L'escalier du rêve (s'agit-il d'un rêve, est-ce bien un escalier ?) est bleu et, par un curieux prodige, on ne peut que le gravir : une invisible cloison, dont seuls les reflets bleutés semblent suivre nos pas, nous talonne et nous interdit la descente.
Il faut monter sans cesse alors que des marches s'élève, seul éclairage en ces lieux confinés, une douce lumière bleue qui cascade à flots lents d'une marche à l'autre, en épais tapis lumineux qu'aucune barrette dorée ne retiendrait plus.
Et le pied enfonce dans la molle substance photogène, n'y trouvant d'autre que le contact silencieux des marches soutenant le pas. Inégale et gélatineuse, la matière s'amoncelle parfois en surépaisseurs de sang bleu alors que le pied, invisible sous l'épaisseur, poursuit seul la montée sans faillir, de sa propre volonté.
Pourtant, aucune inquiétude ne nous gagne, et nous poursuivons l'ascension : la force inconnue qui nous guide nous insuffle l'énergie des grands découvreurs, certains de trouver l'indicible bonheur tout en haut de l'escalier bleu.
Le ciel, que nous croyions absent, se découvre soudain - bleu - et laisse entrevoir l'incroyable faisceau d'une myriade d'escaliers semblables au nôtre, concourant tous au sommet d'une immense pyramide, unique cristal translucide, source enfin découverte du bleu qui s'épanche des pores de ses multiples faces. Peu nombreux, des corps nus, irréels sous les scintillements bleutés de la lumière ascendante, gravissent comme nous les degrés rejoignant le monocristal, puis disparaissent un à un dans les jaillissements vaporeux des nuées bleues qui prennent naissance à son sommet - est-ce là une Fin ?
Nous réalisons soudain que nous aussi sommes nus, et courons malgré nous inexorablement vers le même sort : est-ce vers la mort ? est-ce vers une autre vie - faite uniquement de bleu ? une vie bleue vaut-elle d'être vécue ?
Trêve à la montée, des paliers se présentent, étroites pièces cylindriques où s'écoulent des murs les nappes susurrantes de phosphores d'azur qui, emplissant lentement la pièce nous submergent de leur flot caressant, et instillent en nous un rêve inconnu où toutes les couleurs, celles que nous connaissions, sont présentes en un kaléidoscope où se mêlent leurs plus infimes nuances... puis soudain, comme emporté d'un coup de vent, tout s'efface et l'on replonge en immersion bleue.
Cependant il faut poursuivre : déjà le passé se referme derrière nous sur un présent de marches nouvelles. Notre futur en construction ne sera t'il fait que de marches baignées de ces écoulements azurés ? Conçu d'un arc en ciel bien défleuri, cet univers, unicolore et déliquescent, ne nous offrira t'il jamais rien d'autre que ces visions bleutées ?
Certes l'azur fut de tous temps prisé des poètes, des rêveurs, des amoureux, mais peut-on seulement vivre du bleu - et s'en nourrir* ?
Mais soudain, une sonnerie stridente nous laisse, nu, au contact de tissus souples et blancs qui nous enveloppent : est-ce le linceul où nous sommes couchés, est-ce déjà la Fin pressentie ?
Mais c'est bientôt, sous nos yeux, des rues qui s'éveillent, un parking, des lumières vives, un escalier qui n'est pas celui du rêve ; nous poussons une porte familière ; des mains connues se tendent vers nous.
Il y a dit-on ce matin une réunion de travail dans la salle bleue.
* Certains Auvergnats prétendent le faire...
Où lire JCP
Intéressante, cette montée aux Enfers... :)
RépondreSupprimerTous les rêves bleus ne sont pas roses...
Supprimermis à part le bon goût des auvergnats pour les bleus :o)
RépondreSupprimerquel cauchemar !!!
j'apprécie ton écriture métaphorique
Merci Tisseuse - attention aux escaliers bleus...
SupprimerSe glisser dans les méandres d'un rêve....et doucement, revenir au réel...
RépondreSupprimerAh, tous les rêves ne sont pas doux, on le voit bien...
Supprimer