Le premier se nommait Berswiller, dit « le Bers’ » professeur de français latin des sixièmes et cinquièmes. Ses arrivées quotidiennes dans nos classes littéraires étaient aussi spectaculaires qu’angoissantes. Ouverture brutale de la porte. Lancer du vieux cartable depuis l’entrée sur le bureau. Apparition de l’imposante bedaine et enfin du visage lunaire aux yeux noirs et petits, à la bouche lippue soulignée d’une fine moustache.
Les jours de sourire, le Bers’
s’avérait drôle, percutant, capable d’intéresser le pire âne bâté hermétique de
la classe aux discours de Cicéron ou aux Césars de Suétone. Fin diseur, il nous
enchantait avec La Fontaine ou Colette et émaillait souvent ses cours,
d’anecdotes savoureuses, quelquefois un peu scatologiques, voire même
grivoises
Mais les jours de gros temps, il nous faisait vivre l’enfer.
Sadique, méchant, refoulé, ses souffre-douleur passaient une partie du cours à
genou sur un radiateur en fonte avec un compas dressé entre les chaussures pour
ne pas pouvoir s’asseoir sur les talons, ou debout les bras en croix avec un
Gaffiot en main gauche et un Larousse en main droite, ou bien encore
recroquevillé dans la grande corbeille en osier servant de poubelle.
Son
inventivité ne connaissait que peu de limite. Un camarade resta ainsi plus d’un
quart d’heure debout sur le rebord extérieur de la fenêtre, celle-ci étant
fermée. Il devait bien y avoir cinq mètres de hauteur et, comme nous étions en
plein hiver, il faisait un froid de gueux. Dans ces moments-là, un silence
lourd régnait sur la classe. Il passait derrière chacun de nous alors peinant
sur un exercice imposé et la moindre
faute d’orthographe, la moindre erreur d’accord ou de déclinaison valait au
mieux une gifle retentissante qui nous rendait sourd pour le restant de la
journée.
Le Bers’ vivait solitaire au collège même, dans une chambre qu’il partageait avec plusieurs chats siamois. Nous passions devant pour monter à la petite chapelle des minimes pour la messe du jeudi matin. Si d’aventure la porte s’ouvrait en même temps, l’odeur qui en surgissait était insupportable.
Le Bers’ vivait solitaire au collège même, dans une chambre qu’il partageait avec plusieurs chats siamois. Nous passions devant pour monter à la petite chapelle des minimes pour la messe du jeudi matin. Si d’aventure la porte s’ouvrait en même temps, l’odeur qui en surgissait était insupportable.
Le plus étrange est que
cet homme paradoxal et sans doute malmené par la vie m’a donné de solides bases
littéraires et m’a fait aimer le français plus que tout autre auparavant.
Le deuxième, monsieur Seyer, était notre professeur d’allemand. Sarrois d’origine, toujours tiré à
quatre épingles avec costume bleu, gilet, cravate et montre à gousset. Plutôt
petit et mince il se tenait plus que droit, presque cintré en arrière.
Il nous
considérait avec un air amusé derrière des lunettes cerclées et élevait
rarement la voix. La plus grande punition qu’il pouvait donner était de nous
envoyer au tableau sous le regard de camarades hilares pour écrire en français
des phrases comme : « je mettrai mes leggins pour jouer cette
saynète » ou « je prends ma carriole pour transporter mes thuyas, mes
fuchsias et mes troènes. » Une faute d’orthographe correspondait
simplement à une heure de colle … Son enseignement n’a pas été très efficace en
ce qui me concerne, mais certains d’entre nous sortaient avec de sérieuses
bases linguistiques.
Sans doute d'autres souvenirs viendront un peu plus tard. J'ai passé onze ans dans le même établissement (de la 8ième à la Terminale et j'ai foison d'anecdotes tristes ou joyeuses).
C'est très sympa. Après ta lecture, j'ai l'impression de les connaître... :)
RépondreSupprimertu vois, quand on tire sur le fil des souvenirs, on déroule une pelote qu'on ne savait pas aussi interminable, ni aussi vive de couleurs et d'émotions.
RépondreSupprimerTon prof à la fois passionnant et sadique me fait me poser une fois de plus la question : est ce que "l'eau tiède", la normalité, les gentils, les convenables produisent et génèrent de la passion et de la créativité ? non sans doute - il faut être too much, hérisser le poil, déranger pour faire mouche, cf tous ces artistes et écrivains fous ou drogués.
je le rappelle avoir entendu Lech Walésa affirmer que pour être élu il fallait être "trop " quelque chose, éventuellement le plus grand buveur du coin
C'est fou comme les détails physiques de la personne collent avec leur caractère.... et l'ensemble laisse des traces indélébiles!
RépondreSupprimerD'accord avec toi, Emma, le "tiède" ne laisse que peu d'empreinte.
Le bon prof suscitera probablement des vocations ...
Le "mauvais" est plus ambigu: il pourrait susciter les deux extrêmes. Soit égaler ou surpasser la connerie soit, provoquer la résilience et faire du "bon" avec du mauvais...
Bref, qu'on le veuille ou non, c'est mathématique!