La couleur de la mer-Rouge
Dis, tu me raconteras la couleur de la mer ?...
Dans ces journées fléchissantes, cette intempérance ordinaire, cette dégringolade programmée, cet envol vers les abîmes, je l’imagine bien pâle, bien soumise, bien agencée aux humeurs touristes mais encore trop pourpre dans l’août avancé.
Est-ce qu’elle sera rouge comme un coucher de soleil épuisé de sa journée mais magnifiant encore chaque détail d’impressions sublimes, peignant les ombres allongées d’atours princiers, ravivant les couleurs émues de toute sa palette rayonnante ?...
Oui, rouge tel ce soleil avec sa pudeur retrouvée après son cheminement de roi dans l’azur révérence ; rouge comme les délicates braises allumées dans le clapot et scintillant devant la plage avec des prémonitions de lendemain encourageant. Rouge comme l’indécente pucelle surprise dans sa glace complice, un soir de courage adolescent, chahutant ses sens à la marée montante d’impressions turgescentes ou rouge comme la rose piquante exhalant ses parfums captivants aux alentours de ses pétales entrouverts pour accréditer sa suprématie décorative ; rouge comme le sang du crucifié le long de ses épines, empalé de trop de dévotions priées…
Rouge comme les ratures méchantes dans la marge assassine, réfrénant les volcaniques pulsions écrivaines à des statuts cartésiens, justifiant l’incompréhension de la lecture avec ces ignorantes banderilles professeurs, ces œillères sarcastiques aveugles, saignant les mots dans leurs pourpoints les plus sensibles jusqu’à les dégoûter de survivre…
Rouge comme un cœur à l’abandon, un cœur meurtri, sans les battements du ressac pour espérer une quelconque contrition d’éternité de sable fin. Comme un cœur arraché, soumis aux tempêtes des interludes sans blondeur, des défaites sans miséricorde, des abysses sans fond et des punitions perpétuelles, un cœur se mourant…
Rouge comme la figure des assassins, des tueurs de nos bateaux ; ces décideurs galonnés, ces énucléés de pitié, ceux qui jugent de la longévité de leur peinture ou de la pénitence de la rouille accaparante qui couvrira pour toujours leurs méfaits destructeurs…
Et, débordant du cadre barrette, le rouge impressionniste contre la toile enfiévrée, mêlant le mouvement inerte à la pause émotionnelle, simulant des intentions échevelées en peignant à la brosse des franges adultères luxurieuses et des troublées tentations tuméfiées… Rouge comme une nature morte…
Rouge comme le plastron de l’oiseau altier rembourrant sa gorge un jour de nid futur ou comme le timide, un soir de réverbère, sous le balcon de sa belle innocente, cherchant dans les étoiles une alternative rassurante entre sa passion exacerbée et sa rage de mal exister… Rouge pâmoison…
Rouge comme la cape du toréador, ses véroniques hypocrites et ses désirs bouchers, rouge comme la flaque de sang encore chaude, épanchée en dernière triste caricature, épaississant la posture de l’impétrant dans une grotesque attitude finissante ; rouge comme la décoration débile de la lame enfoncée jusque dans l’âme frémissante de l’animal exécuté…
Rouge de ne pas être aimé par qui on aime et vagabondant dans d’improbables desseins chimériques, dans une utopique perspective encourageante que par sa seule imagination encore à flot. Rouge d’impuissance à l’arrêt d’un feu unique interdisant tout transport d’aventure amoureuse ; rouge de rester en radoub, en cale sèche, en prisonnier de guillotine aiguisée, en chevalier errant à la croix en berne sans terre sainte. Rouge comme le nez d’un clown…
Rouge comme un diable sorti de sa boîte, trompant l’ennui avec des facéties d’arlequin indocile, avec des gesticulations hors de propos et des réflexions imbéciles…
Dis-moi, sera-t-elle rouge comme un drapeau de baignade en bousculade de sa tempête ? Ou rouge comme des éclaboussures secrètes de mer lointaine ou comme un volcan encore en ébullition ?... qu’importe…
Sera-t-elle comme une prostituée parisienne, en attente de partance, arborant son rouge à lèvres comme un pavillon de complaisance et arpentant les abords du Moulin avec l’aisance d’une menteuse romance ?...
Non, rouge comme une fusée de feu d’artifice, un soir de quatorze juillet, quand le ciel se déchire de ces réjouissances révolutionnaires, quand la nuit se peint d’apothéoses fumigènes illusoires, quand on s’émerveille encore et toujours de cette poudre aux yeux…
Rouge comme les incendies méditerranéens galopant dans les pinèdes, buvant les essences à coups de torchères, immolant la faune terrorisée, réduisant notre Nature à de la terre brûlée et rouge comme les pompiers pour éteindre tout cela, rouge comme le courage transpirant au bout de leurs échelles, leurs lances et leurs bottes…
La mer est tellement rouge quand elle saigne de toutes les intempérances humaines ; sa blessure est grave et sa guérison est vaine. Rouge comme la baleine découpée dans l’hélice d’un chimiquier, rouge comme ses algues à la dérive des courants sous marins, rouge comme des champs de coraux sauvages encore épargnés de la convoitise des marchands sans scrupules…
Non !... Elle sera rouge comme le pinard !... A cause de l’ivresse des profondeurs et on trinquera encore à la prochaine marée ! Ou rouge comme un pieux vin de messe à cause des prières balbutiées, tu sais, quand on lui jette des gerbes de fleurs pour honorer ses défunts engloutis, si loin, dans des pêches traquenards…
La mer sera rouge de tous les morts qui s’y baignent !...
De débarquements bourreaux en noyés gonflés, de disparus en naufragés, de torpillés en déchiquetés, de tous ses cris, ses SOS, elle reflètera tous les absents des cimetières marins. La mer sera rouge comme les coquelicots imprudents qui dansent à la gloire du printemps revenu le long de nos routes en rêvant de traverser pour rencontrer une belle des champs…
La mer sera rouge couchant au bout de l’horizon parce qu’il ne peut pas en être autrement dans ce monde décoloré. A cause de cette guirlande incandescente qui rallie tous les amoureux au même flambeau d’espoir éternel, à cause de tous ces effets de lumière artificielle dans leurs yeux transis, à cause de tous leurs frissons naissants, la mer sera rouge comme les poissons du bocal de notre vie en rond…
Dis, tu me raconteras la couleur de la mer ?...
terrible ton texte, et tout ce que véhicule une couleur :(
RépondreSupprimeril est vrai que toute la palette peut lui être associée au rouge
par contre, très habituellement la mer (en tout cas l'océan par chez moi) est très régulièrement grise, et continue de monter et de descendre chaque jour....
En fait, cette aventure est beaucoup plus longue. En quelques mots, c'est un type qui somnole sa digestion dans son canapé. C'est l'après-midi;sa femme emmène son gosse au bord de la plage. Dans la télé, ce sont les championnats du monde de natation. Empêtré dans ses rêves, il demande à sa femme de lui rapporter la couleur de la mer. La télé exulte une médaille d'or et le drapeau bleu blanc rouge qui s'élève sur un mât de victoire. Au fond de son canapé, le type se raconte la mer en bleu, en blanc, en rouge... ;) Ecrit en 2012.
SupprimerBelle immersion dans les eaux profondes qui recèlent tant ...
RépondreSupprimerQuelle inspiration, un grand bravo.
Il y aurait donc tant de rouge ...
RépondreSupprimerCe texte décrit les tours et détours d'une somnolence enrêvée, les chemins de traverses, les connexions de pensées ...
Bref, un beau délire!