Les
taupes
Il y a beaucoup à faire
au jardin au début du printemps. Finir de tailler les rosiers, les
céanothes caducs et les spirées, rabattre le millepertuis et
l'hydrangea à grandes fleurs, recéper les arbustes, éliminer les
fruits momifiés du pommier, planter les crocus, diviser les touffes
d'iris. Au potager c'est le temps des semis et des repiquages. Je
consacre aussi beaucoup de soins à la pelouse, il faut éliminer les
mousses, scarifier, apporter un engrais coup de fouet riche en azote
et passer le rouleau. On peut dire que je sarcle et me casse la
binette pour avoir un beau jardin.
Les taupes ne sont pas
mes potes, ah ça non. Elles s'efforcent pourtant d'être aimables,
déposant sur ma pelouse de grosses meringues, qui me paraissent
hélas terriblement terreuses, au point que je m'en servirais bien
pour mes rempotages. Mielleuse, l'une d'entre elles, qui aime à
prendre le frais à l'entrée de sa galerie, me susurre que ce sont
des gâteaux mais je ne m'y laisse pas prendre.
Elle m'ont invité
plusieurs fois à visiter leurs galeries souterraines, réseau
complexe de galeries d'art, boutiques de mode, showrooms, genius
bars, à l'occasion de vernissages, lancements de collections et
nouveaux modèles, dégriffages et ventes privées, mais je n'aime
pas les mondanités, ni les petits fours et les limaces dont elles se
nourrissent. Et puis j'ai trop à faire au jardin. Mais quand elles
m'ont parlé, sirupeuses, de leurs projets d'agrandissement et de la
création d'un complexe hôtelier pour campagnols, de saisissement
j'en ai lâché ma serfouette.
Même le hérisson,
occupé à ce moment à laper l'eau de pluie dans une soucoupe de
terre cuite sur le seuil de la resserre à outils, ça l'a mis en
boule. Ne te mêle pas de ça, lui ai-je dit, tu n'as rien à faire
dans cette histoire, c'est une affaire entre les taupes et moi, ne va
pas risquer de te prendre un coup de fourche perdu, car désormais
c'est la guerre. Va donc plutôt faire un tour, mais fais bien
attention en traversant la route.
Puis j'ai confectionné
une tarte, que j'ai fourrée de poison, fumigènes et pétards, de
colle à papier peint et de ronces, et décorée sur le dessus de
vers de terre, de courtilières et de carabes dorés. Je l'ai tendue
avec un sourire avenant à l'une d'entre elles au moment où elle
présentait son badge à l'entrée du parking souterrain où elles se
garent, en lui disant, tenez c'est du gâteau et c'est pour vous, en
remerciement de vos délicieuses meringues.
Tous ces triangles et ces points d'humour poétique me ravissent. Les trois premiers essais ne marcheront peut-être pas mais à la quatrième taupe, il sera exactement... l'heure ou tu meurs ! C'est comme ça que ça marchait autrefois avec l'horloge maçonnique parlante ! Sinon, il y a le coup de truelle qui n'est pas mal non plus !
RépondreSupprimerJ'attends de savoir si ça marche, moi qui ai tout essayé à part déménager :)
RépondreSupprimerà mon avis, futées comme elles sont elles n'auront pas été dupes d'autant d'amabilité :)
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