mardi 23 février 2016

Vegas sur sarthe - Encore

Les PHAREs

 
Tag by Guillaume


Il fallut se rendre à l'évidence, les PHAREs avaient traversé le tunnel une fois de plus.
On les appelait les PHAREs pour désigner plus simplement ces Petits Hommes Au Regard Écarlate qui venaient de la tour jumelle du Wynn par le tunnel.
Depuis que le billet vert ne valait plus un kopeck, faisant fuir le peuple Tourista, le désert de Vegas autrefois si grouillant de vie avait été désertifié.
Comment en était-on arrivé là?
Toujours est-il que la grande désertification avait ruiné et poussé au suicide tous ceux qui régnaient sur l'Empire du Vice, obligeant le Commandant à se retrancher dans l'immense tour de verre du Encore.
On l'appelait le Commandant à cause de son éternelle tenue de cosmonaute empruntée au Neil Armstrong du musée de Madame Tussauds au Venetian.

"Combien sont-ils cette fois-ci?" s'inquiéta le Commandant en jetant un regard inquiet depuis sa suite du 45ème étage.
Vu d'en haut le Strip déserté ressemblait à une piste d'atterrissage abandonnée où nul survivant n'osait s'aventurer.
Depuis longtemps les fontaines du Bellagio avaient cessé leur impressionant ballet et les voix de Pavarotti et d'Elvis s'étaient tues à jamais.
Son aide de camp - un bookmaker au chômage réchappé du Treasure Island - le regarda, incrédule :"Difficile à dire mon Commandant. On peut faire comme d'habitude, compter leurs yeux et diviser par deux mais je crains que quelques borgnes ne se soient encore traîtreusement glissés parmi eux"
Les borgnes étaient devenus l'obstacle numéro 1 à l'éradication des PHAREs.
Dérèglement génétique, branchement défectueux ou ruse? Personne n'en savait rien et ne pas pouvoir dénombrer ses ennemis c'était à moyen terme la défaite assurée.
"Encore" explosa le Commandant...
Il répugnait à prononcer ce mot qui lui rappelait trop leur prison de verre mais c'en était trop.
Les PHAREs n'étaient visibles que la nuit ce qui ne facilitait pas la chasse et le jour ils passaient en mode économie d'energie pour pouvoir durer et devenaient quasi-indétectables.
“J'ai les jetons” soupira l'aide de camp mais la blague était usée – qui se souciait des jetons aujourd'hui – et personne ne la releva...

Si celui qu'on appelait l'Ingénieur n'avait pas découvert le moyen de rendre comestible l'immense réserve de billets verts stockée dans les coffres du casino, ils seraient tous morts de faim aujourd'hui.
Les PHAREs n'étaient pas agressifs, seulement envahissants et n'en voulaient qu'à leur secret de fabrication du Gloups dans lequel on plongeait les billets pour les rendre digestes.
Dans les sous-sols sécurisés transformés en cuisine géante, les liasses mijotaient dans des marmites de Gloups fumantes sous l'oeil critique de la cuisinière en chef, une certaine Déline Cion qu'on avait sauvée in extremis du Caesars Palace.
Comme elle goûtait un Benjamin de cent dollars croustillant, la voix du Commandant résonna dans l'interphone :”Tu peux monter, Déline?”
“Encore” soupira Déline en remettant de l'ordre dans son chignon avec une moue d'agacement.
Elle aussi répugnait à prononcer ce mot qui lui rappelait trop leur prison de verre.
En passant par la boutique Dior passablement pillée, elle trouverait bien de quoi se refaire une beauté...

A peine eut-elle terminé de verrouiller le sas blindé qu'un bruissement furtif la fit se retourner.
Dans la pénombre du sous-sol ils étaient là, deux, trois, peut-être trois et demi... enfin quatre, elle n'eut pas le temps de compter tous ces yeux qui brillaient d'un éclat inhabituel.
Elle les avait souvent observés depuis la suite du Commandant mais sans jamais les voir de si près...
Surtout ne pas paniquer... appuyer sur le bouton d'alarme dont ils s'étaient tous équipés... les autres seraient là rapidement pour la secourir.
Déline chercha nerveusement le petit boitier au fond de ses poches.
Rien ! Elle faillit crier.
Crier... elle savait faire. Elle l'avait fait si souvent juste en face sur la scène du Colosseum.
Machinalement elle entonna: “J´irai chercher ton âme dans les froids... dans les flammes”
Les PHAREs avaient l'air de s'en foutre.
“Je te jetterai des sorts...”
Déline eut même l'impression qu'ils ricanaient.
“Pour que tu m'aimes encore... encore... Encore”
Sa voix s'étrangla tandis que les yeux écarlates dardaient leurs lasers brûlants.
Elle hurla :”ENCORE!”


“Ma chérie, calme-toi... ce n'est qu'un mauvais rêve”
Penchés sur elle, David et les enfants la regardaient avec un mélange d'étonnement et de compassion.
Au plafond, le radio-réveil renvoyait deux gros points rouges clignotants... 


11 commentaires:

  1. Bravo !
    Un réveil un peu difficile pour une histoire so fantastic...

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    1. Un réveil qui arrive à point nommé quand on cherche une chute...

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  2. Heureuse de retrouver l'immense plume de Vegas...
    à qui il n'a pas échappé que le "Encore" se trouve dans sa ville éponyme...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Bientôt 15 ans que je retrouve cette ville et je ne cesse de dire "Encore" !

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  3. Mon Dieu, quelle imagination, quels délires rimant de délices de Déline. J'adore, je bave d'envie devant tant d'élucubrations ! Bon, disons-le tout net : je suis jalouse ! C'est tellement bien écrit, drôle, brillant, bref, comme je bave décidément beaucoup, je cours m'essuyer la bouche et pleurer dans mon coin. Ce Vegas ! Pff.... (soupirs de suicide).

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  4. tu tiens un excellent scenar, Vegas ! sous l'humour féroce, la dénonciation du système est patent ! je pense que Hollywood va accueillir à bras ouverts ton idée, et trouvera une chanteuse à voix :)))

    c'est sublissime de drôlerie, mais aussi de frissons cauchemardesques

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    1. Je salue l'imagination de mon fiston qui n'a rien perdu de son coup de crayon !

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  5. Sujet sur-mesure pour notre ami Vegas ! Et l'habit lui sied à merveille. :)

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  6. Du grand délire digne de Dali... Ah, Vegas, tu nous feras tous courber du chef devant ta plume....
    La fin d'un rêve ou d'un cauchemar est souvent une belle porte de sortie pour la chute à faire tomber le lecteur!

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  7. Y a pas ! la cassolette d'andouille sur lit de pommes de terres croûtées au Pont-Lévêque-Livarot-Camembert, le soir, ça pèse son pesant de cauchemar au p'tit matin !

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