Comment l’esprit s’agrippe à la vie
Regardez-nous bien, nous sommes les habitants célèbres du cimetière le plus réputé au monde. Au 16 rue du repos, quand le bon samaritain s’endort du sommeil du juste, nous sortons de nos tombes pour aller danser au GBPPPR*, après avoir rassemblé mandibules, vertèbres et phalanges, en cliquetis serrés. De gauche à droite, Frédéric Chopin, Jim Morrison, Héloïse, Oscar Wilde, Edith Piaf, Molière, Jean de la Fontaine, Colette, Camille Pleyel, Alain Bashung, Michel Petrucciani, Jean-François Champollion, Gustave Doré, Simone Signoret, Marcel Proust, etc, j’en passe et des meilleurs, tous les autres non moins célèbres danseurs de ces lieux.
Nous sommes les rois du tango. Au rythme palatin de nos zygomatiques, nous renversons trapèzes, scaphoïdes, rotules et boites crâniennes, tournoyons aux sons des vertèbres coccygiennes, virevoltons en cadences claviculaires, sternales ou maxillaires, claquons du lunatum, du métacarpe ou du sésamoïde. Nous rediffuserons régulièrement la scène culte avec Elena et Alejandro afin de réviser les pas de danses classiques.
https://www.youtube.com/watch?v=NMTkG88SNJE
Car nous sommes encore bien de ce monde. L’errance de l’au-delà est un leurre, nous en témoignons dans la trame de nos os, dans les allées parcourant les quarante quatre hectares de notre nécropole,baguenaudant sous la pleine lune, au gré de nos squelettiques libertés. Nous, célèbres enterrés, avons cette particularité de n’être pasprisonniers de nos tombeaux, mais bien d’être les parias bohèmes du vingtième arrondissement. Notre enthousiasme dérange, réveille, provoquant le délire des uns, le dégoût des autres, la répulsion des parisiens qui veulent notre silence de mort plutôt que nos célestes et bruyants jeux. C’est pourquoi personne ne nous verra jamais danser dans les allées, entre les monuments funéraires, sauf peut-être quelqu’alouette gironde ou quelque libellule insomniaque grisées par nos ballets claquetants et hasardeusement passant par là. Il nous arrive d’organiser des rencontres inter-cimetières, en nous décentralisant vers des lieux plus calmes, afin de donner un peu de répit à la capitale, lorsque les circonstances nous y poussent. Nos hôtes nous font découvrir les pacages et prairies où paissent les troupeaux, bovins de toutes espèces, qui nous accueillent dans un premier temps avec des beuglements inquiets, puis une fois familiarisés à notre présence, offrent ballades et flâneries nocturnes à dos de vache à nos vieux os. Frédéric promène ainsi ses phalanges en touches de piano, auxquelles Michel répond plutôt en mode jazzy, Jim exhibe ses côtes recouvertes auparavant d’un torse qui eut son heure de gloire, Simone a gardé son casque d’or (qu’elle a tenu à retirer pour la photo, refusant d’être reconnue) et Marcel sa Madeleine, (planquée entre deux os iliaques), Héloïse et Abélard sont toujours inséparables. Les nuits où les nuages crèvent en longs rideaux de pluies évanescentes, nous laissons l’eau rincer les diverses pièces de notre anatomie osseuse avant de, bien rafraîchis et ressourcés, réintégrer nos sépultures pour une journée de repos bien méritée.
GBPPPR* : Grand Bal Populaire des Parias-Pour-Rire (honteusement repiqué chez Anne de Louvain la Neuve)
https://annedenisdelln.wordpress.com/2016/02/26/le-tango-de-la-mort-qui-tue/
Où lire Jobougon
Voilà ! J'ai déjà avoué à la terre entière et vivante sur votre blog, chère âme, ce que j'avais à dire de l'au-delà où je vis et des tangos que nous dansâmes, mandibules contre péronés.
RépondreSupprimerNous cliquetâmes si fort ce soir là que j'en eus le marteau, l'enclume et l'étrier tout emmêlés. De plus, mes mâchoires se sont malencontreusement décrochées à rire de vos pointes d'humour que vous décochâtes au passage adroitement, je tente encore de remettre un peu d'ordre dans tout ça mais pour l'instant sans succès. Quelle belle soirée tango ce fut !
SupprimerJ'ignore si le Père-Lachaise aimait le tango mais voilà une interprétation folklorique du thème qui me plait bien... j'en parlerai à l'auteur du dessin :)
RépondreSupprimerEn tout cas si le père Lachaise n'aimait pas le tango avant, j'espère qu'il a changé d'avis depuis. Félicitations à l'auteur du dessin qui a eu le don d'inspirer les participants.
Supprimeril y a du beau monde en tout cas à danser ainsi dans l'au-delà :)
RépondreSupprimerIl faut reconnaître que la distribution était de choix.
SupprimerA partir de ce jour et de cette lecture memorable et memorisée, il ne sera plus possible de voir les cimetières comme des lieux tristes et immobiles....
RépondreSupprimerPersonnellement je les ai toujours vus comme des lieux paisibles propices à la méditation. Depuis la mode tango tango, c'est un peu plus bruyant, quoique dans la journée, le monde de l'au-delà dort, il faut bien qu'ils se reposent un peu. :-)
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