mercredi 18 février 2015

Blick - Au resto

Aux Nouveaux Impromptus


« Alors, me demande Vrac, qui vient d'entrer dans le café, les cheveux trempés et collés comme les pages d'un livre oublié sous la pluie, quoi de neuf chez les Impromptus, ça fait longtemps que je n'y ai pas mis les pieds
- Tu sais qu'ils ont déménagé au mois de janvier. Histoire de dépoussiérer ...
- Ils n'avaient pas fait le ménage depuis dix ans ?
- Je ne sais pas exactement, en tout cas, donner un nouvel essor, tout en gardant le même esprit. Ils ont convié leurs meilleurs clients la semaine dernière à un dîner d'inauguration
- Il faut croire que je n'en fais pas partie, je n'ai pas reçu d'invitation
- Oh arrête, Vrac, tu l'avais un peu cherché
- Et c'est comment, alors ? Tu y es allé ?
- Oui, bien sûr. C'est pas mal. Ils ont accroché aux murs des photos et des dessins, il paraît que beaucoup d'habitués se plaignaient des murs nus, maintenant c'est plus gai, plus pimpant
- Il y avait du monde ?
- Un monde fou, oui, enfin je veux dire pas forcément nombreux, mais un peu fou
- Ça dérange un peu, l'écriture, non ? Ou le contraire. Enfin je me comprends ! Tu as rencontré des gens intéressants ?
- Tu sais, il y avait beaucoup de gens que je ne connais pas, habituellement nous ne faisons que nous croiser, sans nous dire ni bonjour ni rien, jamais un commentaire. Ce qui est amusant, c'est que quelques-uns étaient venus avec leurs chats, sans doute n'avaient-ils pas trouvé de cat-sitter pour la soirée
- Et la déco, à part les murs ?
- Tout un mur est garni d'étagères chargées de bouteilles d'encre de toutes sortes, encre de seiche, encre de chine, encre sympathique, à l'huile de lin, thermochromique, de noix de galle, chacun peut commander  l'encre de son choix pour accompagner son repas
- De l'ancre de marine avec le poisson, pour les récits de naufrage, ah ah. J'imagine qu'ils ont fait aussi un mur avec des plumes à tremper dans les encriers ! Et Tisseuse, elle est comment, en vrai ?
- Tu ne vas pas le croire. Evidemment, comme tu t'en doutes, je me faisais une fête de faire sa connaissance. En arrivant, je suis accueilli par une dame très distinguée, en tailleur anthracite, aux cheveux mauves, qui, l'oeil vif, semble tout régenter. Je vais vers elle pour la saluer. « Bonsoir Tisseuse », lui dis-je, mais sais-tu ce qu'elle me répond ? « Non, non, moi c'est Végas ». Interloqué, je fais « Végas ? Le grand Végas ? ». « Eh bien oui, quoi, Végas sur Sarthe ». « Celui qui ... ». « Celui qui quoi ?, me demande t'il avec une pointe d'impatience, pardonnez-moi, j'ai à faire, car le service commence. Si vous voulez voir Tisseuse, c'est le jeune homme barbu, là-bas, qui remonte de la cave, c'est lui qui s'occupe des réservations »
- Le jeune homme ? sursaute Vrac
- Comme je te le dis. Un grand jeune homme, qui pour l'heure se tient appuyé contre le chambranle de la porte qui mène aux cuisines, en pantalon de velours côtelé et pull tricoté à la main, avec une longue barbe et des lunettes à fine monture, la physionomie intelligente, l'air timide. Je m'avance vers lui et réussis à articuler « Heu, Tisseuse ? Bonjour, c'est Blick », « Enchanté » répond-il en rougissant
- Mais ils se moquent de nous depuis des années, s'indigne Vrac
- Oui, peut-être, mais si on y réfléchit, c'est ce que nous aimons dans l'écriture, ses déguisements, ses artifices, ses illusions, ses mensonges et ses pièges peut-être ..
- Quand même, quand même ! Heureusement qu'il nous reste L'Arpenteur …
- Attends. A côté de Tisseuse, du barbu donc si tu me suis bien, se tient une petite fille, avec un tablier de gâte-sauce aux poches remplies de porte-plumes, une jupe plissée et un chemisier à fleurs au col de dentelle taché d'encre, qui suce son pouce en me regardant avec effronterie, et dont je ne jurerais pas qu'elle n'a pas essayé de me faire un croc-en-jambe lorsque je voulus gagner ma table, abasourdi. Je vais pour lui tirer l'oreille mais à ce moment Tisseuse la gronde doucement « Allons, L'Arpenteur, n'embête pas les clients, va plutôt jouer à la dînette », et la gamine de me tirer la langue
- Quelle soirée surprenante ! As-tu bien mangé, au moins ?
- Ça va. Mais figure-toi que je n'avais pas prêté garde au fait que sur l'invitation, en petit, il était marqué que l'addition resterait à la charge des invités
- Ça c'est fort. Salée ?
- Salace, plutôt, tu les connais ! Enfin, salace, mais ça délasse.

9 commentaires:

  1. Le jour où je voudrai jouer les dames très distinguées, je saurai quoi faire :)

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  2. rien que pour avoir lu ce que je viens de lire, je suis ravie d'avoir proposé cette photo comme support de thème de la semaine !
    ton texte est grandiosement loufoque Vrac de Blick :o)

    j'aime beaucoup l'idée des bouteilles d'encre...une bonne idée peut-être pour un futur thème

    et bien sûr palme d'or pour la représentation des "rôles" tenus par nos pseudos à Vegas, L'arpenteur et moi-même !!!
    assez parlante en fait cette représentation :
    - la personne en tailleur anthracite ressemblerait plutôt à une vieille cousine (clerc de notaire) de mon père
    - le jeune homme barbu, timide, à lunettes, en pantalon velours et pull tricoté main ressemble étrangement à mon mari dans sa jeunesse
    - et la petite fille...pourrait bien être la toute petite cousine dont se souvient si bien mon cousin :o)

    en tout cas, j'ai l'impression que l'auberge impromptue ne te déplaît pas....malgré parfois quelques mots écrits à l'encre aigre-douce...
    et tant mieux !

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  3. Oh zut, j'ai pas pu venir...j'avais piscine !

    Stouf

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  4. J'ai bien ri ! Mais je sais d'expérience que ce genre de situation existe réellement !

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  5. Marrant et excellente idée d'avoir mis en scène les pseudonymes !

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  6. Ah, merci, j'avais un peu de mal à visualiser tout ce beau monde!

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  7. Mdr, excellente mise en bouche pour ce repas des Impromptus.

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  8. L'Arpenteur d'étoiles21 février 2015 à 12:45

    lol, mdr ... comment as-tu deviné que j'étais une petite fille ?
    sinon, le fond de ton texte est vraiment chouette et même touchant pour nous ...

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  9. Très sympa de voir déformer une hypothétique vérité, c'est trop drôle !
    Ben heureusement qu'ils nous payent les textes chaque semaine pour aller au resto après ;-)

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