Il posa son doigt sur l’interrupteur mais ne
termina pas son geste. Il se retourna ; son regard fit un tour rapide de
la pièce comme s’il faisait l’inventaire de cette salle de classe. Dans les
petits villages, les écoles ne survivent pas à la modernité de nos vies
trépidantes… Il faut regrouper, faire des économies. Les élèves devront
désormais prendre un bus, faire vingt bonnes minutes de route, manger à la
cantine et vivre une garderie…
Que faire de ces vieux bureaux
qui sentent encore la cire d’abeille ? Il a tenu cette année encore à
faire ce petit nettoyage qui réjouissait les enfants. Il entendait les rires,
les pleurs. Il vit sur l’étagère, la pile de cahiers, un pot de crayons de
couleur, vestiges d’une vie qui s’arrête. Les dessins des gamins encore affichés,
la carte France et le globe terrestre ont l’air de le narguer tout comme l’écorché
et son pendant squelette qui faisaient peur aux plus petits. Les étiquettes « grandeur »
des premiers mots, des premiers sons que les CP ânonnaient jusqu’aux vacances
de Noël. Et Noël quels souvenirs quand la veille des vacances, les plus grands
jouaient une saynète de théâtre avant d’ouvrir leur petit paquet constitué, d’un
livre, quelques chocolats et une orange. Que penser maintenant ? Il avait lui-même
usé ses fonds de culottes sur ces bancs avant d’en être le maître après sa mère
et encore avant son grand-père un des tout premiers instituteurs.
Demain, mais demain seulement, il
viendrait chercher quelques vieux livres, des bleds anciens, la véritable bible
de l’orthographe tellement malmenée et un antique manuel de calcul dont il se
servait pour établir les problèmes.
Une dernière fois son regard
effleura le tableau barbouillé de phrase lui souhaitant une bonne retraite… Il
mit la main dans sa poche pour sentir l’écrin
qui abritait le stylo luxueux plume or, cadeau des élèves. Il
pourra enfin prendre le temps d’écrire ses souvenirs. Il posa son doigt sur l’interrupteur
et appuya fort.
Dernier regard sur la scène où il aura oeuvré à remplir des têtes infantiles... bonne retraite à un artisan du déclic !
RépondreSupprimerà l'heure de la réforme de la grammaire et de l'orthographe que deviennent les vieux "bled"....
RépondreSupprimerRetourner au bled, de nos jours c'est mal vu :)
SupprimerHa ha ha Hi hi hi ho ho ho cela ne m'a pas effleuré une seule seconde !
Supprimeravec le sourire
Voilà un texte qui me parle et que j'aime beaucoup. Merci Lilou. :)
RépondreSupprimerstouf chercheur d'or
RépondreSupprimerCela me rappel cet Ville fantôme de la sierra névada en Caliphornie et madame moustache. Au milieu de nulle-part, alors que je nous dirigeais sur une route sans fin de San Francisco vers Las Végas, je vis un panneaux de bois qui annonçait "Visit Ghostown of Bodie". Nous arrivâmes dans une de ces villes fantômes musées datant de la ruée vers l'or du 19ième siècle. Pas âme qui vive, pas de gardien de musée, juste de quoi regarder à l'intérieur des quelques batiments restant (fermés biensure), le cagnat et le vent omniprésent. Un vrai décors de western (genre famille Ingalls de la petite maison dans la prairie) et cette école d'où l'on aurait dit que les mômes venaient de sortir à l'instant. Super !
Madame moustache (Eleanor Dumont) fut une de ces aventurières françaises qui fit le voyage afin de rejoindre elle aussi l'eldorado amerlock. Elle fit un tas de métiers avant d'arriver dans la ville de Bodie afin d'y plumer les gogos au poker. ;o)
https://fr.pinterest.com/pin/468655904956795404/
https://en.wikipedia.org/wiki/Madame_Moustache
C'était l'interrupteur du souvenir, je le connais bien celui-là !
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