peus pas écrire puisqu'il est allongé sur le clavier)te dit miaou, il est bien luné aujourd'hui. Perso, si j'avais été sha perse dans une autre vie (une des sept), je t'en aurais fait présent de ce کوه نور
aprés l'avoir enchasser sur une bague, promesse d'une longue vie pleine d'aventure et de voyages, de conquètes épiques et des paysages merveilleux.
En tant que reine de Saba, j'aurais évidemment accepté ton présent ;-)
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆
stouf
SupprimerEt tel Salomon, je t'aurais dis, viens à moi du Liban, regarde moi du haut de l’Amana, du sommet du Sanir et de l’Hermon, du fond de la caverne des lions, du haut des montagnes qu’habitent les léopards. Tu m’as rendu le cœur, ma sœur fiancée, tu m’as rendu le cœur par un de tes yeux, par une des boucles qui flottent sur ton cou.
Et pis un de nos descendants aurait été Bob Marley de la tribu disparue du roi Ménélik, t'en veeeeux ?
PS: J'ai éviter les propos les plus torrides de notre cantique des cantiques. ;o)
Flavia, depuis le temps que j’en rêvais, de ses cylindres et de ses soupapes, de sentir son moteur… Une fraise. Et puis, il y eut cette poussière que je m’encornichai dans l’œil. Que faire, sinon lui confier les clés de la Lancia (ma Corvair rouge arletty était en révision), poser ma tête sur ses genoux d’organdi, pressant contre mes yeux le serre-tête imprégné de vichy qu’elle me prêta pour le coup de la dépanne. Et puis il y eut cette grosse poussière de rocher dans le faisceau des phares. Plus question de cabrioler. Quelle chance que la Lancia fût une Solido plutôt qu’une Norev
RépondreSupprimerJimmy tu es positivement génial !👍
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆
J'apprends aujourd'hui qu'on appelait ça le Koh-i Nor; un joli nom que Pierre Perret aurait dû ajouter à sa liste :)
RépondreSupprimerMerci pour cette virée pleine de ton humour, Célestine... et vive les femmes !
Merci mon bon Vegas. Tout compliment venu de toi me va droit au coeur. Ô grand maître incontesté de la plume et du sonnet.
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆
J'adore ton histoire, Célestine, charmante et si bien contée !
RépondreSupprimerEt bravo pour ta connaissance des bagnoles d'autrefois.
Comme c'est gentil, JCP
SupprimerJe me demande quel prénom se cache derrière ces mystérieuses initiales... ;-)
¸¸.•*¨*• ☆
L'art de raconter plusieurs histoires (je n'ai pas su les compter) entrelacées. C'est merveilleux
RépondreSupprimerPlein, en fait, tu as raison.
SupprimerTu as le sens de l'entrelacs... ;-)
¸¸.•*¨*• ☆
J'ai entendu la balade de Jim de Souchon Voulzy tout le long de la lecture!
RépondreSupprimerC'est tout à fait vrai.
SupprimerL'infirmière est un ange et ses yeux sont verts... ;-)
Bisous
¸¸.•*¨*• ☆
Belle histoire aux parfums surannées.
RépondreSupprimerMerci Pascal. La nostalgie a un parfum délicat que tout le monde n'aime pas forcément...
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆
tout comme Chri, pour la chanson de Alain Souchon qui a accompagné ma lecture de ton texte :)
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