La table
Il y a une verrière, à l'entrée de la cour, chargée de cristaux de la dernière averse de neige, et la masse translucide et grise, teintée d'une idée de bleu ou de jaune, donne une lumière irréelle à l'intérieur de la pièce à vivre. Le soir tombe de plus en plus tôt, mais l'on ferme les rideaux, et l'on est chez soi.
Les parents ont monté le sapin et la crèche de la cave, et la petite fille regarde son reflet dans sa boule préférée, d'un vert sombre et émeraude. Il y a aussi un poisson aux écailles dorées, et deux minuscules cafetières, fines et fragiles. Et de vraies bougies.
Plus tard, c'est elle qui garnira la crèche, fabriquée à la maison avec une vieille mangeoire, même si, chaque année, un peu de paille disparaît. L'ange a toujours son bout d'aile cassé et recollé, et le petit Jésus fait penser aux Jésus en sucre qui garnissent les cougnous aux raisins ou à la cannelle de noël.
Le chat s'approche, et, tout content de trouver une maison à sa taille, l'adopte, en compagnie de Marie, Joseph, le boeuf et l'âne, des moutons et des bergers...
Cette année-là, il a neigé. Les enfants montent tôt dans leur chambre – il n'y a pas de télé à la maison, juste la radio et un tourne-disques. Elle s'endort difficilement. Elle tend l'oreille pour percevoir les bruits qui viennent d'en bas, et celui, si caractéristique, des noix et des cacahuètes que les parents déversent dans des compotiers de cristal. Noix du Brésil, de Grenoble, de pécan, achetées chez l'épicier Dessy, au centre-ville. Là où l'on trouve aussi des marrons glacés, de la crème de marrons vanillée de chez Fauchon, pour la bûche au moka et aux marrons, et enfin, des fruits confits entiers, en pyramide symétrique, comme un tableau de perles de couleur teintées d'argent... Gourmandises de fin d'année – d'autant plus précieuses qu'elles leur semblent, à ce moment-là, rares...
Et puis la nuit se fait plus profonde, plus lourde, elle dépose son livre et tente de s'endormir. Mais le sommeil, lui est léger, haché, elle s'éveille souvent, à minuit, deux heures, trois heures. L'horloge ponctue régulièrement ses heures d'attente. Son frère dort au second étage et elle l'attend. Avec impatience. Tôt le matin, alors qu'il fera encore noir, il descendra, elle le rejoindra sur le palier, elle tâchera de ne pas faire grincer les lattes du parquet, un peu disjointes, et ils descendront jusque dans le vestibule... Passeront par la cuisine, sans rien allumer, puis dans le « living », et là, ils allumeront le lustre et la pièce, transfigurée, offrira sa table, revêtue de la plus belle nappe, et des cadeaux de noël, soigneusement disposés, qu'ils espèrent depuis si longtemps...
Depuis quelques années, en plus des jeux d'enfant, petit magasin repeint, dînette en porcelaine, garde-robe pour les vêtements des poupées, locomotives et wagons de chemin de fer, on a fait une place aux disques et aux livres, aux albums du Père Castor, puis aux histoires de Rouge et Or, à la chère collection Souveraine, à la bibliothèque Amitié Histoire, au Premier livre d'art, au Premier livre de poésie, et puis, parce qu'on est dans les années soixante, quand même, à une Skipper rousse, à une Francie « coloured », à des robes d'après-midi, à des manteaux rouges bordés de fourrure blanche, à une valise jaune pour les vêtements et même à un train Lego, pour elle qui a toujours rêvé d'un train.
Puis, ils commencent à lire ou à jouer, les parents descendent, et certes, il faut s'interrompre, s'arracher au plaisir, pour aller à la messe... Puis, ils vont faire une promenade, en forêt de Soignes, le long des étangs gelés – ce n'est pas si souvent qu'il neige à noël. Et puis, ils rentrent à la maison, et l'après-midi du 25 décembre, se poursuit, heureuse, tellement heureuse, inoubliable...
Avec des lumières, une chaleur, des brillances, tout un chatoiement, tout un amour, qui tout d'un coup, lui étreint la gorge et met des larmes au bord de ses yeux...
Il y a beaucoup d'émotion dans ces inoubliables matins de Noël...
RépondreSupprimerNous partageons des souvenirs assez semblables mais à la place de la forêt de Soignes, c'était la neige des Ardennes qui recouvrait le tout avec un air de Carine et Rebecca, vous vous souvenez aussi d'elles ?
RépondreSupprimerTon texte est écrit comme un film un peu desuet quui narre si bien nos souvenirs d enfance. Vraiment ,la magie de Noël est universelle...
RépondreSupprimerCarine et Rebecca. J'ai déjà lu ces noms mais cela ne me rappelle rien... Nous n'avons eu la télé qu'en 1971 et les souvenirs de la radio se sont moins bien fixés dans ma mémoire.
RépondreSupprimer😊 je vais chercher sur le web. Cela ravive parfois mes souvenirs.
J'ai passé Noël une année à Chiny, aussi. J'ai adoré, c'était magnifique...