Toutes les Mamas
"Ils sont venus, ils sont tous là,
dès qu’ils ont entendu ce cri..."
Elle résonne, cette chanson, car
chaque fois que je l'entends elle me rappelle ce camarade de classe,
un rejeton d'immigré italien, mais auquel il aurait manqué le bon
vin et les filles, en quelque sorte.
Un peu rude, brutal parfois si on lui
cherchait querelle, ce que personne ne faisait car il dégageait une
force qui intimidait tout le monde. Pas le genre harceleur, plutôt
gentil, mais qu'il ne faut pas chercher.
Il était là, souvent morose, dans la
masse des élèves de cette école d'un quartier plutôt aisé,
indifférent à nos jeux, trop mûr sans doute pour notre puérilité
de petits bourgeois.
Ni rebelle, ni cancre, il supportait
sans flancher les engueulades des instituteurs les plus redoutés de
l'école, exaspérés de le voir assister passivement à l'année
scolaire, rongeant son frein en attendant l'âge d'embaucher comme
docker, sans pouvoir admettre que ce jour là, Marseille
n'embaucherait probablement plus de dockers.
Un matin, vers la fin de la récréation
qu’un directeur poète laissait parfois traîner au-delà du
raisonnable, je l'ai trouvé dans un recoin isolé de la cour,
théoriquement interdit aux élèves. Qu'il s'y trouvât ne me
surprenait pas, le concept de règlement intérieur lui étant assez
flou.
Ce qui m'empêcha de passer mon chemin,
c'était sa posture inhabituelle, blotti dans l'angle de deux murs,
assis sur le ciment sale d’une poussière de feuilles de platanes
desséchées, le front posé sur ses genoux relevés, les bras
croisés au-dessus de la tête, prostré. Et surtout, les spasmes qui
secouaient ses épaules.
Il n'était pas en train de pleurer
tout de même ?
Je me suis approché, je l'ai appelé,
par son nom de famille que j'ai oublié. "Ça va ?"
Il a soulevé sa tête, m'a regardé,
hébété, le visage baigné de larmes.
"Que se passe-t-il ?" ai-je
demandé, syntaxe à la hauteur de mon statut de fils de la plus
redoutée des institutrices.
Sa lèvre a tremblé un peu, devant
l'énormité de sa douleur, et il a murmuré, avant d’éclater en
sanglots :
"Ils ont insulté ma mère !"
le type d'insulte qui, a priori, aurait fait disjoncter Zidane, et serait la cause du fameux "coup de tête"...
RépondreSupprimerUn très beau texte Jacques où l'on voit bien qu'un enfant souffre dans son amour pour sa mère quand elle est raillée. Les enfants sont particulièrement cruels entre eux, tout le monde le sait et on se demande bien pourquoi.
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