Un bon élève
Je fus un bon élève. J'étais sage et appliqué. J'avais de bonnes notes. Quand je repense à mes études et à ma réussite, j'aime à croire que mes parents, s'ils étaient encore de ce monde, seraient fiers de moi. Hélas ils sont morts de chagrin, par ma faute à ce qu'on m'a raconté. Je n'ai même pas pu me rendre à leur enterrement, retenu à l'hôpital psychiatrique par toutes les tâches qui m'accaparent. Car étant le plus ancien du pavillon, le personnel se décharge sur moi d'un certain nombre de choses, en particulier l'accueil des entrants, à qui je fais visiter les lieux, le réfectoire, la salle de télévision, le kiosque, le vestiaire où nous rangeons nos camisoles. Aux nouveaux je m'efforce de transmettre un peu de ce que m'ont enseigné mes professeurs, qui m'ont tant appris tout au long de mes années d'école et à qui je demeurerai éternellement reconnaissant.
Je me souviens de la maîtresse qui nous initia à la mélancolie. Ses cours étaient ennuyeux à mourir, et plusieurs de mes camarades, accablés de bile noire, mirent fin tragiquement à leur scolarité. Je tins bon, ressassant jusqu'à la nausée mes leçons, assis sur un banc terreux dans un jardin d'automne, sous un ciel de plomb que le vent remuait sans répit. Assez !
A la rentrée suivante, j'eus la malchance d'avoir comme professeur principal la professeur de paranoïa. Je passai une année difficile. Non pas que j'aie eu du mal à suivre, au contraire, je peux affirmer que si on ne s'était pas ligué contre moi, j'aurais eu le premier prix. Mais comme la professeur était secrètement amoureuse de moi, tous cherchaient à me nuire par jalousie, mes soi-disant camarades de classe, les surveillants, les arbres de la cour de récréation qui me lançaient des marrons, les oiseaux moqueurs dans les branches, la ville qui rôdait autour de l'école, les forêts qui murmuraient dans mon dos, les montagnes qui dressaient des murailles oppressantes, la mer jetant son crachin, la pluie et le soleil cinglants. Aurais-je résisté à tant de persécutions si je n'avais pas été le meilleur ?
La première fois que le professeur de schizophrénie passa la porte de la classe, nous éclatâmes tous de rire car il était flou et qu'en outre, il louchait. Mais ses méthodes pédagogiques révolutionnaires nous firent passer le goût de la rigolade. Ainsi, lorsque je rentrais chez moi à pied à la sortie des classes, il prenait l'apparence des passants que je croisais et me répétait les leçons de la journée, ou bien se lançait dans des digressions sans fin, presque toujours inquiétantes. Si je me mettais à courir, il courait à mes côtés, menaçant de me punir si je n'étais pas assidu. Il arriva souvent qu'une fois arrivé à la maison, ayant allumé la télévision pour me changer les idées devant un dessin animé, il continuât à me houspiller avec la voix nasillarde de mes héros préférés. Certes, je fis d'énormes progrès, mais au prix de quelles souffrances !
Nous adorions les travaux pratiques d'hystérie, dirigés par un professeur charismatique qui partageait ses activités entre l'enseignement et des séances d'hypnose dans un cirque. Il nous faisait faire des exercices : spasmes, crampes, extases, convulsions, vomissements incoercibles, stigmates, et nous donnait des devoirs de paralysie et de catalepsie à faire à la maison. Je réussissais bien, encore aujourd'hui je me débrouille, au point qu'on m'a demandé de préparer un spectacle pour les étudiants en médecine qui sont en stage chez nous. Comme nous allons rire !
En maniaco-dépression, nous eûmes deux professeurs en alternance, aussi différents que le jour et la nuit. L'un, sinistre, parlant peu et ne tolérant aucun bavardage, arpentant les allées entre les rangs pendant qu'abandonnés à nous-mêmes nous lisions le manuel en silence. L'autre, exubérante, discourant sans cesse et passant du coq à l'âne (et non pas du coca light dit-elle un jour en s'esclaffant), sut nous faire partager sa gaieté folle. Adepte de l'école ouverte sur la vie, elle organisait des sorties scolaires et nous entraînait dans de grandes virées en ville, dans les grands magasins, les bijouteries, les concessions automobiles, le casino. Tout mon argent de poche y passa !
Quelqu'un est venu me voir à l'hôpital, qui s'est présenté comme mon ancien professeur d'amnésie. Il m'a confié que j'avais été le meilleur élève de toute sa carrière et m'a raconté des anecdotes qui étaient sorties de ma mémoire. Je craignis d'être impoli en lui avouant que je n'avais gardé aucun souvenir de lui, mais cela parut lui procurer une intense satisfaction. Il a promis de revenir. Comment ferai-je pour le reconnaître ?
Mon amie me rend visite chaque semaine. Je l'étonne. Elle prétend que c'est impossible d'être aussi savant dans tant de matières différentes comme je le suis, et que dans la vie vient un moment où il faut savoir choisir, car on ne peut être à la fois ceci et cela. Mais ne suis-je pas la preuve vivante qu'un bon élève peut y arriver ?
D'ailleurs, ma soif d'apprendre n'est pas éteinte, et je suis actuellement des cours intensifs de boulimie avec un professeur qui travaille aux cuisines de l'hôpital. Les cours magistraux sont dispensés deux fois par jour au réfectoire, dans l'intervalle il m'est permis de rapporter les restes à potasser dans ma chambre et d'acheter des friandises au distributeur pour parfaire mes connaissances. On m'a mis à la même table qu'un patient qui accomplit un cursus d'anorexie, nous nous entraidons pour les devoirs.
soit chacun de tes instits ou profs avaient une attitude bien particulière, soit tu es psychanalyste et là alors, tout redevient normal ! !
RépondreSupprimerj'aime beaucoup ton texte et ta façon d'aborder le thème :o)
de l'humour dans du tragique ..............................
RépondreSupprimerTrès bon ! Un régal de lecture... :)
RépondreSupprimerUn super bon récit plein d'imagination, d'audace, de style ! On se retrouve dans un non-lieu inversé des cours dispensés au château de Poudlard : des anti-cours d'anti-matières ! Mais ça fait frémir car au-delà du sourire qui se dessine à la lecture s'y mire une réalité à faire frémir !
RépondreSupprimerah !! surréaliste à souhait :)
RépondreSupprimeret cependant pas si loin d'une réalité que je travaille régulièrement dans ma pratique professionnelle : on peut découvrir qu'on peut aller mieux dès qu'on désapprend le système pathologique qu'on a intégré bien malgré soi
Il fallait oser d'aller aussi loin, de pousser autant le bouchon qu'à la fin il se casse....
RépondreSupprimerJ'aime cette manière d'hyper-réaliser les caractéristiques de chacun des profs! Il y a certes une part, infime..., de vrai...
Je me suis émerveillée, en ce dimanche de pluie, à voir des larmes de rires scintiller sur mon écran!