Sentinelle
Je m'ennuie sur cette planète des confins, où mes larmes se pétrifient en cailloux rouges. J'en fais le tour en un jour tant elle est petite, comme cette île nommée Houat dans le roman de science-fiction que j'avais acheté à l'aérogare au moment d'embarquer pour cette mission lointaine et solitaire. D'habitude j'aime cet auteur, Office de Tourisme. Il décrit l'île comme un satellite minuscule et plat, entouré d'un métal liquide aux couleurs changeantes, tantôt bleu, argenté ou vert de colère, chargé de vaisseaux qui se déplacent à l'aide d'un système compliqué de voiles et de vents, de fumées noires que crachent des cheminées, de rames actionnées par des galériens, et agité d'une invraisemblable horlogerie de marées que commanderait la lune. Dans sa maison de granit le recteur héberge des couples d'amoureux venus fabriquer des enfants selon un rite archaïque, c'est ainsi que commence l'histoire, si stupide quant au fond que j'ai balancé le livre dans l'espace interstellaire, et ses virevoltes m'apportèrent une distraction mélancolique, fugace comme une étoile filante, jusqu'à ce que la voie lactée le gobe en ricanant.
Je suis censé faire des rondes la nuit, à l'heure où les lapins surgissent des cratères cramoisis et des livres d'enfants rouge et or. Je scrute les météores et les astéroïdes à la recherche d'envahisseurs possiblement venus de la terre ou d'ailleurs, mais seules des déesses passent en trombe à bord de bolides étincelants, vaquant à leurs amours, et leurs écharpes précieuses flottent un instant dans les trous noirs comme la queue rémanente des comètes. Quand je rentre au poste de garde, j'époussette paillettes, poudre de riz et de rubis, que des rêves insensés, plus qu'un ennui mortel, ont déposées partout telle une poussière cosmique, sur la table où j'écris mon rapport comme sur la couchette où je cherche en vain le repos. Je commande au magasin central un rêve qu'un génie ubiquitaire venu de la caserne sur la planète-mère m'apporte, et quand j'ai fini ma lecture je m'endors au petit matin, alors qu'à l'ouest le soleil se lève déjà, rubicond.
L'inutilité de cette mission sur les rivages de la galaxie, où les gradés et les grands pontes m'ont oublié, me déprime Je n'ai jamais cru que la terre soit habitée d'extramartiens à mon image, ni qu'une planète puisse être bleue drapée de forêts vertes et brodée de neiges éternelles, comme la décrit Office de Tourisme dans son best-seller. Il y raconte que sur la terre des êtres ingénieux auraient inventé le feu, les forges, l'alchimie, l'appât du gain, la passion et autres balivernes, et s'apprêteraient à entreprendre un voyage de plusieurs siècles pour s'emparer des volcans de nos ancêtres.
Et s'ils arrivent, que pourrai-je faire avec mon fusil ionique, brouilleront-ils les communications télépathiques, aurai-je juste le temps d'envoyer une alerte laser au QG avant qu'ils ne mettent le feu à ma guérite ? S'ils sont aussi intelligents que le dit le bouquin, qui en fait des êtres doués de raison, ils préfèrent sûrement passer l'été sur la plage à lire des romans d'anticipation, grillant des saucisses la nuit venue en admirant les étincelles et le feu d'artifice. Mais parfois les livres mentent, et l'angoisse m'étreint à la pensée qu'ils puissent être bêtes, au point de charger les soutes de leurs engins, en ce moment, de poudre à canon, de crucifix et de verroterie, si bêtes qu'ils finiront par machiner pour l'univers un ultime atome.
C'est intéressant d'avoir le point de vue d'une extra-sentinelle! D'un coup je relativise mes passions pour le barbecue et la pétanque :)
RépondreSupprimerUne poésie entremêlée d'humanité bien humaine ;o) Une profondeur de réflexion et un éditorial intelligent. ...et cette tristesse un peu sans espoir. Une belle lecture pour moi. Bravo !
RépondreSupprimerDommage qu'il n'y croie pas ! Les îles bretonnes ont un sacré charme !
RépondreSupprimer[signé :Office de tourisme parallèle de Rennes]
P.S. Et va savoir ce qu'on tortore dans son désert des Tartares !