vendredi 20 janvier 2017

Jacques - Le doigt sur l'interrupteur

Vous croyez aux miracles, vous ?

Moi, non. Les miracles, ces événements improbables à l'issue heureuse, balayant un horizon bouché au profit de perspectives heureuses, je les ai toujours classés avec les contes de fées, les récits fantastiques, dont je suis friand, mais avec raison.
Si je veux bien suspendre mon incrédulité le temps d'un film ou d'un livre, le sens des réalités n'est jamais loin et, si je chéris le souvenir de l'histoire et de ses personnages pour les heures d'évasion, j'en accepte les limites.
Enfin, ça, c'était hier. Avant. Il y a une éternité.

Tout a commencé par cette errance dans les vieilles rues d'Edimbourg, à la recherche d'un raccourci vers un restaurant du Royal Mile, dans une rue étroite aux pavés inégaux luisants de pluie. Mon costume de ville et mon pardessus étaient insuffisants pour ce début d'hiver écossais et j'étais transi, et j'avais faim. Il s'est fallu de peu de choses, une odeur, une bouffée de chaleur devant une porte entrouverte, et j'ai abandonné les recommandations de ce site de conseils de voyage pour m'engouffrer dans ce pub.

Il était mal éclairé, meublé de bois grossier, sans le moindre angle droit. On m'a indiqué une table, où je me suis installé avec soulagement, acceptant, sur la suggestion du serveur, le plat du jour.
Ce n'était pas du Haggis, mais j'ai oublié, parce que mon attention a vite été attirée, puis monopolisée, par la table voisine.
Une jeune femme y était assise, concentrée sur un calepin, indifférente à ma présence.
Elle dégageait une aura de sérénité mystérieuse, à l'opposé de mon monde frénétique et trivial de consultant.
Elle avait une silhouette élégante, et une belle chevelure rousse, aux antipodes de mon alopécie tenace et de l'effet délétère de mon abus de restaurants.
Elle a fini par refermer le calepin, balayé la salle du regard, et je n'ai pu détourner le mien. J'ai senti mon visage s'empourprer, et une lueur amusée dans ses yeux verts.
Miséricorde.
Elle m'a souri.
Miséricorde.
"Vous n'avez pas l'air d'un habitué" a-t-elle remarqué.

J'ai péniblement bredouillé une explication embrouillée, démenti cinglant de mes notes irréprochables à tous les tests de conversation anglaise.
"Mais au moins, vous êtes curieux, à ne pas vous précipiter dans un restaurant à plus de quatre sur cinq"
J'ai souri, enfin. Et recommencé à respirer, me raccrochant aux circonstances de ma présence pour regagner quelque contenance.

Nous avons poursuivi notre conversation, l'échange de considérations banales sur nos quotidiens, surtout le mien. Peu à peu, nous nous sommes découvert des centres d'intérêt communs, des livres, des chansons, des poèmes, et j'ai fini par surmonter mon incrédulité face à la situation, lorsque nous nous sommes retrouvés sur les pavés inégaux du trottoir toujours luisants de pluie, traversant Old Town vers Princes Street. Mon Hôtel était en vue. C'était aussi le sien.

J'ai presque été déçu : je m'attendais à ce qu'elle me guide à travers la porte d'une échoppe condamnée, derrière laquelle je découvrirais un urbanisme victorien secret, mais elle a sorti de son sac une carte identique à la mienne. Je l'ai suivie jusque dans sa chambre, obscure.

Elle a posé son doigt sur l'interrupteur, puis éclaté de rire.
"Nous ne nous sommes même pas présentés !"
"C'est vrai"
"Je m'appelle Lily"
"James" ai-je répondu, avant de rougir et de bredouiller.

Son sourire s'est éclairé, et comme une flamme s'est allumée dans ses yeux émeraude. Elle a lâché l'interrupteur, libéré ses cheveux de la baguette qui les maintenait en un chignon flou et murmuré
"Lumos".

Où lire Jacques

9 commentaires:

  1. Tu ne crois pas aux miracles mais là, quand même, quelle belle apparition ! :)

    RépondreSupprimer
  2. Il faut bien les yeux émeraude d'une Lily la rousse pour éclairer une chambre obscure...

    RépondreSupprimer
  3. moi j'ai connu une belle chanson "Julie la Rousse" mais ta Lily est une belle rencontre.
    avec le sourire

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chantée par René Louis Laforgue fin des années 50 ! J'avais 18 ou 19 ans...
      Fais nous danser Julie la rousse
      Toi dont les baisers font oublier...

      Supprimer
  4. Belle histoire maître Jacques, elle appelle une suite... Et puis non je préfère l'imaginer.

    RépondreSupprimer
  5. Très sympathique lecture; merci.

    RépondreSupprimer
  6. Ah! la baguette, attention, ça peut "mener" son homme.

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".